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— Toutes, confirme Jean.

— Bien. Le seul numéro qui est mémorisé là-dedans, c’est le mien. À n’importe quel moment, jusqu’au décollage, tu peux me joindre, quelle que soit la raison. Je suis ton unique interlocuteur, comme tu l’as demandé.

— D’accord.

— Bien. Décollage pour Sydney : 5 h 45. Tout est clair ?

Jean fait signe que c’est clair.

En fait, c’est pathétique.

Il a beau être un poseur de bombes et jouer avec la vie de centaines d’inconnus, ce jeune homme, agent secret de pacotille, qui agit comme il a vu faire dans des séries B, vous fait une drôle d’impression, c’est sa naïveté sans doute. On fait ce qu’il faut faire, mais on se sent mal, parce que, depuis qu’il a baissé ses exigences, c’est devenu trop facile.

Camille, lui, reste ouvert à tous les bouleversements.

Pendant que Jean et Rosie s’habillaient, il a même parié avec Louis.

— Comment ça, a demandé Louis, qu’est-ce qui peut se passer d’autre ?

Camille n’en a aucune idée. Il en est certain, voilà tout. Ça va tourner autrement.

— Quelque chose va nous échapper…

On est en mai, il commence déjà à faire jour à cette heure-ci. Par la fenêtre ouverte, Camille respire l’air de Paris qui n’est pas encore saturé par les gaz d’échappement.

En bas, il voit Jean sortir, Rosie à ses côtés, tous les deux avec leur valise.

Jean refuse de monter dans le véhicule qui l’attend, un agent se précipite, discussion vive, mais Jean ne s’en laisse pas compter, il hèle un taxi. L’agent en reste les bras ballants.

Camille ferme les yeux, il est accablé.

Le taxi qui s’arrête est évidemment celui que les flics ont posté, le chauffeur a l’air vrai.

Jean ne laisse pas le chauffeur descendre, il ouvre le hayon arrière, y fourre les deux valises, fait signe à Rosie de monter, le taxi démarre.

Allons, quand il faut y aller…

Camille enfile sa veste, descend l’escalier et monte à l’arrière de la voiture numéro 1.

5 heures

Dans l’habitacle résonne déjà le faisceau des voix des suiveurs.

— Mouton à 11 heures. 34, à vous…

— 34 bien reçu. Mouton à 13 heures.

Le taxi de Jean roule dans Paris, pisté par une cohorte invisible de près de quinze personnes, voitures, camionnettes, motos…

Ça ressemble au fantôme d’un convoi mortuaire.

Le micro placé dans le taxi ne renvoie que le silence des passagers. Camille imagine Rosie blottie contre son fils, lui tenant fiévreusement la main, et Jean, indifférent, regardant par la vitre, le décor de Paris qui défile…

Camille observe, sur l’écran du GPS, le trajet emprunté par le taxi lorsque la voix de Jean se fait entendre :

— Prenez à droite.

Le chauffeur fait mine de ne pas avoir compris. En professionnel, il tente de gagner du temps et laisse passer la rue que Jean semblait lui désigner.

— C’est pas le chemin pour l’aéroport, monsieur…

— Pas grave, dit alors Jean. Prenez la suivante.

Sa voix est ferme mais calme. Le chauffeur met alors son clignotant à droite et emprunte le boulevard.

— Ici 34 — Mouton vers l’ouest…

— Bien reçu…

Les voix des suiveurs ne s’affolent pas réellement, mais tout de même, ça cloche.

Camille sent, à un petit frémissement dans l’échine, qu’on y est.

Presque.

Pas tout à fait, mais presque.

À l’évidence, ce n’est pas le chemin vers l’aéroport.

Jean prépare-t-il un ultime coup de Jarnac, rien d’impossible.

— Mouton à 13 heures.

— Mouton rue Plantagenet.

Mouton où tu veux, se dit Camille, on ne va pas tarder à savoir ce que vaut le scénario des experts.

5 h 15

Sur les instructions de Jean, le taxi a viré une nouvelle fois sur sa droite, il roule dans la direction exactement opposée à celle de l’aéroport CDG, plein sud.

Dans les haut-parleurs, le ton monte, qu’est-ce qu’il fout, ce con-là. Le portable de Camille sonne toutes les vingt secondes, il le coupe. Et merde.

Lui aussi est tendu.

Est-ce qu’on est en train de se faire balader ?

Par la liaison avec le chauffeur, les équipes demandent des instructions à Camille.

— On suit et on voit.

Le taxi tourne ici et là. On entend Jean donner ses ordres.

— À droite au feu… Première à gauche.

Le chauffeur fait mine de râler :

— Où on va comme ça ? Vous allez manquer votre avion, monsieur…

C’est le code pour demander ce qu’il faut faire. Camille ne fait même pas semblant de maîtriser, en réalité on se laisse embarquer, que faire d’autre ?

Jean visiblement sait où il va, voilà ce qui inquiète tout le monde.

Il sait et nous, on ne sait pas.

Et enfin le taxi s’arrête devant les grilles du square Dupeyroux, un grand rectangle bordé d’immeubles haussmanniens. Les trois rues qui le longent sont plantées de réverbères qui projettent une lumière douce, jaune et bleu. La voiture de Camille dépasse rapidement le taxi, tourne à droite et pile. On attend les instructions. Toutes les unités se mettent en stand-by. Le timing bat de l’aile.

La voix de Jean :

— Vous nous attendez ici, dit-il au chauffeur.

La caméra d’un suiveur attrape Jean et Rosie sortant du taxi, sur l’écran de contrôle on distingue leurs silhouettes qui s’immobilisent devant la grille du square, par le micro dissimulé dans son manteau, on perçoit la voix de Rosie, inquiète :

— Qu’est-ce qu’on vient faire là, Jean ?

On n’entend pas la réponse, y en a-t-il une d’ailleurs ?

Jean tire la porte de la grille qui s’ouvre sans un bruit. Le morceau de carton que pose Marcel tombe au sol. Jean ne fait pas l’effort de le ramasser comme il l’a pourtant fait tant de fois.

Camille est sorti précipitamment de la voiture et s’est mis à courir, d’un coup.

En quelques secondes, le voilà à la grille, il a juste hurlé à toutes les équipes de ne rien faire, les dés sont jetés, combien de bombes vont exploser ? Où et quand ?

Déjà, Rosie et Jean s’enfoncent dans l’ombre du square, vaguement baignée de lumière jaune. À l’instant où Camille y entre à son tour, ils sont arrêtés devant l’aire de jeux. Jean laisse Rosie, fait quelques pas et disparaît.

Des secondes lourdes s’égrènent avec une lenteur de bombe à retardement, Camille hésite à foncer, mais il n’en a pas le temps, voici Jean qui revient. Il sort d’un fourré, il tient un téléphone portable et se tourne du côté de Camille.

C’est curieux, cette scène, comme suspendue.

Dans la lumière diffuse du square, là-bas Rosie, qui serre dans ses mains son sac de vieille fille, à côté d’elle Jean, son grand fils, avec son téléphone à la main, qui regarde le commandant Verhœven, et Camille, stoppé net dans son élan, qui se demande ce qui va se passer.

Jean alors se penche sur son téléphone et presque aussitôt une musique se met à chuinter dans l’appareil, Jean monte le son du haut-parleur.

Camille tend l’oreille, il voit Jean tendre sa paume ouverte à Rosie, comme pour l’inviter à une danse, et c’est bien ça, une danse, Jean et Rosie sont dans les bras l’un de l’autre.

Ils dansent. Elle le regarde comme un amoureux, lui garde le regard fixe, plongé dans le vide, mais il serre Rosie fort, très fort… Ils n’ont fait que deux ou trois tours lorsque Jean, tout en continuant de valser lentement, plonge la main dans la poche de sa veste.