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Il évoque succinctement le coupable autoproclamé tandis que Louis distribue sa synthèse rédigée au fil du clavier, impeccable, précise, argumentée, rien à dire.

— Si Garnier dit la vérité, commente Camille, une deuxième bombe devrait exploser dans moins de vingt-quatre heures. Et comme sa première salve, rue Joseph-Merlin, n’était pas franchement de la rigolade, nous devons considérer sa menace comme sérieuse.

Il pourrait en profiter pour prononcer une parole historique du genre : « La première bombe n’a fait aucun mort, c’est le premier miracle. Vous êtes chargés du second… », mais contrairement à ce que croit Garnier, la réalité n’a rien à voir avec une série télé.

Camille se contente d’une recommandation :

— Je ne sais pas encore comment nos autorités vont vouloir gérer cette affaire. Donc, en attendant, aucune information ni à la presse ni à quiconque. Je vous rappelle que vous êtes une équipe réduite…

Il laisse un silence, que tout le monde décrypte parfaitement, traverser la salle : l’auteur de la moindre fuite sera dans de sales draps.

Pour autant, Camille ne se fait pas d’illusions. La presse est aux abois, la reddition de Jean Garnier va rapidement transpirer ; vouloir le secret sur une affaire de cette dimension relève du fantasme pur et simple.

— Vous vous concentrez sur l’histoire de Jean Garnier, reprend-il, ses copains, ses relations, etc. Et principalement sur ce qu’il a fait hier, avant-hier, le jour d’avant, qui il a vu, rencontré, croisé, ses relations, le voisinage. Le but, c’est de retracer ses faits et gestes au cours des dernières semaines.

Camille explique comment les équipes sont composées, qui fait quoi, et il conclut simplement :

— Louis Mariani est chargé de la coordination, tout ce qui remonte passe par lui. Bon courage à tous.

Puis il traverse la cantine et rejoint le juge.

Louis tient aussitôt table ouverte, des groupes se pressent autour de lui. Dans son joli costume Armani, il a l’air d’un petit marquis, mais sacrément efficace. Il répond calmement, précisément, on dirait qu’il peut renvoyer les balles comme ça toute la nuit, sans jamais transpirer.

Vingt minutes plus tard, tout le monde est parti et Louis, installé dans une salle avec les informaticiens, s’apprête à trier les appels des flics en expédition, à sélectionner les informations, à épingler des images et des données sur le mur, à rédiger des synthèses partielles pour le divisionnaire, pour le juge, pour Camille.

21 h 10

Camille s’est accroché à la ceinture de sécurité tout le long du trajet. Avec les gyrophares, les sirènes, impossible de se concentrer. Le chauffeur est un slalomeur dans l’âme, pour lui, relier Paris à Bagnolet ne doit pas nécessiter plus de quatre ou cinq coups de frein.

Mais les ordres de Camille étaient péremptoires, aussi, à quelques minutes du domicile de Jean, on éteint les gyrophares, on ralentit, on laisse partir devant la voiture de Verhoeven ; les techniciens vont arriver discrètement, on ne veut pas affoler le quartier, on va procéder rapidement, mais en douceur.

La cité où habitent Rosie et Jean Garnier est un ensemble de bâtiments sans caractère. Pauvre dans les années 1970, baptisé « modeste » la décennie suivante, aujourd’hui conquis par des trentenaires bien dans leur époque et des cadres moyennement supérieurs, il aspire maintenant au statut de « résidence ». D’ailleurs, c’est comme ça qu’il faut dire. Pas cité, résidence. On n’est pas chez les ploucs.

Le n° 21 est le premier bâtiment à droite. Il y a des voitures partout. La cité n’a pas été conçue sur l’hypothèse de trentenaires écologiques adorant la bagnole, les services de police sont contraints de se garer en double file, Camille leur fait signe, dégagez, allez attendre là-bas. Mais si discret soit-on, dès qu’on arrive à la porte, les premiers pas résonnent dans l’escalier de béton, des voisins viennent aux nouvelles, ils restent là, quatre puis cinq, perchés sur les marches comme des poules, à attendre que quelqu’un sorte, qu’on puisse se mettre quelque chose sous la dent. On chuchote, tout le monde sait quelque chose, du moins tout le monde a son idée. Camille demande à un collègue de les interroger ; on leur demande leur avis sur leurs voisins, vous parlez s’ils sont contents…

Camille entre. Dans la foulée, deux agents et deux techniciens investissent l’appartement.

Les volets sont tirés, les plantes regroupées dans la baignoire avec de l’eau à mi-hauteur ; pour celles qui craignent la noyade, on a planté des bouteilles en plastique renversées dans la terre. Tout est propre, le réfrigérateur est vide, débranché, la porte laissée ouverte, les lits sont faits, les armoires en ordre, l’aspirateur a été passé avec soin. Flottent des odeurs de liquide de ménage, de dépoussiérant en bombe, tout l’arsenal de la propreté industrielle au service des particuliers.

Le mobilier est ancien, mais très entretenu : dans le salon, une table en teck avec les chaises assorties, comme on en faisait il y a trente ans, un buffet long dans lequel toute la vaisselle est soigneusement rangée. Dans une vitrine, sur les étagères en verre, sont alignés des bibelots, des chevaux en verre filé, des souvenirs de vacances, une poupée en costume dont Camille se demande de quelle région elle peut provenir. Dans la modeste bibliothèque, des livres bon marché reliés avec des titres dorés (Les Rougon-Macquart, Les Grandes Batailles de France, Le Secret des Templiers…) vendus en souscription et dont aucun volume n’a jamais été ouvert. Tandis que les agents ouvrent tous les placards, Camille jette un œil à la chambre de Rosie. Le lit, parsemé de peluches comme on en gagne dans les foires, semble attendre son retour. Au sol, une descente de lit en fourrure synthétique. Minutieusement alignés sur une étagère, une quantité impressionnante de romans sentimentaux (Coupable attirance, Un pont vers le bonheur, La Magie d’une nuit…). À l’instant de quitter la pièce, Camille s’arrête sur une valise qu’un agent vient de sortir de l’armoire. Le contenu sent le souvenir. Camille y jette un rapide coup d’œil.

— Consignez-moi tout ça, dit-il.

Dans la chambre de Jean : posters de footballeurs aux murs, une batterie de jeux vidéo et de films d’horreur, ici aussi tout est parfaitement à sa place, rien ne dépasse.

L’appartement appartient à l’OPHLM. Jean Garnier arrêté, dans deux mois, il sera vidé et proposé à une nouvelle famille, tout ce qui est là finira à la benne. Que les occupants se proposent de revenir ou qu’ils soient définitivement partis revient au même : tout était prêt pour une visite de la police.

La thèse de Jean Garnier poseur de six autres bombes prêtes à exploser prend soudainement du poids.

21 h 45

Les premiers témoignages renvoient l’image d’un garçon assez inhibé, mais serviable.

— Il vient faire des bricoles à la maison, dit un voisin (la cinquantaine bouffie, ventripotente et satisfaite). Changer un joint de robinet, refixer une prise, vous voyez le genre de truc, histoire de se faire quelques sous… Bon évidemment, pas causant, oui, non et c’est tout. Si vous le faites venir pour la conversation, c’est cuit. Mais un gentil garçon. Ne ferait pas de mal à une mouche.

— Pour les mouches, je reconnais, dit Camille. Rue Joseph-Merlin, tu n’en as pas tué une seule.

Le jeune homme est menotté à la table en fer, déjà fatigué. Il s’est constitué prisonnier deux heures plus tôt, deux heures sous le feu roulant des questions, les flics se relayent toutes les dix à quinze minutes.