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Je hausse les épaules.

Au fond, oui, qu’est-ce qui se passe ?

— Rien, dis-je.

Je glisse ma comptée dans ma fouille et je le plante là.

Marinette m’attend, tout excitée à l’idée que nous avons la journée devant nous et que je viens de retirer de quoi lui faire faire une virée maison. Pourvu qu’elle s’imagine pas que je vais lui offrir un bijou ou un manteau de fourrure ! J’ai horreur de décevoir une gerce, moi !

— Dites donc, beauté, je murmure, avez-vous vu les deux types qui sont sortis d’ici comme j’y entrais ?

— Oui, dit-elle.

— Par quelle porte sont-ils sortis ?

— Par la grande du milieu, je crois…

— Venez !

Je l’entraîne vers la grande porte où un agent en pèlerine lutte contre le froid et les pensées moroses.

Je commence par le commencement, c’est-à-dire par lui montrer ma carte. Moyennant ce simple geste, j’ai droit à un salut militaire pour grande personne.

— Vous n’avez pas vu sortir d’ici, il y a un instant, un petit homme à cheveux blancs accompagné d’un autre, plus grand, avec un manteau de cuir ?

— Si, fait l’agent…

— Quelle direction ont-ils prise ?

— Ils ont tourné à droite… Devaient être en voiture, le grand avait une clé à la main…

Je fonce… À grandes enjambées je remonte la file de bagnoles… Et je stoppe pile devant un petit cabriolet noir. Là-dedans se trouve mon petit bonhomme livide. Il paraît dormir car il a la tête appuyée contre la vitre de droite. Son copain a disparu…

J’ouvre la portière et le vieux dégringole sur la chaussée. Il est mou comme Jean Tissier et blanc comme l’intérieur d’un navet.

Et, par-dessus le marché, il est un peu mort…

Pas depuis longtemps, bien sûr, mais mort tout de même…

Je regarde autour de moi : il n’y a pas plus de type en manteau de cuir à l’horizon que de beurre dans le slip d’un pauvre homme.

La môme Marinette pousse un grand cri.

— Fermez ça, je lui dis, et allez prévenir l’agent qui est devant la lourde !

CHAPITRE II

Ne vous faites jamais « des idées ! »

Un quart d’heure plus tard une ambulance s’annonce. On charge le mort sur une civière et fouette cocher !

Je dis à Marinette de grimper dans ma tire et j’accroche les wagons derrière la voiture à croix rouge…

— Que lui est-il arrivé, à ce pauvre homme ? demande la bonniche.

Je la regarde comme si elle m’arrachait d’un rêve. M’est avis que la partie de marrade est dans la flotte. Vous me connaissez ? Avec une histoire pareille sur les bras, je n’ai plus la moindre envie de jouer les Casanova !

— Je ne sais pas encore, je lui réponds… Il a avalé sa vie de travers, probable…

— C’est affreux !

— Appelez ça comme vous voudrez…

— Et maintenant, où allons-nous ?

— À la morgue…

Elle frissonne.

— À la…

— Oui, mais vous m’attendrez dans la voiture, je ne veux pas vous infliger un spectacle pareil…

— Oh ! je n’ai pas peur, fait la donzelle, au contraire, ça m’intéressera de voir la morgue !

Que voulez-vous que j’y fasse ? Toutes les souris sont morbides. Elles se consolent d’une partie de fesse manquée pourvu qu’on leur montre de la viande froide.

La moutarde me monte au pif.

Non, je vous le demande, de quoi j’aurais l’air si je trimbalais au cours de mon service cette radeuse pour noces et banquets !

— Écoutez, trognon, je fais en m’efforçant au calme. Je ne peux pas vous emmener avec moi…

— Oh ! Pourquoi ?

— Parce que, pour entrer à la morgue, il faut être de la police… ou mort ! Vous n’appartenez, Dieu soit loué, à aucune de ces deux catégories, n’est-ce pas ?…

Elle l’admet et se renfrogne…

Je stoppe derrière l’ambulance et je suis la civière. Un gardien réceptionne le macchabée… À ce moment je me manifeste :

— Commissaire San-Antonio.

Il me fait un salut dont le moins qu’on puisse en dire est qu’il est déférent.

— Salutations, monsieur le commissaire. Vous ne me reconnaissez pas ?

Je bigle les moustaches en guidon de course du zig, son nez torturé par le beaujolais…

Effectivement, j’ai aperçu ce pignouf au cours de précédentes enquêtes car, dans mon turbin, on est conduit à la morgue plus souvent qu’au Lido.

— Appelez illico un toubib ! ordonné-je… Et passez-moi le téléphone.

Il me conduit à un bureau ripoliné qui sent le cadavre comme le reste de la tôle, avec, par-dessus, des relents de gros rouge.

J’alerte la P.J… Je résume l’affaire.

— Le type avait retiré une brique sur son compte, dis-je à mon interlocuteur invisible. Quatre minutes plus tard il gisait mort dans sa tire ; l’homme au manteau de cuir qui l’accompagnait avait disparu et le million aussi. Le mort est à la morgue, et il ne reste plus qu’à foutre la pogne sur l’homme au manteau de cuir…

Là-dessus je ricane un bon coup pour montrer que j’ai le côté futé de tout bon policier qui se respecte et je raccroche.

Le gardien m’informe que le professeur Montazel va radiner. Il me propose un coup de rouge.

Je refuse, alléguant que ce breuvage m’est interdit avant midi sonné. J’ajoute que si le cœur lui en dit je ne veux pas être une entrave à son mouillage de meule.

Il attrape un kil de chez Nicolas (publicité non payante) et se fait un lavage d’estomac. En attendant je pénètre dans la salle de dissection. Le mort est étalé sur une table de pierre devant des gradins. Un énorme réflecteur est suspendu au-dessus de lui.

— Je m’en vais le déshabiller, dit le gardien en s’essuyant les bacchantes.

Il se met au boulot.

— C’est plus facile pendant qu’il est encore mollasson, ajoute-t-il.

Je ne me propose pas comme auxiliaire… Les morts ne me font pas peur — ce serait gentil ! — mais je n’aime pas les tripoter outre mesure. Lui, il fait ça comme votre bonne femme prépare une sauce Béchamel. Il se mouille même le pouce pour déboutonner le gilet du petit vieux.

Au fur et à mesure qu’il lui ôte ses fringues, je fouille les poches de celles-ci. Elles ne contiennent qu’un portefeuille bourré de papiers au nom de Ludovic Balmin. Ces papelards m’apprennent que le vieillard est antiquaire boulevard de Courcelles, au 120… Il est célibataire, il a soixante-six ans…

Je mets le portefeuille de côté.

À part ça, il y a encore de la monnaie dans ses poches, un trousseau de clés, un cure-dents en argent, un carnet de chèques postaux à son nom, un stylo plaqué or…

Rien d’anormal…

— Voilà, dit le préposé de la morgue.

Il en a terminé avec Balmin.

Maintenant le petit vieux est nu comme une arête de sole ! Pas excitant du tout, fatalement.

Je fais le tour de sa géographie.

— Pas trace de blessures ? je murmure.

— Non, dit le gardien.

Sur ce, la porte s’ouvre et un homme au visage pâle paraît. Il est vêtu de noir ; il a la rosette, et son visage est aussi joyeux qu’une pierre tombale.

— Monsieur le professeur, fait le gardien avec déférence…

Je salue l’arrivant. Il me fait un signe de tête… Mais il ne s’intéresse pas au vivant. Lui, on le comprend tout de suite, ses vrais copains, ce sont les horizontaux définitifs… Il ouvre une petite valoche de cuir, en retire quelques instruments et se met à bigler le père Balmin de la cave au grenier.

Son examen dure un petit bout de moment. Il est vachement consciencieux, le frangin !