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Enfin il se redresse et me regarde.

— Cet homme a succombé à une crise cardiaque, dit-il…

Je crois rêver…

— Vous en êtes certain, professeur ?

Une seconde, je crois qu’il va me bouffer la rate, mais décidément il ne doit pas aimer les abats.

— Absolument certain, dit-il… L’autopsie nous donnera la preuve formelle.

Un bref salut, il met les adjas.

— S’il le dit, c’est que c’est vrai, assure le gardien. Ce gars-là, je l’ai jamais vu se gourrer une seule fois. Vous lui donneriez un os de gigot qu’il vous dirait de quoi le mouton est mort !

— Crise cardiaque ! je balbutie.

Franchement, les potes, je suis siphonné. Penser que ce mec est canné de mort naturelle dans de pareilles circonstances, c’est râlant… Ça manque de logique, à mon avis. Et un bon flic a horreur de ce qui manque de logique…

De toute façon, moi je n’ai rien à voir avec l’affaire. Je fais partie des services secrets et ce genre de délit n’est pas de mon ressort.

Je quitte donc la maison frigo, conscient d’avoir fait mon devoir au-delà de toute expression.

En sortant, je me casse le nez sur Chardon, inspecteur à la P.J. Chardon, c’est le genre bon gros pas bileux…

— Ah ! c’est toi qui es chargé de l’enquête ? fais-je.

— Oui, dit-il…

Il écrase des cacahuètes dans sa fouille et les bouffe. Un vrai singe !

Il a la brioche épanouie, le visage rayonnant d’un contentement intime…

Je le rancarde sur ce que je sais…

— Et le plus bath, dis-je, c’est qu’il est mort de mort naturelle.

— Non ?

— C’est du moins ce qu’affirme le toubib de l’établissement !

Je lui flanque une bourrade.

— Bonne chance, fiston !

*

Marinette commençait à prendre des champignons dans la cervelle.

En m’apercevant son visage s’éclaire comme une vitrine de Noël.

— Ah ! Vous voilà… Je commençais à croire que vous m’aviez oubliée !

— Comment pouvez-vous penser une chose pareille, radieuse Marinette ? Pour que je vous oublie, il faudrait qu’on m’enfonçât (et je le dis au subjonctif !) un pieu dans le crâne.

« Allons, il est midi, l’heure où les estomacs présentent leurs revendications syndicales. Je connais dans les parages un restaurant chinois où l’on ne sait pas ce que l’on mange mais où ce qu’on mange est fameux ! Come with me, darling !

Le subjonctif, les chinoiseries, l’anglais ! C’en est trop. Elle s’abat sur mon épaule et je n’ai plus qu’à lui rouler mon patin de cérémonie. Celui subventionné par la maison Colgate : dents blanches, haleine fraîche !

Avec ce genre de poulette, un gueuleton doit suffire à vaincre sa pudeur. C’est ce que je gamberge tout en bouffant un canard à l’ananas qui pourra servir de dessert. Quelquefois il faut ajouter le cinéma pour vaincre leurs dernières objections. Mais ça, c’est dans les cas exceptionnels, pour les filles vraiment vertueuses. Avec Marinette pas besoin d’intercaler Martine Carol entre la poire et le dodo… Un verre de Cointreau et elle est prête à envisager le don de sa personne !

Sur les trois heures de l’après-midi — heure française —, je lui donne un aperçu de mes capacités extraprofessionnelles. Elle en est tellement satisfaite qu’elle me demande si je prends des abonnements.

*

Rien de tel qu’un bon apéritif pour vous remettre d’aplomb après un après-midi aussi tumultueux.

Nous avalons notre deuxième Cinzano dans un troquet de Saint-Germain-des-Prés. La môme Marinette a les yeux larges comme des pavillons de clairons. Son rouge à lèvres, remis en hâte, ne suit pas très bien le contour de sa bouche. On dirait une affiche mal imprimée.

Elle me tient le bras d’une façon godiche qui me fait un peu honte. J’ai l’air de quoi, avec cette gerce enamourée suspendue après moi ? Je fais terreux en voyage de noces !

Un marchand de journaux entre dans le bistro. Je lui adresse un signe. Un journal. Voilà qui va me donner une contenance.

Je sursaute en constant que l’affaire du matin occupe la première page. Je lis l’article et j’en apprends de chouettes !

L’homme au manteau de cuir s’est présenté spontanément à la police en apprenant la mort de l’antiquaire. C’est un certain Jean Parieux qui est courtier en vieilleries. Le matin même il a vendu un lot de pièces anciennes à Balmin et Balmin lui a demandé de l’accompagner aux Chèques postaux afin de lui régler le million représenté par cet achat.

Balmin se sentait fatigué. En sortant du bureau des Chèques il s’est installé dans la voiture de Parieux tandis que celui-ci allait téléphoner dans un café. Il y a succombé. Lorsque Parieux a été de retour, il a appris l’incident et s’est mis en rapport avec le commissariat du quartier qui l’a branché sur la P.J…

Voilà toute l’histoire…

Ce que c’est que d’avoir l’idée tournée sur le mystère, comme dit Félicie ! Je voyais déjà des trucs, des machins, des choses. Et tout bêtement c’était ça : une affaire honnête, un vieux au cœur fatigué…

— Allez, rentrons ! fais-je brusquement…

La petite se lève.

Au moment où elle franchit la porte je stoppe.

D’accord, tout est terriblement simple et logique, mais alors, pourquoi Balmin a-t-il écrit « au secours » sur son talon de chèque ?

CHAPITRE III

N’oubliez jamais d’« oublier » vos gants lorsque vous allez en visite

La voix monocorde d’Hector me parvient comme si elle tombait d’une autre planète. Ce qu’il dit, du reste, m’indiffère autant que sa personne. Il raconte ses varices, son ulcère du pylore, son chef de bureau, sa maison en viager… Cinquante ans de médiocrité défilent dans nos oreilles.

J’en ai tellement classe que je chope le premier prétexte venu pour m’esbigner.

— J’ai une enquête en cours, vous m’excusez, Hector ?

Il m’excuse d’autant mieux que lui non plus ne peut pas me renifler : l’antipathie c’est comme l’amour, ça implique une certaine réciprocité.

— Toujours par monts et par vaux ! remarque-t-il avec aigreur…

— Eh oui ! fais-je, tout le monde ne peut pas passer sa vie sur un rond de cuir.

Ceci constitue une allusion très précise aux fonctions qu’occupe Hector dans un bureau oublié d’un ministère confidentiel.

Il avale le lion et boit un coup de bordeaux pour le faire glisser.

— Au revoir, dis-je à Félicie et à Hector.

J’ajoute, histoire de faire rougir ma brave mère :

— Soyez sages !

Hector a un sourire niais et veule.

Je franchis la porte avec soulagement. Y a pas, je ne peux pas renifler les minus !

Un pâle soleil essaie d’égayer ce dimanche de fin d’hiver. Mais pour égayer un dimanche de Paris il faudrait autre chose que le soleil.

Je roule en direction de Pantruche en me demandant ce que je pourrais bien maquiller pour tromper le temps. En ce moment c’est le calme plat dans les services.

Voilà quinze jours que je n’ai à peu près rien à fiche et l’inaction pèse sur moi comme une crème au chocolat sur le foie d’un hépatique…

Je parviens au bois de Boulogne où je roule en seconde. C’est plein de braves gens qui promènent leurs chiards et de tapineuses qui me font des sourires discrets.

Dans les petites allées, il y a des bagnoles arrêtées à l’intérieur desquelles des couples se comportent en personnes qui se témoignent une certaine sympathie…

Je refilerais bien une demi-jambe au zigoto qui pourrait me soumettre une idée potable… Le théâtre ? Il est trop tard, tous les spectacles sont commencés… Le ciné ?… Tout seul ça n’est pas poilant !