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Je prends place dans le car confortable de la Compagnie et, au moment où celui-ci s’ébranle, je vois rappliquer une femme qui court à perdre haleine…

Je rabats mon bada sur mes yeux et je me hâte de tirer un journal de ma poche car cette souris n’est autre que ma môme Isabelle. Savez-vous qu’en femme elle n’est pas mal du tout ?

Vous vous imaginez peut-être que j’ai la grosse commotion ? Vous croyez que je jubile ? Eh bien ! pas vrai ! Je reste de marbre… Ce qui se produit, ça n’est pas un miracle, non, tout culment c’est le Destin, avec un D majuscule, les mecs !

C’est par pur hasard que j’ai levé cette affaire et le hasard boucle la boucle en ouvrier consciencieux. Le hasard, c’est notre lot de consolation, à nous, les flics… C’est aussi la trappe mise sous les pieds des criminels…

La fille est gentiment habillée avec une valise somptueuse à la main… Tout ceci prouve que j’avais raison : elle a mijoté tout ça depuis longtemps… elle part pour faire peau neuve… Si je m’écoutais, je me réciterais une vache tirade sur ce sujet noble… Je me poserais des questions de conscience, des questions de confiance… Oui, des tas de questions… Mais un flic ne s’écoute pas ; il sait qu’un criminel ne peut pas faire peau neuve… Personne ne fait peau neuve, jamais !

Une peau ! c’est quelque chose qu’on met son existence entière à amortir…

Isabelle s’installe juste devant moi…

À quoi rêve-t-elle ?…

Elle voit des gratte-ciel, des drugstores, des nègres, des magasins gigantesques…

Moi je verrai tout ça dans quelques heures, si l’avion ne fait pas le c… Mais pas elle !

Je pourrais la sonner tout de suite… Faire stopper le bahut et la débarquer au premier car venu en refilant la consigne aux condés… Non… Je lui accorde ce léger sursis… Ces quelques minutes de rêve… C’est une forme de ma galanterie, une manifestation de mon humanisme… Pour être flic on n’en est pas moins homme… Air connu !

Nous traversons mon vieux Paname que je regrette déjà… Porte d’Italie… Des panneaux : Fontainebleau, 60 !

La banlieue triste et douce de Paris…

La grand-route.

Où est-elle, Isabelle ? Loin de ses meurtres, dans un état au nom merveilleux ? Nebraska… Missouri… Arkansas…

— Tout le monde descend ! annonce soudain le chauffeur.

La camp d’aviation s’étend devant nous, immense, criblé de lumières…

Je sors mon revolver et je l’appuie sur la nuque d’Isabelle.

— Bouge pas, souris, tu es faite…

Les voyageurs sont pétrifiés.

— Police ! dis-je. Prévenez la police de l’aéroport, j’ai une dangereuse criminelle à leur remettre…

Isabelle ne se retourne pas.

— C’est vous ? fait-elle simplement…

— Oui, dis-je.

Elle a ces mots qui rejoignent ceux de Félicie, tout à l’heure :

— Je le savais…

— Oui, fais-je, les femmes sentent ces choses-là…

— C’est dommage, murmure-t-elle…

— C’est navrant, soupirai-je… Une vie neuve, Isabelle… Si près d’une vie toute neuve !

Et j’ajoute :

— Mais quoi ! Pour être homme on n’en est pas moins flic !

FIN