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— Un grand avec un manteau de cuir.

— Non…

Il a l’air aussi franc qu’une douzaine de tigres. Je n’insiste pas.

— Bon… Tu es au courant des pièces anciennes achetées hier ?

— Pas du tout…

— Eh bien ! mon gars, il ne me reste plus qu’à te souhaiter le bonsoir… Il n’a pas de famille, Balmin ? Enfin, pas d’autre famille que la grande ?

— La grande quoi ?

— La grande famille, naïf !

— Non, il n’a personne…

— Tu vas te régaler avec les antiquités, mon petit Jojo…

Il réprime un sourire de contentement.

— À un de ces jours, petit homme !

Il me tend la pogne, mais ça m’écœurerait de serrer cette espèce de limace à cinq branches…

Je gagne la porte et je descends l’escalier. Je repasse devant la loge du sosie de Fréhel ; je traverse le boulevard, je monte dans mon bahut, je démarre et, juste comme je tourne le coin du carrefour, je m’aperçois que j’ai oublié mes gants chez Balmin.

Exactement comme dans les romans…

Je fais demi-tour, je joue au retour de don Camillo dans la strass et qui vois-je s’engager dans l’escalier ? Devinez ? Ce brave Jean Parieux, autrement dit l’homme au manteau de cuir…

Mine de rien, je lui file le train.

Il stoppe au troisième étage et, sur la porte de gauche, joue sur la sonnette J’ai mes godasses qui pompent l’eau.

La mazette vient ouvrir…

— Salut, Jeannot, glousse-t-il… Eh bien ! on peut dire que j’ai eu chaud… Figure-toi que…

La lourde s’est refermée. Je reste debout contre la rampe à un demi-étage plus bas.

Ainsi la petite lope m’a mené en bateau en m’affirmant qu’elle ne connaissait pas l’homme au manteau de cuir !

Je serre les poings…

Ça va se payer, et se payer très cher, cette petite fantaisie. En quatre enjambées, je parviens devant la porte. Je colle mon oreille à la serrure, mais ils ont dû entrer dans le salon, car le murmure qui me parvient est indistinct.

Alors je sonne, moi aussi, sur l’air de J’ai mes godasses. Silence total… Ils doivent vachement dresser l’oreille, les deux compères.

Je reprends mon petit solo de sonnette. Enfin, un glissement se fait entendre. Une voix étouffée, celle de Jo, vaguement angoissée, demande :

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un ami qui vous veut du bien, je rigole.

Il reconnaît ma voix altière et se décide à déverrouiller.

Il est un peu pâlichon, le frère.

— J’ai oublié mes gants, dis-je…

Il bigle mes paluches.

— Vos gants ? bafouille-t-il d’un air sombrement hébété.

— Oui, repris-je, tu sais, ces machins en peau qui ressemblent à des tétines vides et qu’on se colle aux mains pour se les tenir au chaud ou pour faire le crâneur ?…

— Vous êtes certain de les avoir laissés ici ? Je… j’ai bien regardé…

— Comment, tu as regardé ? Tu craignais que je les oublie ?

— Non, mais… je… je suis sûr que vous n’avez rien oublié !

— On peut toujours vérifier, non, ça ne coûte rien…

Je l’écarte d’une bourrade et je m’avance vers le salon. Parieux s’y trouve, comme prévu.

À mon arrivée, il se dresse et me regarde calmement. Il est plus grand encore que je ne le pensais. Il a d’épais sourcils qui accentuent la proéminence du front. Son nez est crochu, ses pommettes saillantes, ses mâchoires très marquées.

Ce qui domine chez cet individu, c’est un sentiment de force morale. Il a quelque chose d’obstiné, de farouche… On sent qu’il conserverait son calme même si vous mettiez le feu à son slip.

— Monsieur Parieux ? je demande gentiment.

— Lui-même ; à qui ai-je l’honneur ?

— Commissaire San-Antonio, c’est moi qui ai découvert hier matin le cadavre de Balmin dans votre voiture…

— Oh ! très bien, dit-il.

— Je croyais que vous ne vous connaissiez pas, dis-je en désignant Jo du pouce.

Parieux hausse les épaules.

— C’est, bien entendu, lui qui vous aura affirmé ça ?

Sa question qui sert de réponse à la mienne me désarme.

— Oui, fais-je, furax.

Il hausse les épaules avec mépris :

— Cela ne m’étonne pas de toi ! déclare-t-il.

Jo fait sa jeune fille de bonne famille que le colonel en retraite a surprise en train de rajuster sa jarretelle. Il rougit.

— Cet idiot est farouche comme une fille, poursuit Parieux.

Et il force le côté méprisant de son personnage pour bien me faire comprendre qu’il n’est pas de la pédale, lui.

— Il ne sort jamais d’ici, ajoute Parieux. Un vrai chien d’intérieur, je vous assure…

« Pourquoi n’as-tu pas dit à monsieur le commissaire que nous nous connaissons ?

Mes aminches, j’assiste en ce moment à un joli numéro de repêchage. Le Parieux est en train de remonter la situation à la force du poignet. Et il le fait avec un brio époustouflant.

— J’ai pas osé, bêle le naveton limoneux.

Un haussement d’épaules et la question est classée par l’homme au manteau de cuir.

— Il y a longtemps que vous connaissez Balmin ? lui demandé-je.

— Une dizaine d’années… Je suis dans la vieillerie, moi aussi, spécialisé dans la branche numismate… Balmin était un de mes meilleurs clients et un de mes meilleurs amis…

Il ajoute avec un regard significatif à la lopette :

— En tout bien, tout honneur.

— Hier, vous êtes allé aux Postaux avec lui, pour quelle raison ?

Il feint l’étonnement.

— Mais j’ai expliqué tout cela à la police…

— Ça vous contrarie de me le répéter ?

— Vous êtes chargé d’une enquête ?

Son ton reste courtois, mais je pige parfaitement le sous-entendu. Ce mec me fait comprendre à sa façon que je n’ai rien à foutre icigo et qu’il me répond uniquement parce qu’il a l’habitude de pratiquer la politesse, y compris avec les condés !

— Il n’est pas question d’enquête, assuré-je. Mort de mort naturelle ! Mettons que je sois intéressé par Balmin du fait que j’ai découvert son corps, c’est humain, non ?

Je ris sournoisement.

— En général, les flics ne découvrent jamais les cadavres, monsieur Parieux. Alors, forcément, je me pique au jeu…

— Forcément…

— Alors ? insisté-je, suave.

Il s’ébroue.

— Oh ! oui… Eh bien ! j’ai apporté un lot de monnaies d’or très important : plus d’un million… Pour faciliter ma trésorerie, j’ai demandé à Balmin de me régler ça immédiatement…

— En espèces ?

— Ça vous choque ?

— C’est une grosse somme…

— Voyons, monsieur le commissaire, réfléchissez. Dans mon commerce, on a besoin de liquide, que dis-je ! on ne travaille qu’avec le liquide… Les gens qui vendent des objets anciens sont des gens dans la gêne, n’est-ce pas ?…

— Exact…

— J’ai demandé à Balmin de retirer cette somme… Comme j’avais ma voiture, je lui ai proposé de l’emmener… Il a accepté… L’attente dans le hall des Postaux l’a fatigué… Il avait mal au cœur lorsque son numéro a été appelé et je l’ai accompagné au guichet.

Il dévide son histoire comme un funambule marche sur un fil. En calculant la portée de chacun des mots qu’il va proférer.

— Et après ? insisté-je impitoyablement.

— Après, nous avons regagné ma voiture, il m’a remis la somme… À ce moment, j’ai vu qu’il était près de midi et que j’avais raté un rendez-vous important avec un client de province… Je me suis excusé et suis allé au bureau de poste qui se trouve à l’autre extrémité du bâtiment des Postaux. J’ai attendu pour la communication, car je demandais la province… la banlieue de Rouen… pour être précis. J’ai parlé longtemps, puis je suis retourné à ma voiture… Il y avait un rassemblement autour… L’agent en faction m’a expliqué ce qui venait de se passer.