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Il ne s’écoula que onze minutes avant que le pilote de Glisseur II rappelle, et ce qu’il dit réduisit à néant les derniers espoirs de ceux qui écoutaient.

— Ici Glisseur II. Vos suppositions, je le crains, étaient fondées. Nous n’avons pas encore atteint le Lac du Cratère. Nous sommes dans la gorge qui y mène. Mais l’observatoire a raison. Il y a eu plusieurs avalanches de rochers, et même par endroits nous avons eu du mal à passer. A l’instant où je vous parle, j’ai sous les yeux un amas de cailloux qui doit bien peser dix milles tonnes. Si le Séléné est là-dessous, nous ne le retrouverons jamais. Cela ne vaudrait même pas la peine d’essayer…

Le Contrôle du Trafic resta si longtemps silencieux que le pilote reprit la parole :

— Allô, la Base… M’entendez-vous ?

— Oui, je vous entends, dit l’Ingénieur en Chef d’une voix lasse. Voyez tout de même si vous ne pouvez pas retrouver leur trace. Je vous envoie Glisseur I pour vous aider. Êtes-vous sûr qu’il n’y a aucune chance de les déterrer ?

— Cela demanderait des semaines, et à condition qu’on les ait localisés. J’ai vu un glissement de rochers qui s’étend sur trois cents mètres de long. Si on essayait de creuser, cela provoquerait peut-être de nouvelles avalanches.

— Soyez prudents. Mettez-vous en contact avec moi tous les quarts d’heure, même si vous ne trouvez rien.

Lawrence posa l’écouteur.

Il était mentalement et physiquement exténué. Il n’y avait plus rien qu’il pût faire. Ou que quiconque pût faire, pensait-il.

Il essayait de mettre de l’ordre dans ses pensées. Il alla jusqu’à la fenêtre d’observation qui faisait face au Sud et contempla le croissant de la Terre.

Il était difficile de croire que la planète mère restait immuablement fixée en ce même point du ciel, tout près de l’horizon ; que jamais, pas même en un million d’années, elle ne se coucherait ou monterait plus haut dans l’espace. Si longtemps que l’on ait vécu dans cet endroit, c’était là un fait que l’esprit n’acceptait jamais tout à fait, tant il semblait contraire aux antiques habitudes et connaissances de l’espèce humaine.

Par-delà le gouffre immense qui séparait la Lune de la Terre (un gouffre qui pourtant s’était beaucoup rétréci pendant la durée d’une génération qui déjà oubliait le temps où on l’estimait infranchissable) bientôt allait se répandre la nouvelle qui causerait de l’émotion et des deuils. Parce que la Lune avait eu un léger sursaut dans son sommeil, bien des hommes et des femmes allaient pleurer.

Lawrence était si bien plongé dans ses tristes pensées qu’il lui fallait un moment pour comprendre que l’officier chargé des communications essayait d’attirer son attention.

— Excusez-moi, monsieur… Vous n’avez pas appelé Glisseur I. Dois-je le faire ?

— Quoi ?… Oui, oui… Appelez-le. Dites-lui de rejoindre Glisseur II dans le Lac du Cratère. Dites-lui que nous avons renoncé à poursuivre les recherches au large, dans la Mer de la Soif…

Chapitre VI

La nouvelle que les recherches étaient abandonnées dans la Mer de la Soif parvint à Lagrange II au moment où Tom Lawson, les yeux rougis par le manque de sommeil, avait presque achevé les modifications sur son télescope de cent centimètres.

Il avait lutté contre le temps, et maintenant il avait la sensation que tous ses efforts n’avaient été que du gaspillage.

Le Séléné n’était pas dans la Mer de la Soif, mais dans un endroit où il n’aurait pas pu le découvrir – caché qu’il était par les remparts du Lac du Cratère, et de surcroît probablement enterré sous quelques milliers de tonnes de rochers.

La première réaction de Tom ne fut pas de pitié envers les victimes, mais de colère provoquée par le temps perdu et les efforts inutiles.

On ne verrait jamais, sur les écrans d’information à travers l’univers, ce titre énorme : « Un jeune astronome retrouve des touristes disparus. »

Devant l’effondrement de ses rêves de gloire, il poussa des jurons pendant une bonne demi-minute, avec une volubilité qui aurait étonné ses collègues. Puis, toujours furieux, il commença à démonter l’équipement qu’il avait emprunté ou subtilisé dans les autres sections du satellite.

Il était sûr que ce qu’il avait mis au point aurait fonctionné. Il s’était basé sur une théorie parfaitement saine, et qui d’ailleurs était confirmée par presque un siècle de pratique.

Les examens par rayons infrarouges remontaient en effet aussi loin que la deuxième guerre mondiale, durant laquelle ils avaient été utilisés pour repérer les usines camouflées au moyen de la chaleur qu’elles dégageaient.

Bien que le Séléné n’ait laissé aucune trace apparente à la surface de la mer de poussière, il devait sûrement y avoir laissé un indice repérable à l’infrarouge. Ses éventails propulseurs avaient brassé cette substance jusqu’à une certaine profondeur, ramenant vers l’extérieur très froid une partie des couches internes plus chaudes. Un œil capable de voir le rayonnement thermique aurait pu suivre le trajet du bateau pendant des heures après son passage.

Tom avait calculé qu’il avait encore le temps de se livrer à cet examen avant que le soleil ne vînt effacer sur la Mer de la Soif le faible sillage thermique qui subsistait dans la nuit lunaire.

Mais maintenant, de toute évidence, cela ne servirait à rien d’essayer…

* * *

C’était une bonne chose, à bord du Séléné, que personne n’ait appris que les recherches dans la Mer de la Soif avaient été abandonnées, et que les « glisseurs » concentraient maintenant leurs efforts dans le Lac du Cratère.

Il était bon aussi qu’aucun des passagers ne connût les déductions faites par le Docteur Mc Kenzie.

Le physicien, sur une bande enregistreuse qu’il avait fabriquée lui-même, avait établi le graphique probable des hausses de température. Toutes les heures, en outre, il notait la température dans la cabine et la reportait sur la feuille. Il avait la satisfaction déprimante de constater que sa théorie était justifiée. En vingt heures, la température atteindrait 110 degrés Fahrenheit, et les premières morts par congestion commenceraient à survenir.

De quelque façon qu’il considérât les choses, il estimait qu’il ne leur restait plus qu’une journée à vivre. Dans ces conditions, les efforts faits par le Commodore Hansteen pour maintenir le moral ressemblaient à une plaisanterie. Qu’il y parvienne ou non, le résultat serait le même dans vingt-quatre heures.

Mais était-ce vrai ? Bien qu’ils n’eussent plus d’autre choix que de mourir comme des hommes ou de mourir comme des bêtes, la première solution semblait la meilleure.

Oh ! Il n’y aurait pas de différence, surtout si le Séléné demeurait jusqu’au bout des temps sans être découvert et si personne ne savait jamais comment ses occupants avaient passé leurs dernières heures. Mais il s’agissait là d’une chose qui dépassait la logique et la raison, d’une de ces choses qui étaient d’une importance extrême pour l’homme quant à son attitude devant la vie et devant la mort.

Le Commodore Hansteen en avait parfaitement conscience tandis qu’il préparait un programme pour le peu d’heures qu’ils avaient encore devant eux.

Certains hommes sont nés pour être des chefs, et il était l’un d’eux. La sensation de vide qu’il avait éprouvée en prenant sa retraite avait maintenant disparu. Pour la première fois depuis qu’il avait quitté le « pont » du vaisseau-amiral Le Centaure, il se sentait de nouveau lui-même.