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Tant que sa petite équipe serait occupée, il n’avait pas de souci à se faire pour son moral. Peu importait ce qu’ils faisaient, pourvu qu’ils le trouvent intéressant et absorbant.

Cette partie de poker, par exemple, passionnait l’agent comptable, l’ancien ingénieur civil et les deux hommes d’affaires de New York qui étaient en vacances. Au premier coup d’œil, on pouvait voir qu’ils étaient des fanatiques de ce jeu. Le problème serait plutôt de les arrêter que de les laisser à cette occupation.

La plupart des autres passagers s’étaient réunis par petits groupes et bavardaient avec animation. Le Comité des Loisirs siégeait toujours : le professeur Jayawardene prenait de temps à autre des notes tandis que Mrs Schuster évoquait l’époque où elle jouait dans des « burlesques » – malgré les tentatives de son mari pour la faire taire.

La seule personne qui semblait un peu à l’écart était Miss Morley. Elle écrivait, avec lenteur et minutie, dans ce qui restait de son bloc-notes. En bonne journaliste, elle devait probablement tenir le « journal » de ses aventures. Le Commodore Hansteen se dit que celui-ci serait malheureusement plus court qu’elle ne le supposait, et que même le peu de pages qui lui restait ne serait pas rempli. Si en tout cas il l’était, il doutait que quelqu’un pût jamais lire ce qu’elle avait noté.

Il regarda sa montre et fut surpris de constater qu’il était déjà si tard. Il aurait déjà dû être de l’autre côté de la Lune, de retour à Clavius City. Il avait été invité à un dîner au « Lunar Hilton », après quoi… Mais il n’avait plus aucune raison de penser à cet avenir qui n’existerait pas. Le bref présent devait suffire pour l’occuper maintenant.

Peut-être vaudrait-il mieux dormir un peu avant que la température ne devînt insupportable. Le Séléné n’avait pas été conçu pour servir de dortoir – ni non plus de tombe – mais il fallait s’en accommoder. Cela supposait quelques arrangements et peut-être même aussi quelques dommages causés aux biens du Comité Touristique.

Il réfléchit à ce problème pendant une vingtaine de minutes, puis, après une rapide conférence avec le capitaine Harris, il s’adressa aux passagers.

— Mesdames et messieurs, leur dit-il, nous avons tous eu une journée très chargée et je pense que la plupart d’entre vous seraient heureux de prendre un peu de sommeil. Cela soulève quelques problèmes, mais je me suis livré à diverses expériences et j’ai découvert que les accoudoirs des fauteuils, si l’on insistait un peu, consentaient à sortir de leurs charnières. Ils n’étaient pas faits pour cela, mais je doute que le Comité du Tourisme engage des poursuites contre nous. De cette façon, dix d’entre nous pourront s’allonger en travers des sièges. Les autres devront se contenter du plancher.

Il reprit après une courte pause :

— Autre chose encore… Vous avez tous constaté qu’il fait de plus en plus chaud, et cela va continuer pendant quelque temps. C’est pourquoi je vous conseille de quitter les vêtements qui ne vous sont pas nécessaires. Le confort est plus important que la pudeur. (Et la volonté de survivre, ajouta-t-il dans son for intérieur, est plus importante que le confort. Mais il ne fallait pas parler de cela avant plusieurs heures.)

Il ajouta encore :

— Nous éteindrons les lumières dans la cabine principale. Mais, pour ne pas nous trouver dans une obscurité totale, nous garderons allumée une lampe à faible puissance. L’un de nous restera de garde sur le siège du capitaine. Mr. Harris prépare une liste des relèves qui se feront de deux heures en deux heures. Avez-vous quelques objections à formuler ou quelques questions à poser ?

Personne ne dit mot et le Commodore poussa un soupir de soulagement.

Il avait redouté que quelqu’un ne voulût savoir pourquoi la température montait et il ne savait pas bien ce qu’il aurait répondu. Parmi ses nombreuses qualités ne figurait pas le don de savoir mentir. Et il avait le souci de voir les passagers jouir d’un sommeil aussi paisible que possible.

A moins d’un miracle, ce serait leur dernier sommeil…

Miss Wilkins, qui commençait à perdre un peu de son impeccable allure professionnelle, apporta des boissons pour ceux qui en désiraient.

La plupart des passagers avaient déjà retiré une partie de leurs vêtements. Les plus timides attendaient que les principales lumières se soient éteintes. Quand elles le furent et que ne subsista qu’une lueur rougeâtre, l’intérieur du Séléné prit un aspect fantastique – un aspect qui aurait été inconcevable quand le bateau avait quitté Port Roris quelques heures plus tôt.

Vingt-deux hommes et femmes, qui pour la plupart n’avaient plus que leurs sous-vêtements, gisaient épars sur les sièges et sur le plancher. Quelques-uns – les plus heureux – ronflaient déjà. Mais pour beaucoup le sommeil serait plus long à venir.

Le capitaine Harris s’était installé à l’arrière. En fait, il n’était pas dans la cabine, mais dans la petite cuisine qui faisait corps avec la valve de sortie. C’était un excellent point d’observation. Maintenant que la porte de communication avait été rabattue, il pouvait voir toute la longueur de la cabine et garder son œil sur chacun de ceux qui s’y trouvaient.

Il se fit un coussin avec son uniforme et le posa sur le plancher. Six heures allaient s’écouler avant qu’il ne prît son tour de garde et il espérait que d’ici là il pourrait dormir un peu.

Dormir ! Il savait qu’il vivait les dernières heures de sa vie. Et pourtant il n’avait rien de mieux à faire. Il se demanda comment dormaient les condamnés à mort durant la nuit qui précédait leur exécution.

Il était si désespérément fatigué que même cette pensée ne lui causa aucune émotion. La dernière chose qu’il remarqua avant de perdre conscience fut le geste du docteur McKenzie, qui faisait un nouveau relevé de température et le reportait soigneusement sur sa feuille – comme un astrologue en train de préparer un horoscope.

A quinze mètres au-dessus d’eux – une distance qui aurait pu être parcourue d’un seul bond avec la faible pesanteur sur la Lune – le jour venait de poindre.

Il n’y a pas de crépuscule sur ce satellite, mais depuis plusieurs heures déjà le ciel portait la promesse de l’aube. Bien avant qu’apparaisse le soleil se manifestait la brillante pyramide de la lumière zodiacale, si peu souvent visible sur la Terre. Avec une lenteur infinie elle se frayait son chemin au-dessus de l’horizon, devenant de plus en plus étincelante à mesure qu’approchait le moment du lever du soleil.

Maintenant celui-ci émergeait dans une couronne de gloire opalescente, faisant courir une tresse de feu le long de l’horizon. Il réapparaissait après quinze jours de ténèbres. Il faudrait plus d’une heure – tant la Lune tournait lentement sur son axe – pour que le globe solaire tout entier fût au-dessus de l’horizon. Mais déjà la nuit avait pris fin.

Une marée d’encre, chassée par la terrible lumière de l’aube, s’éloignait sur la Mer de la Soif. Maintenant celle-ci semblait ratissée par des rayons presque horizontaux. Le moindre objet qui se serait dressé à sa surface aurait projeté une ombre jusqu’à des centaines de mètres, révélant aussitôt sa présence à quiconque aurait fait des recherches.

Mais il n’y avait plus de chercheurs dans cette zone. Glisseur I et Glisseur II menaient maintenant leur quête futile à quinze kilomètres de là, dans le Lac du Cratère.

Celui-ci était toujours dans l’obscurité. Il faudrait encore deux jours pour que le soleil se soit élevé au-dessus des pics environnants, qui eux étaient déjà illuminés.