Tandis que les heures passeraient, le mince filet de lumière se glisserait le long du flanc des montagnes – sans aller plus vite, par endroits, qu’un homme marchant au pas – et quand le soleil serait assez haut, ses rayons enfin frapperaient le fond du cratère.
Mais des lumières d’origine humaine étaient déjà visibles sur le lac. C’étaient celles des chercheurs qui erraient entre les rochers effondrés et qui photographiaient les endroits où des avalanches s’étaient produites pendant les brefs instants où la Lune était sortie de son sommeil.
D’ici une heure, ces photos auraient atteint la Terre. Une heure plus tard, on les connaîtrait dans tout l’univers habité.
Ce serait une mauvaise chose pour l’industrie touristique lunaire.
Quand le Capitaine Harris se réveilla, il faisait déjà beaucoup plus chaud.
Mais ce n’était pas la chaleur oppressante qui avait interrompu son sommeil une bonne heure avant le moment où il aurait dû prendre son tour de garde.
Bien qu’il n’eût jamais passé la nuit à bord du Séléné, Pat connaissait tous les bruits qui pouvaient se produire dans le bateau. Quand les moteurs ne fonctionnaient pas, il était presque silencieux. Il fallait tendre l’oreille pour saisir le murmure des pompes à air et la pulsation sourde des appareils rafraîchisseurs. Ces sons existaient toujours et étaient les mêmes qu’avant qu’il ne s’endormit. Aucun changement à cet égard. Mais il y avait maintenant un bruit nouveau.
Cela ressemblait à un chuchotement presque imperceptible – si faible même que pendant un moment il se demanda s’il ne se l’imaginait pas. Que ce bruit ait atteint son subconscient à travers les barrières du sommeil semblait incroyable. Maintenant qu’il était éveillé, il ne pouvait pas l’identifier ni même se rendre compte de quelle direction il venait.
Brusquement il sut pourquoi il avait repris conscience. En une seconde, toute trace de sommeil disparut en lui. Il se leva rapidement et colla son oreille contre la porte de la valve d’entrée. Car ce bruit mystérieux venait de l’extérieur de la coque.
Maintenant, il l’entendait mieux, faible mais distinct. Il sentit sa peau se hérisser de peur. Le doute n’était pas possible. Ce qu’il entendait était le murmure de myriades de grains de poussière qui coulaient le long des parois du Séléné – une sorte de tempête de sable fantomale.
Mais qu’est-ce que cela signifiait ? La mer s’était-elle une fois encore remise en mouvement ? S’il en était ainsi, allait-elle emporter le Séléné ?
Pourtant il n’y avait dans le bateau lui-même aucune vibration, aucun indice de mouvement. C’était le monde extérieur, seul, qui bruissait.
Très délicatement, en prenant grand soin de ne pas réveiller ses compagnons endormis, Pat traversa sur la pointe des pieds la cabine presque obscure.
Le docteur McKenzie était en train de monter la garde. Le savant était juché sur le siège du pilote, regardant dehors à travers les panneaux aveuglés. Il se retourna tandis que Pat approchait et murmura :
— Quelque chose qui ne va pas à l’arrière ?
— Je ne sais pas… Venez voir…
Parvenus dans la cuisine, ils collèrent leurs oreilles contre la porte et écoutèrent pendant un long moment ce mystérieux crépitement. Bientôt McKenzie dit :
— Il n’y a pas de doute, c’est la poussière qui bouge. Mais je ne vois pas pourquoi. Voilà encore un autre problème à résoudre…
— Un autre ?
— Oui. Je ne sais pas ce qui se passe en ce qui concerne la température, elle continue de monter, mais beaucoup moins vite qu’elle ne le devrait.
Le physicien semblait réellement ennuyé que ses calculs aient été incorrects. Mais pour Pat, ce fut la première bonne nouvelle depuis le désastre.
— Ne prenez pas cet air embêté, dit-il. Nous commettons tous des erreurs. Et si celle-ci nous donne une prolongation de vie, ce n’est pas moi qui m’en plaindrai…
— Mais je ne peux pas avoir commis de faute… Il s’agissait d’un calcul tout à fait élémentaire. Nous savons combien vingt-deux personnes engendrent de chaleur, et que cette chaleur doit aller quelque part.
— Elles en produisent moins quand elles dorment. C’est peut-être là l’explication.
— Vous ne pensez tout de même pas que j’aie négligé un élément aussi évident, reprit le savant avec vivacité. Et le fait que les gens dorment, de toute façon, ne serait pas suffisant. Il y a une autre raison pour que la température n’ait pas monté autant qu’elle l’aurait dû.
— Contentons-nous de constater la chose, dit Pat, et d’en être heureux. En attendant, que pensez-vous de ce bruit ?
Avec une visible répugnance McKenzie tourna son esprit vers ce nouveau problème.
— La poussière bouge, dit-il, mais nous ne bougeons pas. Il ne peut donc s’agir que d’un phénomène local. En fait, il ne semble se produire qu’à l’arrière du bateau. Je me demande si cela peut signifier quelque chose.
Il fit un geste vers la cloison qui était derrière eux.
— Qu’y a-t-il de l’autre côté ?
— Les moteurs, la réserve d’oxygène, les appareils de refroidissement.
— Les appareils de refroidissement ! Parbleu ! Je me rappelle avoir noté cela lorsque je suis monté à bord. Et les ailettes des radiateurs sont là-derrière, n’est-ce pas ?
— C’est exact.
— Maintenant je vois ce qui s’est passé. Ces ailettes sont devenues si chaudes que la poussière s’est mise à circuler, comme l’aurait fait n’importe quel autre liquide chauffé. Il y a un courant de poussière là derrière, une sorte de fontaine, qui emporte notre surplus de chaleur. Avec un peu de chance, la température va se stabiliser maintenant. Nous ne serons pas très à l’aise, mais nous pourrons survivre.
Dans la lumière atténuée, les deux hommes se regardaient. Un nouvel espoir naissait en eux. Pat dit, lentement :
— Je suis sûr que c’est la bonne explication. Notre chance est peut-être en train de tourner.
Il regarda sa montre et fit un rapide calcul mental.
— Le soleil maintenant est en train de se lever sur la Mer de la Soif. La Base a certainement envoyé des « glisseurs » pour nous rechercher, et ils connaissent approximativement notre position. Je parierais à dix contre un que d’ici quelques heures ils nous auront retrouvés.
— Devons-nous prévenir le Commodore ?
— Non. Laissons-le dormir. Il a eu une journée plus pénible qu’aucun d’entre nous. Cette nouvelle peut attendre jusqu’à ce qu’il se réveille.
Lorsque McKenzie l’eut quitté, Pat essaya de reprendre son sommeil interrompu. Mais il ne le put pas. Il resta les yeux grands ouverts, dans la faible clarté rougeâtre, songeant à ce tour étrange du destin.
La poussière qui les avait engloutis puis les avait menacés de les faire mourir de chaleur, maintenant venait à leur aide, avec ce courant qui évacuait le surplus de calories vers la surface. Mais ce courant continuerait-il à fonctionner quand le soleil frapperait la Mer de la Soif de ses rayons ardents ? Il n’en savait rien…
Derrière la paroi, la poussière continuait à murmurer, et soudain il se souvint d’un vieux sablier qu’on lui avait montré quand il était enfant. Lorsqu’on le retournait, le sable coulait à travers un étroit passage, glissant de la poche supérieure à la poche inférieure et marquant ainsi l’écoulement des minutes et des heures.
Avant l’invention des horloges, des tas d’hommes avaient ainsi mesuré le temps au moyen de grains de sable en mouvement. Mais personne encore, assurément, n’avait vu le temps qui lui restait à vivre scandé par une fontaine de poussière.