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— Ils sont là, dit-il en montrant le centre de l’écran. Vous voyez là les Montagnes Inaccessibles. Et tout autour, c’est la Mer de la Soif.

Spenser contempla, avec un effroi qui n’était pas feint, les taches blanches et noires, au dessin aigu, que formaient les montagnes vers lesquelles ils tombaient. Il espéra que le pilote – humain ou électronique – connaissait bien son métier.

Le vaisseau semblait encore se mouvoir à une vitesse considérable. Mais Spenser comprit bientôt qu’il dérivait vers une région plus plate sur la gauche de l’écran. Les montagnes et la curieuse zone grisâtre qui les entouraient n’étaient maintenant plus au centre de l’image, et glissaient vers la droite.

— Port Roris, s’exclama Tom d’une façon inattendue, en montrant une petite tache sombre à peine visible sur le côté gauche. C’est là que nous allons nous poser.

— Eh bien, dit Spenser – qui était décidé à ne pas laisser se ralentir la conversation – je n’aurais pas aimé atterrir dans ces montagnes. On ne retrouvera jamais ces pauvres diables s’ils sont perdus dans ce désert tourmenté. N’a-t-on pas dit qu’ils avaient été pris sous une avalanche de rochers ?

Tom eut un petit rire donnant à penser qu’il en savait davantage.

— On l’a dit, fit-il sur un ton de scepticisme.

— Quoi ? Ne serait-ce pas exact ?

Tom Lawson, un peu tard, s’avisa qu’il avait peut-être été trop loin.

— Je ne peux pas vous en dire davantage, fit-il de sa voix un peu criarde.

Spenser n’insista pas.

Il en avait déjà appris suffisamment pour se convaincre de diverses choses.

Clavius City attendrait : il était préférable qu’il reste quelque temps à Port Roris.

Sa conviction fut encore raffermie lorsqu’il constata après l’atterrissage, avec un œil d’ailleurs envieux, que pour Tom Lawson, les habituelles formalités sanitaires, douanières et autres ne durèrent pas plus de trois minutes.

* * *

Quelqu’un qui aurait pu écouter les bruits qui se produisaient à l’intérieur de la coque du Séléné aurait été déconcerté. Il aurait entendu un chœur assez peu mélodieux fait de vingt-et-une voix chantant sur tous les registres la célèbre chanson : « Heureux Anniversaire ! »

Quand ce vacarme se fut apaisé, le Commodore Hansteen demanda :

— Y a-t-il quelqu’un d’autre parmi vous, en dehors de Mrs. Williams, dont nous puissions aussi célébrer l’anniversaire ? Je sais, naturellement, que certaines dames, quand elles ont atteint un certain âge, n’aiment pas beaucoup que l’on évoque la date de leur naissance…

Il n’y eut pas d’autres volontaires. Mais la voix du physicien David McKenzie, dominant les rires, se fit entendre.

— A propos des anniversaires, dit-il, on constate quelque chose de bizarre. Et j’ai souvent, grâce à cela, gagné des paris. Sachant qu’il y a trois cent soixante-cinq jours dans l’année, combien de personnes, à votre avis, faudrait-il réunir pour qu’il y ait cinquante pour cent de chances que deux d’entre elles aient leur anniversaire à la même date ?

Il y eut un bref instant de silence. Les passagers examinaient la question. L’un d’eux répondit :

— Eh bien, je pense qu’il faudrait prendre la moitié de trois cent soixante-cinq. Disons cent quatre-vingts.

— C’est la réponse qui vient évidemment à l’esprit – mais elle est complètement fausse. A partir de vingt-quatre personnes formant un groupe vous avez déjà de bonnes chances pour que deux d’entre elles soient nées le même jour du même mois.

— C’est absurde… Vingt-quatre comparé à trois cent soixante-cinq…

— Je regrette, mais c’est ainsi. Et s’il y a plus de quarante personnes, neuf fois sur dix deux d’entre elles auront le même anniversaire. Je suis même convaincu qu’il y a une chance pour que ce soit le cas dans notre petit groupe. Que diriez-vous si nous vérifiions la chose, Commodore ?

— Très bien… D’accord. Je vais faire le tour de la cabine et demander à chacun la date de sa naissance.

— Non, non, protesta McKenzie. Pas de cette façon-là. Il y en a qui pourraient tricher. Les dates doivent être écrites, afin que personne ne les entende…

Une page presque vierge d’un des guides de tourisme fut sacrifiée à cette fin. Elle fut coupée en vingt-deux petits morceaux.

Quand on lut les résultats, on put constater, à l’étonnement de chacun et à la grande joie de McKenzie, que Pat Harris et Robert Bryant étaient nés l’un et l’autre le 23 mai.

— Pur hasard, dit un sceptique.

Sur quoi une demi-douzaine de passagers du sexe masculin se lancèrent dans une discussion mathématique. Mais cela n’enchanta pas les dames. Ou bien les mathématiques ne les intéressaient pas, ou bien elles préféraient ne pas penser à leur date de naissance.

Quand le Commodore estima que cela avait assez duré, il interrompit la discussion.

— Mesdames et Messieurs, dit-il, passons à la partie suivante de notre programme. Je suis heureux de vous faire savoir que notre Comité des Loisirs, qui est composé de Mrs Schuster et du professeur Jaya… Jayawardene, a eu une idée qui est susceptible de nous donner quelque divertissement. Il suggère que nous instaurions un tribunal et que nous soumettions chacun de nous à un interrogatoire. Le but du tribunal est de trouver une réponse à cette question : pourquoi êtes-vous venus sur la Lune ? Naturellement il est possible que certains passagers ne désirent pas être interrogés – car je présume que bon nombre d’entre vous sont ici parce qu’ils fuient la police, ou leurs femmes… Vous aurez donc le droit de refuser de répondre, mais ne nous blâmez pas si nous tirons de ce refus des déductions aussi fâcheuses que possible. Eh bien, que pensez-vous de cette idée ?

Elle fut accueillie avec un enthousiasme visible par les uns et, par d’autres, avec des grognements de désapprobation. Mais comme il n’y avait pas d’opposition vraiment massive, le Commodore passa outre.

Presque automatiquement, Hansteen fut élu président de cette Cour, et non moins automatiquement Irving Schuster fut nommé avocat-général.

Les deux premiers fauteuils furent retournés, de façon à faire face à l’auditoire : ils rempliraient l’office de l’estrade sur laquelle siège la Cour, et l’avocat-général tout comme le président y prirent place aussitôt.

Lorsque tout le monde fut installé et que le greffier – Pat Harris pour la circonstance – eût invité la foule à faire silence, le président prononça une brève allocution :

— Nous ne sommes pas encore engagés dans une procédure criminelle, dit-il en s’efforçant de garder son sérieux. Ceci n’est qu’une enquête préliminaire. Si un témoin se sent intimidé par mon éminent collègue, il pourra en appeler à la Cour. Greffier, veuillez faire avancer le premier témoin.

— Heu… Votre honneur… Qui est le premier témoin ? demanda le greffier non sans raison.

Il fallut dix minutes de discussion entre la Cour, l’éminent avocat et les membres du public portés aux arguties pour régler ce point important.

Finalement il fut décidé que l’on tirerait au sort, et le premier nom désigné fut celui de David Barrett.

Avec un léger sourire, le témoin s’avança et prit place dans l’étroit espace entre le public et la Cour.

Irving Schuster, qui avait l’impression de ne pas être très imposant en gilet et en caleçon – et qui en effet ne l’était qu’assez peu – s’éclaircit bruyamment la gorge.