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— Votre nom est David Barrett.

— C’est exact.

— Votre profession.

— Ingénieur agronome, en retraite.

— Mr. Barrett, voulez-vous dire à la Cour exactement pourquoi vous êtes venu dans la Lune.

— J’étais curieux de voir à quoi cela ressemblait ici. Je disposais du temps et de l’argent nécessaires.

Irving Schuster regarda obliquement Barrett, à travers les verres épais de ses lunettes. Il avait remarqué depuis longtemps que cela avait le don d’intimider les témoins.

Porter des lunettes était d’ailleurs un signe d’excentricité à cette époque, mais les médecins et les avocats – en particulier les plus vieux – continuaient à les recommander, en sorte que les lunettes avaient fini par symboliser le barreau et la médecine.

— Vous étiez curieux de voir à quoi la Lune ressemblait ? répéta Schuster. Ce n’est pas une explication. Pourquoi aviez-vous cette curiosité ?

— Je crains bien que cette question ne soit un peu vague et que je ne puisse pas y répondre. Pourquoi fait-on certaines choses ?

Le Commodore Hansteen se détendit avec un sourire de plaisir. Tout se passait exactement comme il l’avait souhaité. Ce qu’il fallait, c’était amener les passagers à parler librement d’une chose qui présentait pour tous un intérêt commun et qui ne susciterait ni passion ni controverse. (Et si cela venait à se produire, il lui appartiendrait d’y mettre bon ordre.)

— J’admets, reprit l’avocat, que ma question aurait pu être posée d’une façon un peu plus précise. Je vais essayer de la formuler autrement…

Il réfléchit un instant et fouilla dans ses papiers. Ceux-ci consistaient en pages arrachées à un guide touristique et dans les marges desquelles il avait gribouillé quelques-unes des questions qu’il voulait poser. En fait, il n’avait ces papiers que pour se donner une contenance. Il n’avait jamais aimé officier dans un tribunal sans tenir quelque chose à la main : à certains moments, il était très utile, pour se donner le temps de la réflexion, d’avoir l’air de chercher quelque chose dans ses notes.

— Serait-il correct de demander si vous avez été attiré par les beautés pittoresques de la Lune ?

— Oui. Cela a fait partie de l’attraction qu’elle a exercée sur moi. J’avais lu, naturellement, la littérature touristique, et j’avais vu des films. Je me demandais si la réalité serait aussi bien…

— Et elle le fut ?

— Je dirai, répondit l’autre froidement, qu’elle a très largement dépassé mon attente.

Il y eut un éclat de rire général.

Le Commodore Hansteen frappa sur le dossier de son siège.

— Silence ! dit-il. S’il y a du désordre je ferai évacuer le tribunal.

Ces paroles, comme il l’avait prévu, soulevèrent des rires plus bruyants encore, et il les laissa paisiblement s’apaiser d’eux-mêmes. Quand l’explosion de joie se fut calmée, Schuster reprit la parole. Il le fit sur le ton où il aurait demandé : « Où étiez-vous pendant la nuit du 22 ? »

— Tout cela est très intéressant, Mr. Barrett, dit-il. Ainsi vous êtes venu jusqu’ici à grands frais pour contempler le paysage. Dites-moi, avez-vous jamais vu le Grand Canyon du Colorado ?

— Non. Et vous ?

— Votre Honneur, gémit Schuster, ce témoin met de la mauvaise volonté dans ses réponses.

Hansteen regarda avec sévérité Mr. Barrett, qui ne sembla pas le moins du monde confus.

— Ce n’est pas vous qui menez cette enquête, Mr. Barrett. Vous avez à répondre aux questions, mais il ne vous appartient pas d’en poser.

— Je m’excuse, Mylord, fit le témoin.

— Heu… fit Hansteen, suis-je « Mylord » ? Je croyais plutôt que j’étais « Votre Honneur »…

Il jeta à Schuster un regard Interrogateur.

— Votre Honneur… dit l’avocat, je suggère que chaque témoin vous donne le titre qui est en usage dans son propre pays. Dès l’instant où la déférence requise envers la Cour est observée, cela me semble suffisant.

— Très bien. Continuons…

Schuster se tourna de nouveau vers le témoin.

— J’aimerais savoir, Mr. Barrett, pourquoi vous avez éprouvé le besoin de visiter la Lune alors qu’il y a tant de choses intéressantes sur la Terre que vous n’aviez pas encore vues ? Pouvez-vous nous donner une raison réellement valable de ce comportement illogique ?

C’était une bonne question, une de celles qui pouvaient intéresser tout le monde, et Barrett fit un sérieux effort pour y répondre.

— J’ai déjà vu pas mal de choses sur la Terre, dit-il lentement, avec son accent britannique très prononcé – une chose qui était devenue presque aussi rare que les lunettes de Schuster. J’ai séjourné à l’Hôtel Everest. J’ai vu les deux pôles. Je suis allé au fond du gouffre de Calypso. Je connais donc assez bien notre planète. Disons qu’elle a perdu la faculté de m’étonner. La Lune, au contraire, est un monde complètement nouveau – et un monde qui n’est même pas à vingt-quatre heures du nôtre. Je n’ai pas pu résister à l’attrait de cette nouveauté.

Hansteen n’écoutait que d’une oreille assez distraite cette consciencieuse analyse. Il observait l’auditoire tandis que Barrett parlait. Il commençait déjà à se faire une opinion sur l’équipage et sur les passagers du Séléné et à repérer ceux sur qui on pourrait compter au cas où les choses prendraient une vilaine tournure, et ceux qui pourraient donner des ennuis.

L’homme-clef, naturellement était le Capitaine Harris. Le Commodore connaissait bien ce type humain. Il l’avait rencontré souvent dans l’espace – et plus souvent encore dans les établissements d’entraînement pour l’astrotechnique. Chaque fois qu’il avait eu l’occasion de faire un speech devant ces jeunes gens, il avait toujours vu au premier rang une collection de Pat Harris soigneusement rasés et dans des tenues impeccables.

Pat était un jeune technicien compétent mais sans grandes ambitions et qui avait trouvé un travail qui lui convenait parfaitement, un travail n’exigeant de lui que beaucoup de soins et beaucoup de courtoisie. Hansteen était absolument certain que les charmantes passagères n’avaient jamais eu à se plaindre de lui.

C’était de toute évidence un homme loyal, consciencieux, doté de peu d’imagination. Il saurait accomplir son devoir jusqu’au bout, tel qu’il le voyait, et au besoin il saurait mourir correctement, sans faire d’embarras.

C’était là une vertu que ne possédaient pas beaucoup d’hommes plus doués que lui, et c’était de cette vertu-là que l’on aurait surtout besoin à bord du bateau si dans quatre ou cinq jours ils y étaient encore enfermés.

Miss Wilkins, l’hôtesse, était presque aussi importante à cet égard que le capitaine. Elle ne correspondait certainement pas à l’image stéréotypée de l’hôtesse classique : charmes vaporeux et sourire figé. Cette jeune femme, Hansteen en était sûr, possédait, outre une excellente éducation, un solide caractère. Il est vrai que beaucoup d’hôtesses de l’espace qu’il avait connues avaient ces mêmes qualités.

Au fond, il était très satisfait de l’équipage.

Mais les passagers ?

Bien entendu, et d’une façon générale, ils étaient tous nettement au-dessus de la moyenne. Autrement ils ne seraient pas venus ou n’auraient pas pu venir sur la Lune.

Il y avait, à bord du Séléné, une impressionnante réserve de compétences et de talents. Malheureusement, par une ironie de leur situation, aucune de ces compétences, aucun de ces talents ne pouvaient leur être d’un grand secours.

Ce qui était nécessaire, c’était du caractère, de la force d’âme – et, pour tout dire d’un seul mot, du courage.