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— Je ne toucherai à rien, dit Tom. Je suis prêt. Nous pouvons partir.

Il fit quelques pas, très maladroitement, car il n’était accoutumé ni au scaphandre, ni à la pesanteur lunaire. Il prit place sur le siège de l’observateur de Glisseur II. Une sorte de cordon ombilical, qui partait de sa hanche droite, fut branché, faisant communiquer son scaphandre avec la réserve d’oxygène et le circuit électrique. Sur cet esquif, il pouvait être maintenu en vie – bien que d’une façon peu confortable – pendant deux ou trois jours.

Le petit hangar était à peine assez grand pour les deux « glisseurs ». Il ne fallut cependant que quelques minutes pour que les pompes évacuent l’air. En sentant son vêtement se raidir autour de lui, Tom éprouva un commencement de panique. Mais comme l’ingénieur et les deux pilotes l’observaient il ne voulut pas leur donner la satisfaction de penser qu’il avait peur. Mais il ignorait qu’aucun homme ne peut se garder d’une certaine appréhension lorsque, pour la première fois de sa vie, il fait connaissance avec le vide sans autre protection qu’un scaphandre.

Les portes en forme de coquilles pivotèrent. Il eut la sensation que des doigts fantomatiques le touchaient tandis que les dernières bouffées d’air se dispersaient dans l’espace, en exerçant sur son vêtement une légère pression.

Alors, la grise surface de la Mer de la Soif, plate et monotone, s’étendit devant lui jusqu’à l’horizon.

Pendant un moment il lui sembla impossible que ce qu’il voyait tout autour de lui, à quelques mètres, était réel et correspondait aux images qu’il avait étudiées du lointain espace. (Il se demanda qui, maintenant, se servait du télescope de cent centimètres ? Un de ses collègues, du haut de son observatoire sur le satellite artificiel, était-il en train de scruter la Lune ?)

Ce qu’il voyait, lui, n’était pas une image projetée sur un écran par des électrons en mouvement, mais bien la réalité même, cette substance étrange et amorphe qui avait englouti vingt-deux hommes et femmes sans que l’on retrouvât la trace de leur bateau. C’était cette Mer de la Soif à travers laquelle il allait maintenant, lui, Tom Lawson, s’aventurer sur un engin fragile.

Mais il n’eut pas le temps de beaucoup réfléchir. Le « glisseur » vibra au dessous de lui et les propulseurs se mirent en mouvement. A la suite de Glisseur I, l’appareil sur lequel il était se mit à avancer lentement sur la surface nue de la Lune.

Les longs rayons du soleil qui commençait à monter dans le ciel les frappèrent dès qu’ils sortirent de l’ombre des bâtiments du port. Même avec la protection des filtres automatiques, il était dangereux de regarder en face cette terrible lumière d’un bleu blanchâtre qui surgissait du ciel oriental.

Le ciel oriental ? Non. Tom corrigea aussitôt cette erreur qu’il venait de faire. Il n’était pas sur la Terre, mais sur la Lune. Le soleil se levait à l’ouest.

« Ainsi, se disait-il, nous allons vers le nord-est, à travers le Sinus Roris, suivant le trajet même qui fut celui du Séléné – de ce bateau qui n’est pas revenu. »

Maintenant que les dômes assez bas du port s’amenuisaient à l’horizon, l’astronome éprouva un peu l’ivresse et l’excitation que donnent toutes les formes de vitesse. Mais cette sensation ne dura que quelques minutes, jusqu’au moment où tous les repères qui se trouvaient au sol eurent disparu. Il eut alors l’impression illusoire de se trouver au centre même d’une plaine infinie.

Malgré les remous des propulseurs en éventails et les retombées silencieuses des paraboles de poussière derrière eux, ils semblaient ne plus bouger.

Tom, bien que sachant qu’ils allaient à une vitesse qui leur permettrait de traverser la mer en deux heures, dut pourtant lutter contre la peur qu’ils ne fussent à des années-lumière de toute possibilité de secours. C’est à ce moment-là qu’il commença, un peu tardivement, à éprouver, en rechignant, du respect pour les hommes avec lesquels il travaillait.

L’endroit lui parut propice pour commencer à vérifier son équipement. Il brancha son détecteur et le fit se mouvoir dans toutes les directions au-dessus de l’étendue déserte qu’ils venaient de traverser. Avec une paisible satisfaction, il nota les deux traces de lumière aveuglante que laissaient derrière eux leurs esquifs sur la surface obscure de la mer.

Ce test, il est vrai, était d’une facilité enfantine. Le fantôme de la puissance thermique du Séléné serait un million de fois plus malaisé à détecter dans la chaleur croissante de l’aube. Mais le résultat n’en était pas moins encourageant. S’il ne s’était pas produit, il aurait été inutile de continuer la recherche.

— Comment ça marche ? demanda l’Ingénieur en Chef qui avait dû l’observer de l’autre « glisseur ».

— J’ai l’impression, répondit prudemment Tom, que ça va normalement.

Il pointa le détecteur vers le croissant lumineux de la Terre. C’était un objectif un peu plus difficile mais pas réellement redoutable, car une très grande sensibilité n’était pas nécessaire pour capter la douce chaleur que la planète mère irradiait dans la froide nuit de l’espace.

Le résultat ne se fit pas attendre… La Terre, à l’examen par l’infrarouge, donnait une image étrange et tout d’abord déroutante. Elle ne ressemblait plus à un croissant nettement délimité et géométriquement parfait, mais à une sorte de champignon déchiré dont la tige se serait trouvée le long de l’équateur.

Il ne fallut à Tom que quelques secondes pour interpréter cette image. Les deux pôles avaient disparu – ce qui était très compréhensible, car ils étaient trop froids pour être détectés avec ce degré de sensibilité. Mais pourquoi cette protubérance en travers de la partie non éclairée de la planète ? Il comprit alors que ce qu’il voyait là était produit par les océans tropicaux, qui irradiaient pendant la nuit la chaleur qu’ils avaient emmagasinée durant le jour.

Avec l’infrarouge, la nuit équatoriale était plus brillante que le jour polaire.

Cela lui remit en mémoire le fait qu’aucun savant ne devrait jamais oublier : les sens humains ne reçoivent qu’une image partielle et déformée de l’univers.

Tom Lawson n’avait jamais entendu parler du thème platonicien des prisonniers enchaînés dans une caverne ; ces prisonniers voyaient des ombres projetées sur le mur et essayaient d’en déduire la réalité du monde extérieur. Platon aurait été certainement intéressé par la question suivante : des deux images de la Terre, celle qui la montrait sous la forme d’un croissant parfait, visible pour l’œil, et celle où elle avait l’aspect d’un champignon déchiqueté, laquelle était réelle ? Ni l’une ni l’autre, peut-être…

* * *

Le bureau était petit, même pour Port Roris.

Port Roris n’était qu’une station de transit entre là face de la Lune tournée vers la Terre et l’autre face, et un point de départ pour les touristes qui visitaient la Mer de la Soif. Mais pendant quelque temps, il n’y aurait certainement personne pour songer à faire des promenades de ce côté-là…

Le port avait eu un bref moment de célébrité trente ans plus tôt. C’était une base utilisée par un des rares forbans de la Lune qui aient réussi, un nommé Jerry Budker, qui avait fait une petite fortune en vendant de fausses reliques provenant, disait-il, de Lunik II. Le personnage n’était évidemment pas aussi excitant que Robin Hood ou Billy le Kid, mais la Lune n’avait rien à offrir de mieux.

Maurice Spenser était plutôt satisfait que Port Roris ne fût qu’une aussi petite ville, bien tranquille, avec son dôme unique. Mais il suspectait que cette tranquillité ne durerait pas bien longtemps, notamment quand ses collègues de Clavius City apprendraient qu’un chef de service des Informations Interplanétaires s’attardait ici sans raison apparente et ne semblait pas pressé de gagner la grande ville de la Lune (Clavius City comptait 52.647 habitants.)