— Pourquoi dites-vous « naturellement » ?
Elle regarda son mari, qui semblait assez mal à l’aise. On aurait dit qu’il allait soulever quelques objections, mais il resta silencieux.
— Oh ! Il affirmait que ce n’était pas suffisamment décent. Et je crois qu’il avait raison… En tout cas en ce qui concerne le genre de danse que je pratiquais.
C’en fut trop pour Mr. Schuster. Il se leva brusquement et sans tenir le moindre compte de la Cour, il s’écria :
— Voyons, Myra ! Il n’était pas nécessaire de…
Elle répliqua immédiatement, retrouvant un accent argotique quelque peu démodé :
— Oh ! Irv, quelle importance cela a-t-il maintenant ? Cessons de jouer et soyons nous-mêmes. Cela m’est égal que ces gens sachent que je dansais à l’Astéroïde Bleu et que tu m’as tirée de là un jour où la police faisait une descente dans l’établissement…
Irving se rassit en bredouillant tandis que l’auditoire était saisi d’une quinte de rire que Son Honneur ne fit rien pour apaiser.
Ce qu’Hansteen souhaitait le plus, c’était précisément des détentes de ce genre. Quand les gens riaient ils n’avaient pas peur.
Mais il continuait à s’étonner au sujet de Mr. Harding, dont les questions banales mais malicieuses avaient provoqué ces joyeux éclats. Pour un homme qui déclarait ne pas être avocat, il s’en était bien tiré, et il serait curieux de voir comment il se comporterait quand il se trouverait à son tour dans le rôle du témoin et que Schuster aurait repris sa place.
Chapitre XI
Enfin il y eut quelque chose pour rompre la monotonie de la Mer de la Soif.
Un point lumineux minuscule mais très brillant venait de surgir au-dessus de l’horizon. Il fut suivi d’un second, puis d’un troisième, tandis que les « glisseurs » continuaient leur course. Les pics des Montagnes Inaccessibles commençaient à pointer par-dessus le bord de la Lune.
Comme d’habitude, il n’y avait aucun moyen de juger de leur distance. Ils auraient pu n’être que de tout petits rochers très proches – ou au contraire ils auraient pu ne pas faire partie de la Lune mais appartenir à un autre monde géant et hérissé, situé à des millions de kilomètres dans l’espace.
En réalité, les montagnes étaient à une cinquantaine de kilomètres. Les « glisseurs » les auraient atteintes d’ici une demi-heure.
Tom Lawson fut content de les voir. Maintenant il avait quelque chose pour occuper ses yeux et son esprit. Il commençait à se demander s’il n’allait pas devenir fou à force de contempler cette plaine qui apparemment semblait infinie. Il s’en voulait à lui-même de se montrer si illogique. Il savait que l’horizon était réellement très près, et que la Mer de la Soif n’était qu’une petite partie de la surface de la Lune, qui elle-même n’était pas très grosse. Pourtant, tandis qu’il était là assis dans son scaphandre, avec l’impression de n’aller nulle part, il se souvenait de ces horribles cauchemars au cours desquels on se débat de toutes ses forces pour échapper à quelque effrayant péril, sans toutefois pouvoir bouger.
Tom avait souvent eu de tels cauchemars, et il lui semblait qu’en ce moment même il en vivait un.
Mais l’apparition des montagnes lui démontra qu’ils avaient avancé. L’ombre que projetait leur « glisseur » ne semblait plus figée comme il en avait eu parfois l’impression. Il pointa le détecteur dans la direction des pics illuminés et obtint une vive réaction.
Comme il s’y était attendu, ces rochers, du côté où ils étaient tournés vers le soleil, avaient déjà emmagasiné une forte chaleur. Bien que la journée lunaire fût à peine commencée, les montagnes étaient déjà brûlantes. Il faisait plus froid au niveau de la « mer ». La surface poussiéreuse n’atteindrait sa température maxima que vers le milieu de la journée – c’est-à-dire après l’équivalent de sept jours terrestres. Et c’était là une chose importante en ce qui concernait le travail auquel ils allaient se livrer : bien qu’il fît jour maintenant, il avait encore une petite chance de détecter une source de chaleur même extrêmement faible.
Vingt minutes plus tard les montagnes se dressaient devant eux, toutes proches et énormes. Les « glisseurs » ralentirent.
— Il vaut mieux ne pas dépasser leur trace, expliqua Lawrence. Regardez avec attention… Juste au-dessous de ce double pic, sur la droite, vous voyez une ligne verticale sombre. Vous y êtes ?
— Oui, je vois…
— C’est l’entrée de la gorge qui mène au Lac du Cratère. Le point thermique que vous avez repéré s’en trouve à trois kilomètres à l’ouest. Nous ne pouvons pas encore le voir car il est au-dessous de l’horizon. Par quel côté désirez-vous que nous l’approchions ?
Lawson réfléchit. Il faudrait que ce soit par le nord ou par le sud. S’ils arrivaient de l’ouest, ils auraient ces rochers brûlants dans leur champ de vision. Par l’est l’approche était encore moins recommandée ; car ils auraient dans les yeux le soleil levant.
— Faites un détour pour aborder l’endroit par le nord, dit-il. Et indiquez-moi quand nous en serons à deux kilomètres.
Les « glisseurs » accélérèrent.
Bien qu’il n’y eût aucune chance de repérer quoi que ce fût pour le moment, Tom mit en marche son appareil de détection et le fit aller et venir, balayant la surface qui était devant eux. Il voulait simplement vérifier une supposition qu’il avait faite – à savoir que les couches supérieures de poussière devaient être à une température uniforme, toute différence ne pouvant être due qu’à l’homme. S’il se trompait…
Or il se trompait. Il avait fait une hypothèse absolument fausse. Sur l’écran, la mer apparut comme un confus mélange de taches claires et de taches sombres, plus exactement comme un mélange de zones de chaleur et de froid. Les différences de température n’étaient que d’une fraction de degré, mais le tableau était désespérément embrouillé. Il n’y aurait aucune possibilité de localiser, dans cette confusion thermique, une source individuelle de chaleur.
Tom Lawson en eut le cœur chaviré. Ses regards quittèrent l’écran pour se poser, incrédules, sur la surface poussiéreuse. A l’œil nu, elle semblait absolument unie, homogène. Partout la même étendue grisâtre. Mais avec l’infrarouge, elle ressemblait à une mer terrestre, par un temps quelque peu nuageux, alors que les lumières et les ombres jouent à la surface des eaux.
Pourtant il n’y avait pas de nuages ici pour projeter leurs ombres sur cette mer aride. Ce bariolage devait avoir une autre cause. Quelle qu’elle fût, Tom se sentait trop déprimé pour rechercher une explication scientifique.
Il avait fait tout ce chemin pour venir jusque sur la Lune, il avait risqué sa vie et son équilibre mental sur ce stupide esquif – et tout cela pour que finalement ses espérances, basées sur une expérimentation soigneusement conduite, soient ruinées par une fantaisie de la nature ! C’était la pire chose qui pouvait lui arriver, et il éprouvait de la pitié envers lui-même.
Il lui fallut plusieurs minutes pour s’apitoyer aussi sur le sort des gens qui se trouvaient à bord du Séléné.
— Ainsi donc, dit le capitaine de l’Auriga, avec un calme exagéré, vous voudriez atterrir sur les Montagnes Inaccessibles ? C’est une idée bigrement intéressante.
Il était évident pour Spenser que le capitaine Anson ne l’avait pas pris au sérieux. Ce dernier sans doute pensait qu’il avait à faire à un journaliste un peu fou et ne se rendant pas très bien compte de ce qu’une telle demande impliquait. Cela eût été vrai vingt-quatre heures plus tôt, lorsque le plan de Spenser n’était encore qu’un vague rêve dans son esprit. Mais maintenant, il avait toutes les informations voulues sous la main et il savait exactement ce qu’il faisait.