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— Capitaine, dit-il, je vous ai entendu vous vanter que vous pourriez poser votre astronef à moins d’un mètre d’un point donné. Est-ce exact ?

— Eh bien… En étant un peu aidé par le computeur… Oui…

— Parfait. Alors, jetez un coup d’œil sur cette photographie.

— Qu’est-ce qu’elle représente ? Glasgow un samedi soir où il y a du brouillard ?

— Oh ! Il s’agit d’un agrandissement assez mauvais, mais néanmoins il nous montre tout ce que nous désirons savoir. Il représente la zone qui se trouve juste au-dessous du pic occidental dans ces montagnes. Dans quelques heures, j’aurai une épreuve bien meilleure, et une carte avec des indications précises – le Service Géographique de la Lune est en train de me préparer cela. Mon opinion est qu’il y a ici une large terrasse au flanc de la montagne – une terrasse suffisamment grande pour qu’une douzaine d’astronefs puissent s’y poser. Et elle est suffisamment plate, en particulier ici… Et ici… Ainsi donc un atterrissage ne poserait pas de problèmes, de votre point de vue…

— Pas de problèmes techniques, peut-être. Mais avez-vous une idée de ce que cela pourrait coûter ?

— C’est mon affaire, Capitaine… Nous pensons que cela peut en valoir la peine…

Spenser aurait pu en dire davantage, mais il n’est pas bon, en affaires, de montrer à quelqu’un jusqu’à quel point on a besoin de ses services. Ce qu’il projetait serait peut-être le plus gros événement, en matière d’information, qu’on ait enregistré en dix ans : le premier sauvetage effectué dans l’espace sous les yeux mêmes des caméras de télévision.

Il y avait eu déjà, on ne le savait que trop, beaucoup d’accidents et de désastres survenus dans le vide interplanétaire, mais ils avaient manqué d’éléments dramatiques et de suspense. Les victimes avaient péri instantanément. Ou lorsqu’on avait appris le sinistre, tout espoir de les secourir avait été absolument impensable. De telles tragédies faisaient une grosse information, mais dont l’intérêt était aussitôt épuisé. On ne pouvait pas en tirer des récits passionnants sur le plan humain, comme ce pouvait être le cas cette fois-ci.

— Et il n’y a pas seulement la question d’argent, dit le capitaine (bien que son ton impliquât qu’elle était néanmoins de la plus haute importance). Même si les propriétaires du cargo sont d’accord, il vous faudra avoir une autorisation spéciale du Contrôle de l’Espace sur cette face de la Lune.

— Je sais… Et quelqu’un précisément s’en occupe à l’heure qu’il est. Tout cela peut très bien s’organiser…

— Et pour l’assurance ? Notre police ne couvre pas de petites opérations comme celle-ci…

Spenser se pencha en travers de la table pour laisser tomber son argument massue.

— Capitaine, dit-il, les Informations Interplanétaires sont disposées à faire un dépôt couvrant la valeur assurée de l’astronef – c’est-à-dire, si je suis bien renseigné, la somme d’ailleurs un peu surfaite de six millions quatre cent vingt-cinq mille dollars sterling.

Le capitaine Anson eut un battement des paupières et son attitude changea aussitôt. Il se servit à boire, pensivement, et il dit :

— Je n’aurais jamais imaginé que j’allais faire de l’alpinisme à mon âge. Mais si vous êtes assez fous pour risquer six millions de dollars, alors je me sentirai le courage d’affronter les montagnes…

* * *

Au grand soulagement de son mari, l’interrogatoire de Mrs Schuster fut interrompu pour le déjeuner.

C’était une dame bavarde, et elle avait été évidemment très heureuse de l’occasion – qui ne lui avait pas été offerte depuis des années – de pouvoir parler tout à sa guise.

Sa carrière, pour autant qu’il semblait, n’avait pas été des plus distinguées jusqu’au moment où le destin et la police y avaient mis fin brusquement. Mais elle avait vu pas mal de choses et connu de grandes vedettes au début du siècle. Ce qu’elle raconta éveilla des souvenirs lointains de leur propre jeunesse dans l’esprit des passagers les plus âgés. A un moment même, et sans que la Cour protestât, elle amena tout l’auditoire à reprendre avec elle cette vieille et agréable rengaine : Spacesuit Blues.

En sa qualité de mainteneur du moral dans le groupe, le Commodore Hansteen estima que Mrs Schuster valait son pesant d’or – ce qui n’était pas peu dire.

Après le déjeuner – que certains passagers s’arrangèrent pour faire durer une heure et demie, car ils ne mangeaient qu’avec une lenteur extrême – on reprit la lecture, et ceux qui avaient réclamé l’Orange et la Pomme l’emportèrent finalement. Comme le roman se passait en Angleterre, il fut décidé que seul Mr Barrett était qualifié pour cette lecture. Il protesta vigoureusement, mais toutes ses objections furent étouffées.

— Très bien, dit-il à contre-cœur. Alors, commençons. Chapitre un. Drury Lane… 1665…

Ah ! L’auteur n’avait pas perdu de temps ! Moins de trois pages après le début, Sir Isaac Newton expliquait les lois de la gravitation à Mistress Gwynn, qui avait déjà laissé entendre qu’elle le paierait en retour. Quelle forme prendrait cette promesse, Pat Harris pouvait aisément le deviner. Mais son travail l’appelait ailleurs. Les distractions étaient pour les passagers. L’équipage avait autre chose à faire.

— Il y a un casier de vivres de secours que je n’ai pas encore ouvert, lui dit Miss Wilkins tandis que la porte de la valve d’entrée se refermait doucement derrière eux, étouffant les phrases soigneusement articulées par Mr Barrett. Nous n’avons plus beaucoup de biscuits et de confiture. Mais la situation est meilleure en ce qui concerne la viande comprimée.

— Cela ne m’étonne pas, répondit Pat. Les passagers en sont dégoûtés. Regardons un peu ces feuilles d’inventaires.

L’hôtesse lui tendit les feuilles dactylographiées, qui portaient de nombreuses annotations au crayon.

— Nous allons commencer avec cette caisse.

— Qu’y a-t-il dedans ?

— Du savon et des serviettes de papier.

— Bon. Ce n’est pas comestible. Et dans celle-ci ?

— Du sucre candi. Je voulais le garder pour quand nous fêterions… Pour quand on nous aurait retrouvés…

— C’est une bonne idée… Mais vous pourriez nous en donner un peu ce soir. Un petit morceau pour chacun. Dans un grog. Et ceci ?

— Une boîte de mille cigarettes.

— Assurez-vous bien que personne ne les a vues. J’aurais préféré que vous ne me le disiez pas.

Pat adressa à Sue un pâle sourire et passa à la caisse suivante. Il était clair que la nourriture ne posait pas un problème majeur, mais il fallait néanmoins veiller à sa distribution.

Il connaissait les manies de l’administration.

Après leur sauvetage, un quelconque employé – ou un appareil électronique – leur demanderait tôt ou tard des comptes précis sur la façon dont les vivres avaient été utilisés.

Après leur sauvetage… Croyait-il réellement que cela se produirait ? Il y avait plus de deux jours qu’ils avaient disparu, et ils n’avaient pas enregistré le moindre signe prouvant que l’on s’occupait d’eux. Comment ce signe aurait-il pu se manifester ? Il n’en savait rien, mais il avait espéré quelque chose.

Le voyant plongé dans sa méditation, Sue lui demanda anxieusement :

— Qu’est-ce qui ne va pas, Pat ?

— Oh ! Rien, dit-il sur un ton un peu sarcastique. Nous rentrerons au port dans cinq minutes. Ce fut une charmante promenade, ne pensez-vous pas ?