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— Vous n’avez même pas trente ans.

— Merci pour cette aimable parole. J’en ai trente-deux. Dans ma famille, nous gardons toujours un air de jeunesse jusqu’à un âge assez avancé. Nous avons au moins cela…

— Trente-deux ans… Et pas d’amie attitrée ?

« Ah ! pensa Pat Harris, il y a diverses choses me concernant qu’elle ne sait pas. Mais à quoi servirait de lui parler de Clarissa et de son petit appartement à Copernic City. Tout cela me semble si loin… Clarissa est-elle bouleversée en ce moment ? Et quel est le garçon qui s’emploie à la consoler ? Peut-être Sue a-t-elle raison, après tout. Je n’ai pas d’amie attitrée. Je n’en ai pas eu depuis Yvonne, et cela remonte à cinq ans… Non, à sept ans… »

— Oh ! fit-il, un de ces jours je me déciderai à m’établir.

— Mais peut-être direz-vous encore cela quand vous aurez quarante ans… Ou cinquante… Il y a tant d’hommes de l’espace qui se comportent ainsi. Ils ne se sont pas encore décidés quand ils prennent leur retraite… Et alors il est trop tard. Voyez le Commodore, par exemple…

— Encore lui ! C’est un sujet qui commence à me fatiguer.

— Il a passé toute sa vie dans l’espace. Il n’a pas de famille, pas d’enfants. La Terre ne peut pas signifier grand-chose pour lui… Il n’y a vécu que si peu de temps. Il a dû se sentir complètement perdu quand il a cessé de travailler. Ce qui nous est arrivé a été un bienfait pour lui… Il est de nouveau satisfait de lui-même.

— Tant mieux, il le mérite. Je serais heureux si, en arrivant à son âge, j’avais fait le dixième de ce qu’il a fait. Mais c’est une perspective qui me paraît exclue pour le moment.

Pat s’avisa qu’il tenait toujours à la main les feuilles de l’inventaire. Il les avait complètement oubliées. Elles vinrent lui rappeler que leurs ressources allaient en diminuant, et il les regarda avec dégoût.

— Au travail, dit-il. Nous devons penser aux passagers.

— Si nous restons ici plus longtemps, ils vont commencer à se demander ce que nous faisons…

C’était plus vrai qu’elle ne le pensait.

Chapitre XII

L’Ingénieur en Chef estima que le silence du docteur Lawson avait assez duré. Il était temps de reprendre la communication.

— Est-ce que tout va bien, Docteur ? demanda-t-il de sa voix la plus amicale.

Il y eut une sorte de grognement coléreux, mais qui s’adressait beaucoup plus à l’univers qu’à l’ingénieur.

— Ça ne marchera pas, répondit Lawson avec amertume. L’image thermique est trop confuse. Il y a des douzaines de points de chaleur, mais rien qui ressemble à ce que nous cherchons.

— Faites arrêter votre « glisseur ». Je viens, et je vais regarder ça.

Glisseur II fit halte, tandis que Glisseur I venait se ranger à son côté. Les deux esquifs se touchaient presque.

Avec une aisance surprenante malgré l’encombrement de son scaphandre, Lawrence sauta de l’un dans l’autre en s’accrochant aux montants du toit léger. Il s’installa derrière l’astronome et regarda par-dessus l’épaule de celui-ci l’écran où se formait l’image par infrarouge.

— Je vois ce que vous voulez dire, fit-il. C’est un embrouillamini. Mais pourquoi l’image était-elle uniforme quand vous avez pris vos photos du satellite ?

— Cela doit être un effet provoqué par le soleil levant. La mer se réchauffe et, pour une raison que j’ignore, elle ne se réchauffe pas partout aussi rapidement.

— Peut-être pouvons-nous trouver une explication. Je note qu’il y a des taches nettement plus claires que d’autres. Il doit y avoir une raison à cela. Si nous parvenions à la découvrir, cela nous aiderait.

Tom Lawson s’étira avec effort. La confiance qu’il avait en lui-même venait d’être brutalement secouée par cet incident inattendu, et il se sentait très fatigué. Il n’avait que fort peu dormi depuis deux jours. Il avait été traîné du satellite artificiel jusque dans un astronef, puis de l’astronef jusque sur ce « glisseur ». Et au bout du compte, sa science se trouvait en défaut.

— Il peut y avoir une douzaine d’explications, dit-il d’un air sombre. Cette poussière semble uniforme, mais il peut y avoir dans son sein des amas qui n’ont pas la même conductivité. Et elle doit être plus profonde à certains endroits qu’à d’autres, ce qui est susceptible de modifier le flux thermique…

Lawrence continuait à regarder l’écran, essayant de relier ce qu’il y voyait avec le décor réel qui était autour de lui.

— Attendez, dit-il. Je crois que vous venez de faire une supposition intéressante.

Il se tourna vers le pilote.

— Quelle est la profondeur de la couche de poussière par là autour ?

— Personne ne le sait exactement. La mer n’a jamais été sondée d’une façon méthodique. Mais dans les parages où nous sommes, près de la rive nord, elle est très peu profonde. Il nous arrive parfois, dans ces coins-là, qu’une lame de nos propulseurs heurte un récif invisible.

— C’est si peu profond que cela ? Eh bien voilà, je crois, notre réponse. S’il y a des rochers à quelques centimètres seulement au-dessous de la surface, cela peut influer de toutes sortes de façons sur l’image thermique. Je parie à dix contre un que cette image deviendra plus nette quand nous nous serons éloignés d’ici. Il ne s’agit que d’un effet local, provoqué par les irrégularités du terrain à faible profondeur, juste au-dessous de nous.

— Peut-être avez-vous raison, dit Tom en reprenant quelque peu espoir. Si le Séléné a été englouti, il n’a pu l’être que dans une zone où la couche de poussière est nettement plus épaisse. Vous êtes sûr qu’ici la profondeur est très faible ?

— Nous allons voir cela tout de suite. J’ai sur mon « glisseur » une sonde de vingt mètres.

Une simple section du tube télescopique fut suffisante pour prouver ce qu’avait avancé l’ingénieur. Quand celui-ci enfonça sa sonde dans la poussière, elle heurta en effet le fond à moins de deux mètres.

— Combien d’éventails propulseurs avons-nous en réserve ? demanda-t-il d’un air pensif.

— Quatre, répondit le pilote. Deux jeux complets. Mais quand nous heurtons un rocher, les goupilles cèdent et les éventails ne sont généralement pas endommagés. De toute façon, comme ils sont en caoutchouc, ils se contentent habituellement de plier. Je n’en ai perdu que trois au cours de l’an dernier. Le Séléné en a changé un l’autre jour, en cours d’excursion, et Pat Harris avait dû sortir pour cela du bateau, ce qui avait donné aux passagers quelques petites émotions.

— Très bien… Alors remettons-nous en marche. Dirigeons-nous vers la gorge qui mène au Lac du Cratère. J’ai idée que la faille se prolonge dans la Mer de la Soif, et qu’à cet endroit-là la poussière doit être plus profonde. Si c’est le cas, les images sur l’écran vont se simplifier, et presque immédiatement.

Sans grand espoir, Tom continua à observer sur son appareil le jeu des lumières et des ombres. Les « glisseurs », maintenant, n’avançaient plus que lentement, pour lui donner le temps d’analyser ce qu’il voyait.

Ils n’avaient pas encore parcouru deux kilomètres lorsque l’astronome comprit que Lawrence avait parfaitement raison.

Les taches d’intensités diverses avaient commencé à disparaître. Leur mélange confus d’indications de chaleur et de froid devenait un tout uniforme. L’image sur l’écran, tandis que les différences de température s’atténuaient, ne formait plus qu’un gris uni.