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Si jamais nous nous tirons de là, pensa Pat, nous pourrons envoyer une lettre de remerciements à cette écolière de dix-sept ans, habitant la planète Mars, qui est censée avoir écrit ces absurdités. Tout le monde a l’air de s’amuser et c’est bien la seule chose qui compte.

Pourtant il y avait dans la cabine quelqu’un qui vraiment ne s’amusait pas. Pat ne tarda pas à s’aviser que Miss Morley, depuis qu’il était revenu auprès des passagers, le regardait avec insistance. Se rappelant ses devoirs de capitaine, il se tourna vers elle et lui adressa un sourire.

Elle ne le lui rendit pas, mais son expression, au contraire, devint tout à fait hostile. Puis, lentement, et très délibérément, elle regarda Susan Wilkins. Ses regards, enfin, se portèrent de nouveau sur Harris.

Il n’était pas nécessaire qu’elle parlât. Car ses yeux disaient, tout aussi clairement que si elle avait crié à tue-tête : « Je sais ce que vous êtes allés faire, là-bas, dans l’entrée du bateau. »

Pat se sentit rougir d’indignation – la juste indignation d’un homme qui est faussement accusé. Pendant un moment, il resta assis dans un fauteuil, sentant son cœur battre jusque dans ses joues. Puis il murmura : «Ah ! Je vais lui faire voir ça, à cette péronnelle ! »

Il se leva, lança à Miss Morley un sourire d’une douceur empoisonnée, puis dit, juste assez haut pour que Miss Morley l’entendit :

— Miss Wilkins… Je crois que nous avons oublié quelque chose… Voulez-vous revenir dans l’entrée…

Quand ils furent de nouveau enfermés à l’arrière du bateau – interrompant la narration d’un incident qui devait jeter les doutes les plus graves quant à l’ascendance du duc de Sant Albans – Sue Wilkins le regarda, passablement perplexe.

— Avez-vous vu cela ? dit-il, encore bouillant de colère.

— Vu quoi ?

— Miss Morley.

— Oh ! fit Susan, ne vous inquiétez pas pour elle, la pauvre fille ! Elle n’a fait que vous couver des yeux depuis que nous avons quitté la Base. Vous savez de quoi elle souffre, n’est-ce pas ?

— De quoi donc ? demanda Pat, un peu gêné,

— Oh ! Je pense que l’on pourrait appeler cela une virginité invétérée. La chose est assez commune et les symptômes sont toujours les mêmes. Il n’y a d’ailleurs qu’un remède à cela.

Les chemins de l’amour sont étranges et tortueux.

Dix minutes plus tôt Pat et Sue avaient quitté la valve d’entrée ensemble, après être tombés d’accord pour maintenir leurs relations sur un plan de chaste amitié. Mais maintenant l’influence combinée et inattendue de Miss Morley et de Nell Gwinn, et le sentiment qu’il valait mieux être accusé et pendu pour le vol d’un mouton que pour celui d’un agneau, – ainsi, peut-être, que la certitude inscrite dans leurs corps mêmes que l’amour est la meilleure défense contre la mort – venaient de les emporter et de les submerger.

Pendant un moment, ils restèrent immobiles dans l’étroit espace que formaient l’entrée et la cuisine. Puis, brusquement, sans qu’ils aient pu savoir si l’impulsion venait d’elle ou de lui, ils furent dans les bras l’un de l’autre.

Sue n’eut que le temps de murmurer une phrase avant que Pat ne lui fermât les lèvres par un baiser :

— Pas ici… Pas dans le Palais…

Chapitre XIII

L’Ingénieur en Chef Lawrence examinait l’écran faiblement lumineux, essayant de lire son message.

Comme tous les savants et tous les ingénieurs, il avait passé une bonne partie de sa vie à regarder des scènes dessinées par des électrons en mouvement, à enregistrer des événements trop grands ou trop petits, trop lumineux ou trop obscurs pour que l’œil humain pût les voir.

Il y avait plus de cent ans que le tube à rayons cathodiques avait mis le monde invisible à la portée de l’homme. Mais celui-ci avait déjà oublié qu’il n’avait pas toujours pu l’atteindre…

A deux cents mètres d’où ils se trouvaient, d’après le détecteur à infrarouge, une tache d’une intensité thermique légèrement plus élevée que dans le voisinage, s’établit à la surface du désert de poussière. Elle était presque circulaire et parfaitement isolée. Il n’y avait pas d’autre source de chaleur dans l’ensemble du champ de vision.

Bien que cette tache fût plus petite que celle que Lawson avait photographiée de Lagrange, elle se trouvait au même endroit. Et le doute n’était guère possible : il s’agissait certainement de la même chose.

Toutefois ils n’avaient aucune preuve que c’était bien ce qu’ils cherchaient. Cette tache lumineuse pouvait s’expliquer de plusieurs façons. Peut-être s’agissait-il d’un pic isolé dont le sommet se trouvait tout près de la surface ?

Il n’y avait qu’un seul moyen de le savoir.

— Restez ici, dit Lawrence. Je vais avancer avec Glisseur I. Prévenez-moi quand je serai exactement au centre de cette tache.

— Pensez-vous que ce soit dangereux ?

— C’est peu probable. Mais il n’est pas nécessaire que nous prenions tous les deux un risque en même temps.

Très lentement, Glisseur I se rapprocha du point énigmatique – qui était invisible pour l’œil mais parfaitement net sur l’écran.

— Un peu sur la gauche, s’écria Tom. Encore quelques mètres. Vous y êtes presque… Voilà, vous y êtes…

Lawrence regarda la poussière grise sur laquelle flottait son esquif. A première vue, elle était exactement la même que partout ailleurs. Mais, quand il regarda plus attentivement, il vit quelque chose qui lui donna la chair de poule.

Son examen se fit plus attentif encore. La poussière semblait un mélange extraordinairement fin de poivre et de sel. Et, où il était, cela « bougeait. La surface de la mer semblait ramper vers lui très lentement, comme si elle avait été poussée par un vent invisible.

Cela ne plut pas du tout à Lawrence.

Sur la Lune, on apprend à se méfier de tout ce qui est anormal et inexpliqué. C’est généralement le signe que quelque chose ne va pas – on pourrait bientôt ne pas aller. Cette poussière qui rampait lentement était à la fois étrange et troublante. Si un bateau avait déjà sombré à cet endroit-là, un esquif aussi petit qu’un « glisseur » pouvait se trouver dans un danger plus grand encore.

— Il vaut mieux vous éloigner, conseilla-t-il à Lawson. Il se passe ici quelque chose de bizarre, que je ne comprends pas.

Avec précision, il décrivit le phénomène à l’astronome. Celui-ci y réfléchit et répondit presque aussitôt :

— Vous dites que cela ressemble à un courant dans la poussière… Et c’est bien cela… Nous savons déjà qu’il y a une source de chaleur à cet endroit… Elle doit être assez forte pour provoquer un courant de convection.

— Qu’est-ce qui pourrait faire cela ? Ce ne peut pas être le Séléné.

Il se sentit envahi par la déception… Ils continuaient à errer comme des chasseurs perdus dans la nuit, à la poursuite d’un gibier introuvable. Et dès le début, il avait bien pensé qu’il en serait ainsi. Peut-être s’agissait-il de quelque poche radioactive… Ou d’une fuite de gaz chauds libérés par le séisme… Ou de tout autre cause de ce genre qui, enregistrée par leur appareil, les avait amenés jusqu’en cet endroit désolé.

Plus vite ils en partiraient et mieux cela vaudrait, car l’endroit pouvait être encore dangereux.

— Une minute, dit Lawson. Un bateau avec ses machines et vingt-deux passagers, cela doit produire une bonne quantité de chaleur. Trois ou quatre kilowatts au moins. Si cette poussière est en équilibre, cela doit être suffisant pour provoquer un courant de particules dans son sein.