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Je ne précise pas qu’il se contentait de l’appeler « le vieux ».

« Cette bafouille, poursuis-je, je l’ai jointe au long rapport que j’ai écrit sur mon enquête. Le Yard serait très heureux de l’avoir. Il vous coûterait cher, ce rapport, Standley : très cher. N’oubliez pas que Martha Auburtin est morte empoisonnée. Elle était votre complice et vous, vous êtes marchand de poison, ce sont là deux considérations dont la police anglaise ne manquera pas de tenir compte, croyez-moi… Si bien que vous pourriez fort bien vous retrouver un matin avec deux mètres de chanvre noués autour du cou. Vous voyez ce que je veux dire ? J’ai vu pendre Emmanuel Rolle, c’est même pour l’assister que j’étais venu dans votre brumeux patelin ; eh bien ! ça n’a rien de folichon, parole de flic !

Il demeure immobile…

— Vous ne dites rien ? fais-je, histoire de l’asticoter…

Il hausse les épaules.

— Que répondrai-je à une histoire aussi stupide, aussi privée de sens pour moi ? Vous faites fausse route, monsieur le policier ; remettez ce rapport, cette lettre aux autorités d’ici qui agiront comme bon leur semblera…

Merde arabe ! Je n’en viendrai jamais à bout !

Je me lève…

— D’accord, murmuré-je, puisque vous y tenez… Moi, ça m’aurait arrangé de devenir amnésique moyennant un millier de livres !

Il hausse son même store.

— Oui. Vous comprenez, insistai-je, ici j’enquête à titre officieux, tout ce qu’il y a d’officieux et de privé. Je n’ai qu’un souci : rentrer au plus tôt chez moi et oublier tout ce biseness à la graisse de cheval mécanique, vous comprenez ?

— Vous êtes un maître-chanteur ? demande-t-il, exactement avec la voix qu’il aurait pour demander un renseignement à l’agence Cook.

— Oh ! C’est là un bien gros mot, monsieur Standley…

— Est-ce une caractéristique de la police française ? insiste-t-il.

— C’est aller un peu vite et un peu loin que de prétendre cela !

— Alors, voulez-vous avoir la bonté de partir d’ici ? déclare-t-il.

— Je vais prévenir la police…

— Vous vous répétez. Faites-le, mais quittez mon domicile…

Je n’ai encore jamais trouvé un oiseau possédant cette maîtrise.

J’avise un appareil téléphonique mural.

— Vous l’aurez voulu, dis-je…

J’écarte le vieux jeton d’une bourrade ferme. Je vais à l’appareil. Dieu merci ! je me suis muni du numéro de l’auberge afin de pouvoir appeler Brandon.

Je décroche. La standardiste gueule :

— Allô !

— Give-me the 41–42, please !

Elle me le passe.

— Inspector Brandon, please !

La voix du collègue retentit.

— Oh ! C’est vous. Heureux de vous entendre. Du nouveau ?

— Oui, dis-je en regardant le pharmacien droit dans les mirettes. Voulez-vous me rejoindre chez Standley, l’employeur de feue Martha Auburtin. Je vais vous y donner une preuve de sa culpabilité !

— J’arrive.

Je pose l’écouteur sur sa fourche.

— Voilà, dis-je, puisque vous préférez ça…

Cette fois, il a l’air ébranlé. Il tourne la tête de côté.

— Ça peut encore s’arranger moyennant mille livres, insisté-je…

Pour toute réponse, il a un haussement d’épaules méprisant.

Vieux fumelard ! Il m’aurait lâché un millier de lacsés, cela constituait une preuve.

Lentement, il passe derrière ses vitrines.

— Hé là ! petit père, dis-je en exhibant ma rapière, cherchez pas à voyager ou alors je fais du dégât dans la trass !

Il ne répond rien. Il ouvre un petit tiroir… Si c’est un pétard qu’il cherche, je lui promets une décoction de valdas avant qu’il l’ait levé de dix centimètres… Mais non… Il sort une petite boîte de bonbons. Il l’ouvre, s’empare délicatement d’une sorte de boule de gomme et se la fourre dans le bec.

— C’est pour la toux ? je demande en riant.

Il secoue la tête.

— Oui, dit-il, et pour le reste.

Paroles sibyllines, penserez-vous ?

Pas tellement, car ce sont ces dernières. Il s’effondre comme un mur s’écroule, sans pousser un cri…

Le cyanure est une chose qui ne pardonne pas.

Je bondis. Il est trop tard. Il aura prononcé ses derniers mots en français… La vie est étrange !

Ce que j’ai pris pour des bonbons, ce sont des boules de poison.

Il s’est fait ça à la Goering, Standley… Le voilà débarrassé de son goitre, de la vie et de ses emmerdements.

Moi qui voulais obtenir une preuve de sa culpabilité !

Seulement hélas, les morts ne sont pas bavards.

— L’hécatombe continue, Brandon, dis-je à mon confrère au parapluie roulé.

Ce gars-là, vous le feriez asseoir sur un ménage de hérissons, il ne se départirait pas pour autant de son petit air d’enfant bien sage. Il fait écolier studieux et, sur sa mine, on est prêt à lui refiler le premier prix d’exactitude et un accessit en math.

Il examine le cadavre du potard tandis que je lui relate mon entretien avec celui-ci.

— Vous passez sur les malfaiteurs comme un faucheur dans un pré, dit-il avec une ombre de reproche… Le régime de la terre brûlée, en quelque sorte…

— Excusez-moi… Cela relève de la méthode dont je vous parlais à l’hosto. Vous vous souvenez ?…

— La méthode particulière, ironise-t-il.

— C’est ça… Elle est un peu expéditive, mais elle a du bon. Ainsi, ne possédant aucune preuve contre lui, vous n’auriez pu forcer son mur de silence… Maintenant il s’est mis à jour lui-même vis-à-vis de la société… Il ne vous reste plus qu’à perquisitionner par ici pour dénicher la neige poudreuse et, certainement, un quelconque registre secret des abonnés à la drogue…

CHAPITRE XVI

Où il est question d’une visite, à la nuit

Ce repas pris en tête à tête avec Brandon sera le dernier, je pense, que je consommerai en Angleterre, en tout cas au cours de ce voyage !

J’ai décidé de mettre les adjas ; j’en ai ma claque de ces aventures de drogue, après tout. Ça n’est pas mes oignons et je n’ai pas à faire le turf des petits aminches du Yard ! Ah ! non. J’espérais encore vaguement découvrir ce qu’Emmanuel Rolle maquillait parmi ces truands, mais depuis que Standley, dernier personnage de ma fresque britannique, est clamsé, je dis « pouce ».

Cette nuit, à partir de dix plombes, je dois retrouver ma petite infirmière chez elle car elle aura terminé son service. Je lui ferai mettre les doigts de pieds en bouquets de violettes et au matin ; voyez nuages ! Je reprends le bolide to Paris…

Pigalle ! La Seine… Mes chers bistrots !

— À quoi pensez-vous ? demande Brandon, que le vin rend un peu plus humain…

— À quoi voulez-vous qu’un Parisien pense lorsqu’il est hors de France ?

— À Paris ?

— Oui… Un jour faudra venir nous dire un bonjour, à la Grande Taule. On vous fera faire la tournée des grands ducs, Brandon…

— Volontiers…

Nous parlons de multiples futilités en consommant une dinde très comestible.

— Vous sentez-vous rétabli ? demande-t-il.

— À peu près. Oui… Il me reste, en plus de ma blessure à l’épaule, une certaine mollesse par tout le corps… Trois jours de repos en arrivant, trois autres jours de pêche à la ligne au pont de Saint-Cloud et il n’y paraîtra plus, soyez tranquille…

Il est près de huit heures lorsque je lui en serre cinq en songeant que je vais salement être en retard au rambour de la môme Dolly si je ne me manie pas la rondelle.