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– Le Prêt-À-Diffuser est quasiment bouclé, dit William.

– À quoi ça ressemble, un Prêt-À-Diffuser?

– À une grosse cassette vidéo, tout simplement. Jeudi prochain à 20h40, ils la mettront dans leur bécane, et hardi petit…

– Ce sera la fin du voyage, fait Louis. Et comme disent les Italiens, non vedo l’ora.

La fin du voyage. Nous l’avons évoquée souvent mais c’est la première fois que ces trois mots sont à ce point chargés de réalité.

Mathilde est déjà rentrée chez elle. Jérôme remplit de grands sacs de sport avec toutes ses affaires. Ce soir, il quitte les lieux pour installer son frère dans un endroit plus confortable, le temps de se préparer à leur grand départ là-bas. Les frères Durietz commencent déjà à me manquer.

– Nous avons encore un peu de boulot, William et moi, dit Louis. Demain, profitez-en pour vous reposer.

Nous nous donnons tous rendez-vous ici, comme prévu, après-demain, jeudi 21 juin à 13 heures, pour voir à quoi ressemble ce n° 80 avant qu’il ne soit diffusé, le soir même.

Le Vieux et William retournent dans la salle de montage. Jérôme et moi faisons un brin de ménage pour exorciser l’endroit. Jamais nous ne sommes allés aussi vite, jamais nous n’avons été aussi silencieux. Jamais nous ne reviendrons ici la nuit. Jamais plus nous ne sortirons la vodka du freezer pour aller nous pencher à la fenêtre, un verre à la main, dans le silence de la nuit. Jamais. Je passe le balai, il vide les cendriers et ferme le sac poubelle. Je n’ai pas envie de croiser son regard, il n’a pas envie de croiser le mien.

J’aide Jérôme à hisser Tristan sur ses jambes, à moitié endormi. Il demande où on le conduit, et son frère répond:

– Au George-V.

Avant de quitter le couloir, Tristan a regardé une dernière fois son canapé et sa télé à la mire crépitante.

* * *

Jeudi 21 juin, 14h30.

Le bureau est complètement vide. Plus d’ordinateurs, plus de tables, plus de canapé, plus de chaises, plus de machine à café, plus rien. Ne reste que le matériel vidéo. Une odeur d’eau de Javel se mêle à celle de la violette.

Les quatre-vingt-dix minutes de l’épisode n°80 viennent de s’écouler sans qu’aucun de nous n’ait prononcé le moindre mot. Jérôme applaudit, seul, pour couvrir la musique du générique de fin. Mathilde, assise par terre, écrase une larme au coin de son oeil. Le Vieux nous demande ce que nous en pensons mais personne n’ose rien dire. L’épisode est très proche de ce que nous avons décidé, tous les quatre, lors de nos réunions occultes. À quoi bon exprimer quoi que ce soit après un aussi terrible spectacle.

Nous nous donnons rendez-vous vers 20 h 30 au café habituel, juste avant la diffusion, pour nous faire nos adieux. Les vrais. D’ici là, mes partenaires vont avoir chacun leurs comptes à régler. L’aboutissement de semaines entières de patients brainstormings. Ensuite, ils quitteront le territoire l’esprit libre. Étant le seul à n’avoir rien à faire de la journée, je propose à Mathilde de l’accompagner, ou même de l’attendre au café d’en face.

– Vous êtes gentil, Marco, mais il vaut mieux que j’y aille seule. Je vous raconterai ce soir comment ça s’est passé.

– Et ne vous faites pas embobiner, fait Jérôme. Je vous sens encore faiblarde sur vos jambes.

– Ne vous inquiétez pas, la partie que j’ai à jouer n’est rien en comparaison de la vôtre, Jérôme.

– Je n’ai plus rien à faire, c’est à M. Vengeance d’entrer en piste.

Combien de fois l’avons-nous écrit, ce scénario insensé qui va se dérouler dans les heures à venir. Les places seront chères et je regrette de ne pas pouvoir y assister. Tout comme Mathilde, Jérôme veut finir seul son histoire.

Au-dehors, chacun part de son côté et je reste encore un instant avec Louis pour faire quelques pas en direction des Invalides. Je lui demande à quelle heure est son train, ce soir. Il sort son billet pour vérifier.

– 21 h 15, je serai à Rome sur les coups de 10 heures demain matin.

Je l’envie de quitter le navire avant même qu’il ne soit à quai. Un second billet dépasse de sa poche; je lui demande s’il part seul.

– Oh ça? C’est un billet de théâtre.

– De théâtre?

– La pièce commence à 19h30, j’aurai à peine le temps d’en voir les dix premières minutes avant de vous rejoindre au café.

Nous traversons l’Esplanade en silence et nous nous séparons devant la Chambre des députés.

– À ce soir, Marco.

– … Ne sois pas trop dur avec lui!

Il ne m’entend déjà plus et reprend sa route.

Je me retrouve tout seul sur la berge de la Seine. Sans savoir quoi faire d’ici ce soir. Si je parvenais à retrouver Charlotte avant demain matin, je suis sûr que les jours à venir seraient moins pénibles. Il ne me reste que le hasard. Et je déteste le hasard. Déformation professionnelle.

COMME UN BOOMERANG

Jérôme

Combien laisse-t-on au voiturier du Ritz? Voilà le genre de question que Sauvegrain se pose encore, même s’il trouve ça ridicule depuis qu’il pèse plus de six millions de dollars. Dans le doute, il glisse cinquante francs au type en livrée, entre dans l’hôtel et arrive devant le concierge.

– La suite de monsieur Stallone.

L’homme décroche le téléphone, un sourire poli aux lèvres.

– Un rendez-vous pour monsieur Stallone… de la part…?

– Yvon Sauvegrain.

– Vous êtes attendu, dit-il en raccrochant, on va vous conduire. Il fait signe à un garçon d’étage, Sauvegrain le suit dans l’ascenseur et le couloir du premier. Dans deux secondes, il va se retrouver devant lui pour la première fois. Un homme d’une soixantaine d’années l’accueille avec un grand sourire.

– Asseyez-vous, je suis le secrétaire de Sly, il arrive dans une minute.

Sauvegrain reconnaît sa voix, ils se sont téléphoné plusieurs fois pour mettre au point le rendez-vous, entre Los Angeles et Paris. Il lui fait un compliment sur son français impeccable.

– Je ne le parle pas aussi bien que je le souhaiterais. J’ai toujours adoré Paris, je donnerais tout pour venir plus souvent. Sly ne parle pas un mot de français, vous êtes au courant?

– Aucun problème. Monsieur Stallone reste en France longtemps?

– Il vient discuter d’un projet avec Steven Spielberg qui tourne en ce moment à Versailles, mais rien n’est encore fait. Sly en profite pour annoncer Deathfighter 2 à la presse française, c’est pour ça qu’il voulait vous rencontrer. Merci de nous accorder deux heures.

– C’est la moindre des choses.

Stallone apparaît, tout sourire, avec des petites lunettes rondes, un pantalon en toile beige et une chemise qu’il finit de boutonner. Il serre la main de Sauvegrain, lui propose un verre et joue au maître de maison. D’un signe de tête, il fait comprendre au secrétaire qu’il préfère rester seul avec son visiteur. Sauvegrain comprend la moindre parole de la star qui fait des efforts pour parler lentement.

– Ça fait longtemps que je voulais rencontrer le créateur de Deathfîghter, mais vous savez comment évoluent les choses, les machines se mettent en place et on ne pense plus à rien d’autre qu’au film. Dites-moi, on vous a bien invité à la première, à NewYork?

– Oui.

– Et là, mon secrétaire n’a pas été capable de nous trouver un moment?

– Vous étiez très pris par la promotion du film.

– Bah bah bah… Il faudrait tout faire soi-même. Acceptez mes excuses, monsieur Sauvegrain.