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Nous pénétrons dans un établissement pisseux, qui précisément sent l’urine. Les murs sont dégradés comme un général factieux. Quelques plantes artificielles tentent d’apporter un peu de gaieté dans ce lieu concentrationnaire, mais n’y parviennent pas. La fleur de cellulo, sur la scène du Châtelet, à la rigueur, peut faire champêtre : pas dans l’entrée d’un hôtel pourri, propre à abriter des nuits béruréennes.

Sa Pomme demande une turne for me à la vieillarde avachie derrière un comptoir déglingué.

Elle répond que le 18 est libre. Une clé tordue ratifie cette affirmation. Je m’inquiète de savoir s’il y a le téléphone dans les chambres, ce qui paraît scandaliser la douairière. Déjà beau qu’il existe à la caisse, le bignou. Elle me défrime d’un œil suspicieux. Qu’est-ce que c’est que ce voyageur sans bagages qui vient troubler sa quiétude moisie par des questions saugrenues !

Je lui dis de m’appeler la France éternelle, bastion de la démocratie, et lui refile sur un bloc-notes graisseux le numéro du Vieux.

— Ma clé est pas z’au tableau, remarque Béru, donc la Berthe est laga, je vais y faire sa joie de vivre, moi le manque de sommeil ça me survolte le scoubidou et j’ai Mademoiselle âge tendre qui se prend pour Toscanini. Pique un bon roupillon après ta communication. Et fais une bise au Tondu de ma part. Dis-y que, puisque je fais des extras pendant mes vacances, je mérite une rallonge. Oublie pas, surtout. J’ai pas encore digéré mes coups de trique, non plus que la satonade dans le bas-baquet !

Je promets et il s’engage dans l’escalier.

Le boss se montre satisfait de mon enquête et écoute complaisamment le récit de mes tribulations. Il loue (pas très cher) l’intervention miraculeuse de Bérurier et me charge de lui adresser ses chaleureuses félicitations.

Il en est là de ses compliments lorsqu’un grand bruit en forme de fracas retentit dans l’hôtel. Ce badaboum est ponctué par des cris, des glapissements et des imprécations. Je vois un zig dévaler les marches branlantes et s’écraser au bas de la caisse. Le Mahousse, vêtu de son seul polo et de ses chaussettes, paraît, superbe d’impudeur et grandi par le courroux au sommet de l’escadrin.

— Fumelard ! Sadique ! Tronche de rat ! Pot de m… ! Sate tante ! Cataplasme ! Tête à claques ! Poubelle ! Goret ! Porc ! Cochon !

A court de pléonasmes il se tait, haletant, avec les joyeuses qui font drelin-drelin entre les barreaux de la rampe.

— Que se passe-t-il ? demande le Vioque au bout du fil.

— Deux ivrognes qui se battent, mens-je.

— Je voudrais que vous rentriez tout de suite, San-Antonio, car l’enquête n’est pas terminée et j’entends que vous la meniez jusqu’à la victoire finale !

— Le temps de prendre quelques heures de repos, patron ! En attendant vous faites draguer le port de Marseille.

— Ben voyons !

— Et puis, si vous pouviez vous occuper du rapatriement de Pinaud, lequel est demeuré à Samothrace avec quelques fractures.

— Je m’occupe de tout !

— Merci, je vous appellerai dès que je poserai le pied sur le sol sacré de la mère patrie !

Je raccroche. Dans l’hôtel, la bacchanale continue. Sans souci pour sa tenue, le Gros continue d’agonir le zig qui gît au bas des degrés et qui, lentement, se remet debout.

— Paltoquet ! Burnes creuses ! Fouille-au-train ! Guette-au-trou !

L’invectivé de la semaine se débine sans demander son reste, d’ailleurs je crois qu’il n’en avait pas en arrivant. Je m’empresse d’aller rejoindre sa virulente Majesté.

C’est l’alerte au gaz dans l’hôtel. Ça grouille sur les paliers. Des touristes demandent ce qui se passe ; en grec, en allemand, en rital, en espago, en britiche, en sud-coréen, en mongolien, en javanais, en se grattant le der, en gesticulant, en s’apitoyant, en sanscrit, en conscrit, en vitupérant et surtout en louchant sur la tenue fantaisiste de Bérurier.

— Mais quel est l’objet de ce scandale ? demandé-je civilement.

Je retrouve toujours le ton mondain quand je viens de conversationner avec le Vieux.

— Parle-moi z’en pas ! fulmine La Dorure d’une voix qui retrouve son registre normal. Tu l’as reconnu, cet ouistiti ?

— J’ai pas fait gaffe, non.

— C’était le chauffeur du car ! Imagine-toi que je tambourine à ma lourde. Un moment se passe, vu que ma Berthe dormassait. Enfin elle délourde. Je me précipite sur Bobonne avec la fringale sensorielle que Je t’avais prévenu. Avant qu’elle n’eût le temps de piger, je l’avais culbutée sur la carpette, Berty, à la cosaque je lui faisais le Don de ma personne. Dans les moments de grosse passionata, le plumard est désuet. Pour se mener la régalade à bout de course, le mâle faut qu’il retrouve ses instincts soudards. Un pucier, ça va pour les nonchalants de la bagatelle ; les vrais terribles on se déguise en uhlan farouche ! La guerre de septante, dans le style « ô ma France, regarde ce que l’invasionneur fait de tes femmes ! ». Bref, je lui votais les gros crédits pour l’embellissement de son édifice quand j’entends éternuer à deux pas de moi. Je regarde et qu’aperçois-je, sous le plumard ? Le chauffeur du car qui nous matait ! Tu parles d’un voyeur voyou ! Une vraie vermine ! Ma Berthe lui porte vachement au disjoncteur à ce gredin ! Se planquer commako dans sa chambrette pour mater ses moments d’estase, faut avoir du toupet, non ? Suppose que je soye pas arrivé à point, hein ? A force de la poursuivre de ses acidités il aurait fini par se payer l’étage du dessus et par sortir de sous le plumard pour s’installer dedans, non ?

— Qui sait ? abondé-je.

— Cette pauvre Berthe, soupire le Gros en écrasant un pleur. Ah, c’est pas marrant tous les jours d’être une nana désirable !

CHAPITRE XVI

DANS LEQUEL ON EMPLOIE UNE RUSE ENCORE JAMAIS EMPLOYÉE

Las de la Grèce et de ses vestiges, Béru décide de rentrer avec moi. Madame sa dame, par contre, prolonge son séjour car elle veut visiter Delphes, l’Olympe, plus une tripotée de musées. Il est donc décidé qu’elle gardera la voiture. (Elle a passé son permis de conduire au début de l’année.)

Nous prenons Caravelle, Sa Majesté et moi et, à l’escale de Nice, je cours tuber au Vieux car j’ai hâte de savoir ce qu’il est advenu de la « Victoire ». L’a-t-on récupérée ? Est-on sur la trace de son acquéreur ? Là est la question, comme disent les amateurs de Shakespeare qui ne parlent pas anglais.

L’organe du Dabe m’explose dans les trompes comme un sac en papier.

— J’attendais votre appel, San-Antonio. Où êtes-vous ?

— A Nice.

— Filez immédiatement sur Marseille, mon petit !

— Vous avez retrouvé l’objet ?

— Non. Le dragage n’a rien donné. Mais je sais pratiquement où il se trouve.

— Où ça, boss ?

— Deux jours après le départ du Kavulom-Kavulos, le Good Luck To You a fait escale à Marseille.

— Compris, patron ! Ce sont les gars du yacht qui ont repêché la caisse ?

— Sans aucun doute. Des témoins assurent que des hommes-grenouilles ont plongé de son bord, soi-disant pour réparer une avarie à sa coque.

— Et le bateau se trouve ?

— En plein Atlantique, il fait route pour New York…

— Vous pouvez l’arraisonner !

— Impossible sans preuves ! La propriétaire du yacht, cette Barbara Slip, est un personnage connu qui bénéficie d’appuis importants outre-Atlantique. Supposons que la « Victoire » ne soit plus à bord, notre intervention pour le coup aurait des conséquences diplomatiques graves. Déjà que les relations ne sont pas tellement fameuses avec l’Amérique.

— Et alors ? demandé-je, il faut bien tenter quelque chose ? C’est pas parce que la « Victoire » a des ailes qu’il faut la laisser s’envoler.

Il est allergique à mon genre d’humour, le Scalpé. C’est jamais lui qui achètera mes bouquins, faites-moi confiance.

Déjà qu’il a renoncé à lire Proust parce qu’il trouvait que ça manquait de sérieux !

— Oui, fait-il sèchement, il faut tenter quelque chose et c’est encore sur vous que je compte pour cela, mon cher. J’ai donné des instructions pour qu’à Marseille on mette tout à votre disposition…

— Tout quoi ? insisté-je, bougon.

Il est tartufe, le Dabe. Il a of course une idée de derrière la boîte en os, mais il me laisse le soin de la trouver seul et de prendre moi-même mes responsabilités.

— Tout ! répète-t-il. Faites au mieux et tenez-moi au courant. L’affaire commence à transpirer. Des journalistes ont déjà téléphoné aux Beaux-Arts pour demander si certains bruits concernant la disparition de la « Victoire » étaient ou non fondés. Désormais, c’est une question d’heures ! Agissez, San-Antonio ! Agissez ! Et faites preuve d’initiative !

Cling ! Il a raccroché.

Je me frotte le temporal. Ah, je ne suis pas encore sorti de l’auberge !

Je vais retrouver Béru au bar de l’aéroport.

— Changement de direction, Gros.

Je lui raconte ma conversation avec le Big Boss.

— Tu as une idée du comment t’est-ce que tu vas t’y prendre ? murmure-t-il en lichant son pastaga afin de faire de la place au suivant.

— Yes, Gros.

— Si c’était un effet de votre indiscrétion, mon Seigneur, j’aimerais bien savoir, fait-il.

Je lui dis. Il écoute, réfléchit un instant, opine et déclare.

— T’es gonflé, Gars. Mais je vais avec toi !