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À voir de près.

Ça ne va pas être commode d’entrer dans l’intimité de ces personnages, mes amis ! Pas commode du tout !

CHAPITRE V

Dans lequel il est démontré que j’ai plusieurs tours dans mon sac, et que Béru, lui, n’a qu’un sac dans son tour

Le lendemain, nous retournons à la ville, le Gros et le gars Mézigue. Nous y faisons chacun une emplette. Pour ma part j’achète des jumelles d’approche tandis que le Gros s’offre une canne à lancer avec moulinet supersonique, cuillère à thé et tout.

En effet, je procède à une période d’observation. Les services du Mastar me sont donc provisoirement inutiles. Comme il lutine de trop près la mère Mac Hantine et que le taulier commence à faire la gueule, je lui ai conseillé d’aller à la pêche dans le lac de Stingines qui passe pour extrêmement poissonneux. Une légende court même dans le patelin concernant un monstre qui habiterait le sein des eaux. L’animal apparaîtrait tous les cinquante ans environ.

— Tu vois que je me le fasse au lancer léger ? rêve Béru. Sûr qu’ils cloqueraient ma pomme dans leurs baveux…

Nous prenons donc quarante-huit heures de vraies vacances. Vautré dans l’herbe fraîche, je note toutes les allées et venues du château, et je fais connaissance avec les personnages. J’aperçois la vieille Daphné qu’un maître d’hôtel solennel comme toute l’Angleterre balade le matin et après le déjeuner dans les allées du parc ; j’aperçois le jeune sir Concy, lequel est à mon avis un triste sir, hautain, hargneux et maussade ; j’aperçois Mac Ornish, lequel couche au château après une journée passée à la distillerie, et surtout, oui, surtout, je contemple la blonde, la ravissante Cynthia. Chaque après-midi la jeune fille part à Mybackside-Ischicken au volant de sa petite bagnole, et à chaque crépuscule elle en revient, les cheveux au vent…

Le soir, après avoir chipoté l’abominable tambouille du père Mac Hantine, je vais au plumard pour y accueillir miss Katty.

Le premier jour de pêche de Béru est un succès : six truites dont la plus petite pèse au moins huit cents grammes. Il est aux anges, le Cradingue ! C’est sa fête ! Il veut se faire photographier avec ses trophées. Et le lendemain il remet le couvert avec onze pièces grandes commak. Du coup il en oublie les angles de la taulière et il chambre Mac Hantine jusqu’à ce que l’Écossais lui laisse cuisiner lui-même sa pêche. L’autre y consent moyennant l’assurance que Béru achètera de ses deniers le beurre destiné à la cuisson. On se régale.

— Demain, fait le Mahousse, j’espère faire encore mieux !

— Demain, lui dis-je, tu feras encore mieux, mais pas avec ta canne à lancer.

— Comment t’est-ce alors ?

— Tu vas procéder à un attentat.

Il vide son aquarium de Guinness, passe sa langue de vache sur ses babines et déclare en refermant son Opinel :

— Avec toi j’sais qu’on peut s’attendre à tout, mais j’aimerais bien que tu me fasses un dessin.

— Faut que je m’introduise à Stingines Castle, Pépère.

— Et alors ?

— Alors j’ai trouvé un moyen d’y être accueilli en fanfare.

— Cause, j’t’écoute !

— Tu vas te déguiser…

— En quoi ?

— En ce que tu voudras, l’essentiel étant que tu te rendes méconnaissable.

— Banco, ça me botte. Après ?

— Tu te masqueras.

— Ça me botte toujours. Continue.

— Tu te posteras sur la route du château, après le petit chemin creux conduisant au lac, tu vois où ?

— Comme si que j’y serais, alors ?

— Tu auras semé des clous sur la route cent mètres avant.

— Pourquoi fout’ ?

— Pour crever les pneus de la môme Cynthia, la nièce de la châtelaine.

— Je vois pas…

— Je t’emmènerai chez les Frères Lissac.

— Esplique, quoi !

— Ayant ses chaussons percés, la gosse sera bien forcée de stopper.

— Vu, after ?

— Alors tu surgiras de derrière un buisson, revolver au poing.

— Moi ?

— Toi ! Et tu lui diras simplement : money ! Surtout ne prononce pas un mot de français, hein ?

— Mais, monnaie, c’est du français, objecte le Gros.

— Pas avec un i grec.

— Et comment que ça s’entendra qu’y a un i grec, hé, navet ! Faudra peut-être que je dise « Monnaie i grec ! »

— Inspecteur Bérurier, sermonné-je, le fait que nous soyons en terre étrangère ne vous dispense pas de respecter vos supérieurs.

Le Gonflé secoue la tête.

— Bon, je m’excuse. Donc je fais l’attaque de la diligence.

— Ça te sera facile, tu as tellement bu des vins du Postillon.

— T’es p’t’être mon supérieur, mais pour ce qu’est de l’esprit t’as encore des leçons à apprendre, San-A. ! déclara Béru.

— Je me ferai inscrire à la même Faculté que toi. Bon, donc tu attaqueras la fille. Et alors, moi j’interviendrai.

— Le chevalier Bavard, quoi ! ricane l’Obèse.

— Exactement. Ma bagnole sera planquée dans le chemin creux. Dès que je te verrai aux prises avec la souris je m’annoncerai ; je te sauterai sur le paletot et je ferai semblant de te filer une avoinée.

— Merci. C’est tout ce qu’t’as à me proposer comme rôle ?

— Je pense aussi à toi pour un rôle de truffe dans un documentaire sur le pâté de foie.

— Alors, on se chicorne au bidon…

Soucieux il s’interrompt et hisse jusqu’à moi ses yeux de saint-bernard qui n’a pas eu sa soucoupe.

— Car ça sera vraiment au bidon, hein ?

— Tu voudrais pas que je t’abîme, non ? Dans l’état où tu es déjà !

— C’est tout ?

Haussement d’épaules méprisant.

— Oui. Tu te sauveras.

Il interpelle Katty et lui enjoint d’apporter une nouvelle chope de bière. La môme lui désigne la pendule pour lui signifier que l’heure de l’alcool est passée de cinq minutes. Alors le Mastar se fiche dans une rogne affreuse et je suis obligé d’user de mon influence pour lui obtenir une nouvelle Guinness.

Calmé, mon coéquipier demande :

— Et toi ?

— Mais quoi, Bonhomme ?

— Qu’est-ce que tu feras ? Le galantin ?

— Exactement. Et je raccompagnerai la petite jusqu’au Castle puisque les pneus de sa brouette seront percés.

— Y a une chose que tu oublies, commissaire de mes…

— Inspecteur Bérurier, s’il vous plaît !

— T’oublies que si que je sème des clous sur la route, tes boudins à toi crèveront aussi, ils sont pas en acier inoxydable que je suce ?

Quand je vous le dis que Béru est un homme plein de bon sens. De ce tas de saindoux sortent parfois des objections extrêmement pertinentes.

Il exulte devant mon embarras.

— Hein ! Hein ! Gros malin !

— Votre gueule, Bérurier, laissez-moi réfléchir.

— Fais tes besoins, ricane le Gros en éclusant sa onzième chope de Guinness (laquelle commence à n’être plus si good for him que ça).

— On pourrait mettre une bûche d’arbre en travers de la route pour la forcer à stopper ? suggéré-je, seulement ça ne crèverait pas ses pneus. Et je tiens aux pneus crevés, car ça me fournira le prétexte idéal pour la raccompagner à Stingines Castle.

Bérurier met élégamment sa main devant sa bouche, because les gaz dus à la bière, mais l’incongruité qu’il s’apprêtait à colmater est d’un autre ordre et il ne peut rien contre elle, sinon faire craquer le dossier de sa chaise afin de lui chercher une rime.