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— J’ai mieux, fait-il sobrement en reniflant pêle-mêle de l’oxygène, du gaz carbonique, des brins de tabac et de la mousse de bière. Beaucoup mieux.

— Serait-ce possible !

— Je me coucherai en traviole de la route ; elle sera bien forcée de s’arrêter, ta pétasse, si qu’elle veut pas m’écraser…

— Je l’espère.

— J’aurai un couteau à la main et, tandis qu’elle descendra de sa charrette je percerai ses boudins avant.

— Bravo, Gros.

— Ensuite je ferai le numéro prévu en lever de rideau.

Je presse la dextre valeureuse du bon Béru.

— Tu n’es pas intelligent, Gros, mais tu es génial.

— Pas la peine d’en faire une pièce montée, repousse mon vaillant camarade. Ce truc-là il est connu comme le houblon !

À plat ventre sur le toit de ma Bentley, je sonde l’horizon au moyen de mes jumelles. Je distingue, à un lointain virage, la petite Triumph de miss Cynthia. La jeune fille est seule au volant. Le moment d’agir est venu. Je fourre deux de mes meilleurs doigts dans ma bouche et je module un long sifflement. Un autre coup de sifflet me parvient : Béru a perçu le signal. Maintenant ça va être à lui de jouer.

Un bruit de moteur croît rapidement. Cette gosse sait tenir un volant. Elle tape le cent vingt ! Pourvu qu’elle ait le temps de stopper. Vous ne voyez pas qu’elle me ratatine Bérurier ? Je ne m’en consolerais jamais.

Anxieux, je décris un demi-cercle sur le pavillon de mon corbillard. Je règle les jumelles et, par l’échancrure du feuillage, j’avise le Gros, les bras en croix sur la strada.

Son déguisement est soi-soi à Béru. Il est en Écossais, mon digne pote, Béru en kilt ! Ça ne fait pas vrai, vous avouerez ?

La Triumph débouche dans la ligne droite. Elle passe comme un trait noir devant le chemin où je me tiens dissimulé et c’est alors que retentissent les miaulements sauvages de ses freins. Un tourbillon de poussière blanche monte de la route. La bagnole stoppe à cinquante centimètres du mari de la B.B., laquelle a bien failli devenir veuve. Il est gonflé, le Gros, et pas seulement au gaz de ville ! Pour se livrer à ce petit exercice et laisser une voiture de course se ruer sur vous sans broncher il faut avoir des nerfs d’acier.

La blonde Cynthia saute de sa pompe et s’approche du gisant. Le gisant ne gît plus. J’entends d’ici le pfffff des pneus crevés, puis l’exclamation de surprise de la jeune fille qui voit se dresser un mastar masqué brandissant un pétard et mugissant « Money ! Money ! »

Plus une seconde à perdre. À toi de faire, San-A. L’acte deux va se jouer, avec dans le principal rôle le fameux commissaire San-Antonio, l’homme qui n’a peur ni des mouches ni des guêpières.

Je saute à terre, je bondis au volant, j’embraie, je démarre, je fonce, je vire, j’accélère, j’arrive, je freine, je descends, j’interviens…

Et il me faut une sacrée force de caractère pour ne pas éclater de rire. Béru, ma parole de flic, vaut le déplacement. Son accoutrement pulvériserait la rate d’un dératé.

Il a mis un kilt, mais il a conservé son calcif long par-dessous si bien qu’il ressemble plus à un Grec qu’à un Écossais. Il a boutonné sa veste à l’envers. Il porte un bas de femme sur le visage, ce qui rend son faciès effrayant, et il s’est coiffé d’un large béret à carreaux verts et rouges.

Je me précipite sur lui. Béru, jouant le Jeu, pointe son arquebuse sur moi. Je lui fais une manchette à grand spectacle : l’arme vole sur la route. Je lui cloque un crochet au menton, sans appuyer. Puis c’est un une-deux à la face. Le Gros chique au groggy et chute à genoux. C’est alors que l’imprévu se produit, comme toujours.

Miss Cynthia dont je n’ai pas encore eu le temps de m’occuper s’avance, armée d’une clé aussi anglaise qu’elle est écossaise et la propulse de toutes ses forces dans la théière du Gros.

Béru morfle l’arrivage dans les chailles et au bruit je comprends que son râtelier vient de déclarer forfait. On dirait qu’on a renversé une boîte de dominos.

— Oh ! n… de d… la p… ! hurle-t-il, en français et en zozotant.

Je le saisis par le cou pour l’aider à se relever et, mine de rien le protéger contre une nouvelle intervention de l’intrépide amazone.

— Barre-toi, patate ! lui chuchoté-je à l’oreille.

Il comprend que c’est le moment décisif de jouer à course-moi après je t’attrape et s’élance à travers champs.

Au lieu de le poursuivre, je perds du temps à chercher le revolver. Je le ramasse et je hurle en anglais d’Oxford :

— Hands up !

Mais Béru ne s’arrête pas, et ce pour deux raisons aussi valables l’une que l’autre ; primo il est convenu qu’il doit s’évaporer, deuxio il ne comprend pas la langue de Churchill.

Pour la beauté de la scène, je m’offre le luxe de tirer deux coups de feu dans sa direction. Mais Bibendum a disparu dans les joncs bordant le loch.

Je lance une exclamation rageuse et je me tourne vers la môme. Ma douleur ! Elle est un million neuf cent seize mille fois plus belle de près que de loin. Sa peau a un velouté que je n’ai jamais vu. Sa blondeur est authentique et franchement ses cheveux sont comme des fils d’or ; je sais que cette image est banale, mais elle traduit trop bien la réalité pour que je vous en dispense. Ses yeux ne sont pas bleus mais mauves, avec des petits points d’or. Sa bouche… Non, je peux pas vous dire… Faut être là, quoi ! Si au lieu d’aller vous faire tartir dans un burlingue, une usine, ou un collège vous veniez me rejoindre, bande de sous-développés, vous pigeriez !

Elle est bronzée, elle est parfaite. Rien ne cloche : ni la poitrine bien faite, ni les bras admirables et admirablement attachés, ni les chevilles bien proportionnées, ni le ventre plat, ni le cou léger, ni rien…

— Ce bandit ne vous a pas fait de mal ? m’inquiété-je, après qu’elle ait effacé ma silencieuse admiration.

J’ai parlé anglais, mais avec un accent pas piqué des hannetons car elle murmure :

— Vous êtes Français ?

Elle le murmure en français. Pour murmurer dans une langue, c’est comme pour s’y engueuler : il faut bien la posséder.

Bien sûr, elle aussi a un accent, mais si adorable qu’on a envie d’aller le lui chercher entre les dents.

— Ça s’entend ?

— Oui. Je ne sais comment vous remercier, vous êtes intervenu à temps.

— Grâces en soient rendues au hasard, fais-je. Quand je pense que j’ai hésité à venir de ce côté-ci… Il faut prévenir la police.

Elle hausse les épaules.

— Cet homme est sûrement un fou. Avez-vous remarqué son accoutrement ?

— Un fou armé est dangereux.

— Je téléphonerai à Mac Heusdress.

— Qui est-ce ?

— Le shérif.

Me souvenant alors des convenances, je m’incline.

— Mon nom est San-Antonio, fais-je.

Elle me tend la main.

— Enchantée, Cynthia Mac Herrel.

Notre poignée de paluches se prolonge juste ce qu’il faut pour en faire quelque chose de mieux qu’une banale poignée de main.

— La brute a crevé les pneus de mon auto, soupire la douce enfant.

— Qu’à cela ne tienne. Nous allons pousser votre Triumph sur le talus et je me ferai une joie de vous reconduire…

— Vous êtes très gentil.

Aussitôt dit aussitôt fait. Nous voilà partis enfin pour Stingines Castle.

La première partie de mon plan a parfaitement réussi. Béru a laissé ses dominos dans la bagarre, mais ça méritait ce sacrifice.

— Vous êtes en vacances ici ? demande Cynthia.

— Oui, dis-je. Je suis romancier et je me propose d’écrire un livre dont l’héroïne est Écossaise.