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— Non ? haleté-je.

— Elle a renvoyé sa bonne. Elle recueillait la nièce pour faire des économies, vous parlez d’une pingresse, hé ? Et c’est la mignonnette qui a fait le ménage et roulé le fauteuil. Sa tinte n’osait pas la cogner, mais elle lui était toujours après. Et je t’asticote ! Et je t’abreuve de sarcasses… Des gensss m’ont dit qu’elle avait presque toujours les larmes z’aux yeux, cette belle enfant. J’oubliais, son prénom c’était Cynthia. Pas très catholique, hé ? Mais joli quand même…

Je le laisse vider son assiettée de soupe, boire un nouveau godet de rosé et se grignoter un croûton frotté d’ail. L’haleine de mon collègue ressemble aux abords d’un restaurant à prix fixe sur le coup de midi.

Mme Fernaybranca qui a un cœur aussi gros qu’un édredon d’auberge et plus sensible que les pieds d’un facteur qui aurait mis des chaussures trop courtes, pleure dans son assiette.

On lui raconte les Deux Orphelines, la Porteuse de Bread, Vierge et Grand-Mère… C’est beau, c’est triste, l’adolescente aux cheveux d’or poussant le fauteuil à roulettes d’une fée Carabosse sur la Promenade des Rosbifs, ça vous essore le palpitant quand on est méridionale.

— Ensuite ? pressé-je.

— Eh bien, la chichoune est devenue une belle fille avé des roploplos comme le capot d’une Lancia…

— Oh ! Casimir ! proteste Mme Fernaybranca, choquée par la hardiesse de l’image et peut-être aussi un peu jalouse (elle a son usine France-Lait qui ressemble à deux sacs de plage).

Fernaybranca rigole, égrillard. Il ne met pas de l’ail que sur son pain : il en colle également dans sa conversation.

— Et puis un beau matin, la mère Mac Herrel a pris l’avion pour son patelin. Paraît que son neveu venait de se faire tuer en Afrique et qu’elle devait s’occuper des affaires.

Un silence, assez bref.

— C’est bien triste, conclut mon hôtesse.

— Très bien, Fernay, dis-je, vous venez de me fournir un excellent résumé de la situation. Maintenant, si vous le voulez bien, nous allons entrer dans le détail…

— Vous n’aimeriez pas mieux qu’on entre dans les pieds-paquets de Palmyre ? plaisante-t-il.

— L’un n’empêche pas l’autre. Madame, votre soupe de poissons était divine.

Elle roucoule :

— Oh ! Monsieur le Commissaire, vous me passez la brosse !

Puis, toute contente, elle nous sort du four un plat si odorant que j’en ai les muqueuses survoltées.

— Qué détails ? fait mon confrère, revenant brusquement à nos brebis.

— À Nice, la vieille ne fréquentait personne ?

— Personne que son médecin…

— Vous avez le nom et l’adresse de ce toubib ?

Il sort son portefeuille et en extrait un morceau de nappe en papier couvert de notes.

— Docteur Grattefigue, 11, rue Gras du Bide…

— Bien, mais Cynthia, par contre, devait avoir des relations. Elle a sûrement fréquenté des institutions ; elle a eu des camarades ; elle a connu des commerçants ?

— Pas tellement. Quand elle est venue, elle avait quatorze ans. La vieille, au lieu de la foutre au lycée, l’a abonnée à des cours par correspondance afin que ses études complémentaires demeurassent anglaises. Vous parlez d’une brave vie qu’elle menait, la Cynthia : elle faisait la bonne, l’infirmière, et elle continuait toute seule ses études. Ce qu’elle fréquentait, si on peut dire, c’était seulement les commerçants du quartier.

Voilà, c’est tout ce que peut m’apprendre Fernaybranca. C’est beaucoup. Maintenant je vois mieux les tenants de l’affaire.

— Dites-moi, Casimir, les Mac Herrel ont toujours leur maison ?

— Oui, toujours.

— Ils l’ont louée ?

— Non, elle est fermée.

— Pour des radins, c’est perdre une source de revenus intéressante, non ?

— Té, c’est pourtant vrai.

Les pieds-paxons sont étourdissants. Voilà qui me fait oublier le gigot bouilli de Stingines ! Nous achevons le repas en parlant d’autres choses. Casimir me raconte la dernière histoire marseillaise. Je la connais depuis vingt ans, mais je lui fais le plaisir d’en rire. Pour ne pas être en reste je lui raconte l’histoire du pédé qui va trouver un psychiatre. Il ne la comprend pas, mais il me fait l’honneur de s’étouffer. Nous avons liquidé trois boutanches de rosé et une légère euphorie nous habite lorsque je déclare brusquement :

— Ah ! c’est pas le tout : maintenant, au travail !

Fernaybranca se claque les cuisses.

— Oh, ce qu’il est marrant. Y a qu’à Paris qu’on trouve des galéjades pareilles.

Mais comme je me lève de table et que j’ai l’air sérieux, il cesse de se fendre.

— Où allez-vous ?

— Chez les Mac Herrel, mon bon ami.

— Mais…

— Oui ?

— Je vous ai dit qu’il n’y avait plus personne depuis deux ans !

— Justement : la voie est libre.

— Comment allez-vous rentrer dans la maison ?

— Par la porte, je pense, si la serrure n’est pas trop réticente…

Un temps.

— Ça vous amuserait de venir avec moi ?

— Mais… Mais…

Il regarde sa femme, la bouteille vide, mon merveilleux visage au sourire enjôleur. Mes méthodes le laissent baba.

— À pareille heure ! soupire-t-il.

— Dans le Midi, je préfère travailler à la fraîcheur. Venez donc avec moi, collègue, et n’ayez pas peur : je prends tout sur les côtelettes.

Il me suit.

C’est une grande bâtisse peinte en ocre. Mais peinte depuis très longtemps et il y a de grandes traînées pisseuses sur la façade. Les balcons sont rouillés, le jardin est en friche. Seuls, deux gros palmiers conservent à la propriété son aspect de résidence de vacances.

Fernay, sur mes instances a bien voulu passer au commissariat pour se munir d’un passe. Nous ouvrons la grille sans difficulté.

Il fait une nuit enchanteresse. Les grillons mènent un tapage terrible dans le jardin. Depuis la terrasse d’une boîte de nuit en plein air, nous viennent des éclats de cuivre et les coups sourds et syncopés d’une contrebasse.

— Écoutez, San-Antonio, chuchote Fernay, mal à l’aise, tandis que nous remontons l’allée, ce que nous faisons là est illégal.

— À quoi nous servirait d’être les représentants de la loi si nous n’avions la possibilité de la contourner de temps à autre ? rétorqué-je.

Le temps qu’il assimile et nous avons gravi le perron. Quelques essais de clés et nous ouvrons. Une fade odeur de renfermé et de moisi nous saute à la gorge.

— Essayons de trouver le compteur ! dis-je.

— Parce que vous voulez éclairer ! s’alarme Fernaybranca.

— Les proprios sont à près de deux mille kilomètres d’ici, ça m’étonnerait qu’ils aperçoivent la lumière…

En m’aidant de ma torche électrique, je gagne l’office. J’y trouve le compteur, je remonte sa manette et la lumière vient.

Le spectacle est désolant. Le papier des murs pend en languettes humides, les plafonds sont lézardés, les lambris décollés, des toiles d’araignée s’accrochent un peu partout.

Nous visitons les pièces les unes après les autres. C’est le domaine de la Belle au Bois Pionçant. Des fauteuils sous des housses, des draps sur les lits et les tables. Cela a quelque chose de funèbre, de désolé…

— Hé bé, balbutie mon ami, c’est un brave cauchemar, hé ?

— Pas mal, oui, conviens-je.

Nous parcourons les deux étages, ouvrant toutes les portes, y compris celles des toilettes, des placards et des penderies.