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— Environ deux heures du matin.

— Où était-elle ?

— Elle sortait d’un bar de nuit à la réputation assez douteuse : « Le Mirliton Doré » et elle se trouvait en compagnie d’un homme.

— Vous êtes certain qu’il s’agissait d’elle ?

— D’autant plus certain qu’elle m’a reconnu et s’est cachée derrière son compagnon.

— À quoi ressemblait-il ?

Il hausse les épaules.

— Je n’ai pas eu le temps de l’examiner. J’étais si surpris de voir cette fille dehors à pareille heure et dans un tel lieu… Il me semble toutefois qu’il s’agissait d’un garçon assez jeune et assez grand…

Je me permets de tapoter l’épaule rembourrée du toubib tant est grande ma satisfaction.

— Eh bien, vous venez de rendre un signalé service à la police, docteur. Bravo !

— C’est ici ! me dit Fernaybranca en tendant le doigt vers une porte basse, blottie au bas de quatre marches.

De la musique et une rumeur confuse s’échappent de l’endroit. Au-dessus de la porte une enseigne lumineuse représente un mirliton stylisé. Il y a écrit en lettres de néon, au-dessus du motif : « Au » puis en dessous : « Doré ».

— Quel genre de taule ?

— Pff, pas plus crapularde que beaucoup. Y a un peu de tout : des touristes, les jeunes dévergondés de la région…

Il me désigne une rangée de motos clinquantes devant le mur de la boîte.

— Des gars du mitan ?

— Aussi. Mais discrets.

Nous entrons. C’est un trou enfumé. On donnerait dix mille balles à un mineur, il refuserait de descendre dans cet antre.

Une musique hystérique s’échappe d’un appareil High Fi. C’est plein de trèpe. Sur une piste grande comme un timbre de quittance, quelques couples se frottent le lard en se chuchotant des promesses qu’ils tiennent déjà. On se rabat vers le comptoir. Quelques zigotos aussi douteux qu’une irruption de boutons s’écartent pour nous laisser le passage. M’est avis que le Commissaire est connu comme le houblon (Béru l’a déjà dit).

Le loufiat, un grand déplumé au grand nez, cligne de l’œil à son intention…

— Salut, quelle bonne surprise… Un petit remontant comme d’habitude ?

Fernaybranca rougit un chouïa à cause de la présence à ses côtés du fameux San-Antonio qu’il a tendance à prendre pour un révérend père.

— C’est ça, dit Casimir.

Il fait signe au barman.

— On peut te causer une seconde, Victor ?

Victor opine sans joie. Il doit becqueter à la grande gamelle et même s’y goinfrer, mais pas en public. Il nous verse deux vieillards maniaques (jeu de mot bérurien que je vous laisse le soin de déchiffrer) et s’approche en se grattant la nuque.

— Oui.

Je sors de ma fouille le permis de conduire de Cynthia que j’ai conservé après le hold-up du Gros. Je désigne la photo of identité qui l’illustre.

— Vous connaissez cette fille ?

Victor hoche sa bouille de termite poitrinaire.

— Ouais, y me semble, mais ça fait un bout de temps qu’on l’a pas vue par ici.

— Racontez un peu.

— Quoi ?

— Son comportement à l’époque où elle fréquentait le Mirliton…

Il secoue la bouille :

— Une drôle de souris. Elle est entrée un soir, toute seule. Elle s’est assise à la petite table du fond, là-bas et elle a commandé un alcool. Elle avait l’air d’une biche qui s’est échappée. Elle a bu en fermant les yeux, ça l’a fait tousser, et puis elle a payé et elle est repartie. Le tout a pas duré trois minutes.

— Et puis ?

— Elle est revenue le lendemain soir. Cette fois elle est restée plus longtemps. Elle a bu deux scotchs. Des gars ont voulu la chambrer, l’inviter à danser, elle ne leur a rien répondu.

« C’est devenu une habitude, la môme s’est amenée toutes les nuits. Elle avait pas d’heure fixe. Des fois c’était dix heures et d’autres fois une heure du mat’ ou plus…

Parbleu, elle attendait que la vieille mégère soit endormie. C’était pour cela qu’elle avait demandé à Grattefigue d’ordonner des barbituriques à la tatan Daphné. Elle étouffait. C’était sa soupape qui fonctionnait au Mirliton.

— Continuez, mon vieux, vous me passionnez.

— C’est vrai ? sourit piètrement le loufiat en matant les abords d’un œil aussi torve qu’un tire-bouchon.

— Officiel.

— Eh bien, au bout d’un certain temps, elle s’est laissée dégringoler en flamme par un julot.

— Qui était-ce ?

— Pff, un ancien comédien sans talent. Il avait échoué au Casino à la suite d’une tournée foireuse et depuis il bricolait…

— Qu’appelez-vous bricoler ?

Le barman regarde Fernaybranca. Mon collègue l’encourage d’un hochement de tête, alors le gars s’obstrue une narine avec le revers du pouce.

— Il s’expliquait dans la chnouf ?

— J’avais cru le comprendre, élude-t-il.

Les maillons s’enchaînent les uns aux autres à une vitesse dépassant celle de la lumière.

— Le blaze de ce dégourdi ?

— Ben, vous savez…

Fernaybranca a un petit claquement de langue agacé.

— Allonge, fils, fait-il sèchement, tu fais pas ta première communion cette année, non ?

— Il s’appelait Steve Marrow.

— C’était son vrai nom ?

— Je pense. Mais vous savez, je ne suis jamais allé photocopier son extrait de naissance.

— Où créchait-il, ici ?

— À l’hôtel du Pin Parasol.

— Vous disiez qu’il avait séduit la gamine ?

— En deux coups de cuillère à pot, peut-être parce qu’il était Anglais, comme elle ? Cette gosse farouche qui ne répondait même pas aux hommes qui lui parlaient poliment, lui est pour ainsi dire tombée dans les bras, comme un fruit mûr lâche sa branche.

— Jolie métaphore, et après ?

— Après rien… Ils ont continué de se voir pendant un certain temps, après quoi ils ont disparu.

Je vide mon verre.

— Remettez-nous ça, mon brave Victor, et prenez un glass avec nous !

— À quel hôtel descendez-vous ? s’inquiète brusquement Fernaybranca, lorsque nous sortons du Mirliton Doré après y avoir éclusé pas mal de vieillards tous plus maniaques les uns que les autres…

Son élocution est hésitante. Sa langue a tendance à vouloir en dire plus long que sa pensée et surtout à ne pas démarrer en même temps.

— Je pense, fais-je, que l’hôtel du Pin Parasol me conviendrait parfaitement.

CHAPITRE XVI

Dans lequel je me frappe la poitrine et je frappe la mâchoire de quelqu’un que vous connaissez déjà

La nuit écossaise brille avec une grande économie d’étoiles lorsque je stoppe ma Bentley de première classe non loin de la demeure habitée par la mère O’Paff. Les ajoncs de la lande frémissent, des chouettes hululent et des grenouilles pullulent sur les pourtours du lac.

À main droite, la massive silhouette de Stingines Castle se découpe sur l’horizon comme une citadelle redoutable. Un fantôme se baguenauderait dans cette campagne hostile que je n’en serais pas surpris. C’est vraiment un curieux bled.

L’ancienne tapineuse de Montrouge habite une minable baraque bourrée de courants d’air. Des vitres fêlées et ravaudées avec du papier collant achèvent de donner à la masure un aspect minable.

Je mets mes mains en porte-voix (ce qui vaut mieux que de les mettre en porte à faux) et je mugis, d’une voix pourtant sourde :

— Béru !

Ce, à différentes reprises, et sur un ton qui va croissant comme la lune et coassant comme les grenouilles.