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Nobody ! Je siffle, je frappe à l’huis, aux vitres, aux volets, toujours en vain. Je vous parie un marécage contre une maréchaussée que Béru et la dame Gladys se sont poivrés au scotch. J’actionne le loquet de la lourde et, avec une surprenante docilité, celle-ci s’écarte devant moi, comme un monôme d’étudiants devant un car de police.

Cette pâle clarté qui tombe des étoiles me permet de distinguer une masse claire au milieu de la pièce. Je me grouille d’allumer et j’aperçois Gladys, vautrée sur le plancher, la joue à même les lattes disjointes, un bras allongé, les jupes retroussées, la bouche grande ouverte. Elle a beaucoup changé, cette honorable marchande d’amour. Avec la bouille qu’elle possède maintenant elle a eu raison de s’évacuer en Écosse. Et même à mon avis, elle aurait pu pousser sa retraite plus au Nord, en Islande ou au Détroit de Bering, for exemple, because elle est moins que comestible.

Elle a la trogne bouffie et couverte de pustules violacées. Ses cheveux qu’elle ne fait plus teindre ressemblent à la perruque d’un garde qui jouerait dans l’arrestation de Louis XVI. C’est l’ivrognesse dans toute son horreur.

Elle ronfle comme un bulldozer sur un chantier.

Je rappelle, d’une voix de centaure :

— Béru !

Puis, pour déclencher éventuellement chez ce damné pochard une réaction de son état second :

— On demande l’inspecteur Principal Bérurier au téléphone !

Zéro.

Je visite la carrée. C’est vite fait car elle se compose de deux pièces minables. Le Gros ne s’y trouve pas. Pourtant j’aperçois sa valise sur un amoncellement de caisses. La cabane pue le hareng fumé, la lampe fumeuse, la pièce enfumée, la fumée de tabac, le noir de fumée et la chaussure de caoutchouc surmenée.

Je reviens à la dame étendue sur le sol et je la secoue délicatement du bout du pied.

— Madame Gladys ! fais-je, ça vous ennuierait de revenir à vous deux secondes, j’ai à vous parler ?

Mais va te faire cuire un œuf ! Elle continue de ronfler, cette morue, et de cuver son whisky. Alors le valeureux Commissaire San-Antonio, celui qui remplace avantageusement le beurre, la margarine et le rond du bey du rha dada, s’empare délibérément — et par l’anse — d’un seau qu’il va remplir au puits voisin.

Une douche glacée, y a que ça pour ranimer les poivrots.

La vioque suffoque, éternue, ouvre un œil et se met à proférer des injures.

— Ça va mieux, Gladys ? je questionne d’un ton affable.

Son œil glauque me considère lourdement. Je la soulève par le corsage et je l’adosse au mur. Mais sa tête dodeline.

— Où est l’ami Bérurier ? questionné-je.

La mère O’Paff libère quelques borborygmes et me traite tour à tour : d’enfant de putain (ce qui laisserait entendre qu’elle envisage mon adoption favorablement) ; de fumier de lapin (je n’ai rien contre ces aimables herbivores non plus que contre leurs sous-produits) ; de sodomisé de frais (le mot frais a quelque chose de sain et de printanier qui corrige ce que d’aucuns trouveraient de péjoratif à l’épithète) ; et d’impuissant (ce qui est son droit vu que je ne me sentirai jamais le courage de lui infliger un démenti).

Je prends le meilleur parti, celui d’aller tirer un autre seau d’eau. Le plus calmement du monde je lui en flanque la moitié (en anglais : the half) au portrait. Nouvelle suffocation, nouvelle quinte de toux. Nouvelles injures encore plus corsées que les précédentes.

Pour lors, le célèbre San-Antonio délaisse momentanément cette exquise politesse qui en a fait en quelque sorte le Colbert de la police.

— Écoute, Gladys, l’interromps-je, si tu ne réponds pas à mes questions, je continue de te filer de la flotte à travers la hure jusqu’à ce que ton puits soit vide, tu m’entends ?

Et, comme preuve de ce que j’avance, je lui délivre le solde de tisane qui se trouve dans le seau.

— C’est O.K., chérie ?

— Qu’est-ce que vous me voulez, charogne ambulante ? s’inquiète enfin la copine du Gros.

— Mon ami Bérurier qui logeait chez vous !

— L’ai pas revu…

— Vous mentez. Et si vous mentez on vous collera en taule. Et si on vous colle au gnouf vous n’aurez pas de whisky. Et si vous n’avez plus de whisky, imbibée comme vous l’êtes, vous crèverez de délirium plus ou moins mince. Il y aura des chauves-souris et des cancrelats plein votre cellule, vous pigez, ma poupée !

— Toi t’es un ami de Béru, me lance-t-elle en français. T’es un frenchman à la c… Tous gueulards et fiers à bras.

Elle se tait et se fout à chialer comme les fontaines du Rond-point des Champs-Élysées.

— Ah ! misère, quelle idée j’ai eue de quitter Montrouge pour venir crever d’alcool dans ce pays de malheur !

Je suis touché comme un collégien.

— Allez, la mère, vous cassez pas le chou : chacun sa vie. Les bonheurs en technicolor, ça ne se fabrique qu’à Hollywood. Ça dure une heure trente-cinq sur la toile d’un ciné et ça fait ch… tout le monde. Je vous demande où est le Gros Béru…

Elle continue de chialer son scotch, pourtant elle répond à travers ses larmes :

— Je vous dis qu’il n’est pas rentré. L’a pris son lunch ici à midi, l’est sorti, l’est pas rentré…

— Vous ne savez pas où il allait ?

— Non. J’y ai demandé. Il m’a dit « Secret professionnel », le damné porc !

— Il vous avait dit qu’il rentrerait pour dîner, je suppose ?

— Bien sûr ! Même qu’il avait ramené de la ville un poulet froid et une paire de bouteilles de scotch…

— Que vous avez bues en l’attendant ?

— Oui.

— Vous n’avez vu personne ?

— Si.

Je dresse l’oreille.

— Qui ?

— Au début du tantôt, juste comme ce sacré dégoûtant de flic venait de partir, y’est venu un type qui m’a demandé après un certain San-Antonio.

— Ah oui ?

— Puisque je vous le dis, french boy de mes f…

— Alors ?

— Je lui ai répondu que je ne connaissais pas, et c’est la vraie vérité du Bon Dieu que je connais pas ce San-Antonio. Vous le connaissez seulement, vous ?

— Personne ne connaît personne, éludé-je sentencieusement. Que s’est-il passé ?

— J’ai cru que le gars allait m’étrangler. Il était pâle comme la mort et il grinçait des dents.

— Vous ne savez pas qui il était ?

— J’en ai une vague idée. Je l’ai aperçu souvent en compagnie de la fille de Stingines Castle. Un jeune aristo qui a une sale gu… et du sparadrap sur les paupières.

Sir Concy ! Il n’y a aucun doute : l’homme qui me cherchait n’est autre que le fiancé de Cynthia. Comment a-t-il su que Béru se trouvait chez la mère Gladys ? J’ai commis une imprudence en laissant mon pote seul ici. Il lui est sûrement arrivé quelque chose. Ces crapules ont pris peur et se sont emparés de lui. Au château, on n’a pas cru à mon départ… Misère ! Mon Béru ! Vous ne voyez pas qu’on me l’ait buté ! Alors que sa nomination était presque dans la fouille !

Ça me galvanise.

— Vous n’avez revu personne depuis cette visite, Gladys ?

— Non.

— Bien vrai ?

— Puisque Je vous le dis, morveux !

Et la voilà qui redevient mal embouchée comme tout. Elle me jure que si Je doute de sa parole elle va frotter sur mon nez une partie d’elle-même que J’estime tout à fait impropre à la consommation et qui, de toute façon, n’ennoblirait pas mon appendice nasal.

Je la laisse cuver en paix et Je saute dans ma Bentley de cérémonie (funèbre).

Minuit, l’heure du crime, carillonne au clocher de Saint-Charpiny lorsque je carillonne moi-même à la lourde de sir Concy.