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— Je n’ai fait qu’un aller-retour, mon bon ami. L’Écosse est pareille à son whisky : lorsqu’on a trempé le nez dedans une fois, on y revient toujours…

Tout en parlant, je me suis approché du bonhomme. Au moment où il s’y attend le moins, je lui fais une clé japonaise (dans ce pays, je ne puis décemment lui faire une clé anglaise) et il se retrouve à dame, les bras derrière le dos, ses petites flûtes courtaudes ramant désespérément. Il glapit :

— Mais qu’est-ce qui vous prend ! Quelle est cette plaisanterie de mauvais goût ! Messieurs, voyons !

— La boucle ! dis-je en anglais.

Et tout en disant en anglais, je palpe les poches du monsieur. Elles ne contiennent que son portefeuille et de l’argent.

— Mais c’est une agression, Seigneur Jésus ! s’époumone le poupard.

— Qu’avez-vous fait de votre revolver ? interrogé-je en lui cloquant un coup de tranchant sur le museau.

Il geint :

— Mais je n’ai pas de revolver !

— Espèce de gros sac ! L’autre soir, au dîner, vous en aviez un !

Il s’assied à terre, tire son mouchoir et s’éponge le front.

— C’est vrai, reconnaît-il sans se troubler outre mesure, mais dès le lendemain, je l’ai déposé chez le shérif.

— Pardon ?

Sa face replète est violette d’émotion. Il regarde San-A, il regarde sir Concy et son copain ; et il ne sait plus si c’est du lard ou du Bérurier.

— Ben oui. J’avais trouvé cette arme en rentrant dans la cour de la distillerie. Je l’avais empochée car c’est un objet qu’il vaut mieux ne pas laisser traîner, d’autant plus que celle-ci était chargée. Et le lendemain, je l’ai portée à la police. Allez-y voir si vous ne me croyez pas.

Il se remet debout en ahanant.

— En voilà des manières, proteste-t-il. Me molester comme un malfaiteur ! Mais, messieurs, auriez-vous perdu la tête, ou bien êtes-vous ivres ! Et cet appel téléphonique au milieu de la nuit ! Hmm !

Il râle vilain. Je me rappelle alors ce que m’a dit le révérend Mac Happot : « L’homme le plus édifiant de Stingines et des environs, ce Mac Ornish ! » Son histoire du pétard m’a l’air plausible. Allons, bon, me voilà avec un suspect de moins.

Je lui dévoile alors mon identité et le pourquoi du comment du chose qui m’a amené dans son patelin. Il n’en revient pas.

— Lady Mac Herrel compromise dans une affaire de stupéfiants ! Y songez-vous !

— Lady Mac Herrel est décédée, messieurs. Ce depuis vingt-cinq mois et pas d’une occlusion intestinale !

Exclamations ! Stupeur ! Etc… J’en passe, et sans mettre le clignotant !

— À plus tard les explications, coupé-je. Mac Ornish, vous avez une clé de la distillerie ?

— Évidemment !

— Eh bien, allons-y !

— Hein !

— Vite !

Aussitôt dit aussitôt fait. Nous nous embarquons à bord de ma Bentley-Funéraire, Mac Ornish, les deux zigs en smok et Bibi, fils unique et toujours préféré de Félicie.

En route, je pose des questions pertinentes au diro de la boîte. Il y fait des réponses satisfaisantes qui contribuent à éclairer ma loupiote. Par exemple, j’apprends que le service de mise en bouteilles soutire un fût par jour et que la production de certaines journées est enlevée sur les ordres de Mrs Daphné par un camionneur qui est censé les livrer à des amis à elle (ce que je crois volontiers).

— La pseudo Mrs Mac Herrel, se tenait-elle au courant de la mise en bouteilles des fûts ?

— Chaque soir, elle m’indique sur un plan le fût qui devra être soutiré le lendemain, je considérais cela comme une marotte de vieillard.

Drôle de marotte ! C’était tout bonnement la clé du trafic. La nuit, Cynthia ou un complice allait verser l’héroïne dans le fût désigné. Elle se dissolvait pendant la nuit et le lendemain on soutirait du whisky drogué que d’autres complices venaient chercher et expédiaient aux abonnés ! Un jour, il y a eu erreur et M. Olivieri a reçu une caisse de whisky truqué… Cette fatale erreur (fatale surtout pour Olivieri) devait faire découvrir le pot aux roses.

Pourquoi voulez-vous visiter la distillerie à pareille heure ? s’inquiète Mac Ornish.

À pareille heure ! Combien de fois l’aurai-je entendue, cette protestation ! C’est fou ce que les gens ont le souci de l’heure.

La vie, au fond, c’est une pendule. On regarde sa montre pour savoir ce qu’on va commander au café ; on la regarde pour se tâter le pouls, on la regarde pour savoir si on doit travailler, se baigner ou dormir. C’est un cauchemar. L’univers en douze parties subdivisées en soixante, re-sub-divisées en soixante ! Un cauchemar quand on y songe ! Des aiguilles tricotent notre destin. Une maille à l’endroit et le cœur à l’envers !

— Je ne veux pas visiter la distillerie, je veux seulement faire un tour à la cave.

Nous nous y rendons au pas de gymnastique. Devant mes escorteurs abasourdis, je cavale droit au fût recelant le cadavre. Il y a une immense flaque d’alcool au pied de celui-ci.

Je grimpe dessus et je pousse un cri de désespoir.

On a bricolé mon trappon ! En une seconde je viens de tout piger. Maintenant un disque de bois est cloué par-dessus. Ces vaches ont capturé Béru, l’ont assaisonné comme l’autre type et ont voulu que les deux gars se tinssent compagnie. Misère ! Trois fois misère ! Mon pauvre Béru ! En voulant desceller le fût ils ont vu qu’il était scié sur sa partie supérieure…

— Vite ! Des tenailles ! Un ciseau à froid ! Un marteau !

Ces messieurs en smoking dans une cave qui me brandissent des outils, c’est un spectacle que je n’oublierai jamais ! Jamais !

J’arrache le disque de bois, puis le trappon. Je plonge le faisceau de ma lampe à l’intérieur du tonneau. Et ce que j’appréhende se concrétise. Il y a deux cadavres au lieu d’un dans la futaille : celui de l’homme à l’étui et celui de Bérurier.

Je crie aux autres de m’aider. Nous brisons à coups de masse le haut du fût ; au contraire de ce tonnelier amoureux des contrepèteries qui passait la main entre deux caisses pour boucher le trou du fût. Je me penche, je saisis Bérurier par un bras ; sir Concy qui m’a rejoint le prend par un autre. Nous le sortons tout ruisselant de son étrange sarcophage. Nous l’étendons sur le sol…

Des larmes ruissellent sur mes joues.

Mon Béru, mon cher, mon brave, mon fidèle Béru ! Mort, noyé ! Dans un whisky, certes, mais noyé tout de même ! Alors c’est donc fini tes balourdises et tes coups de gueule, tes séances de châtaignes, tes nuits blanches, tes gueuletons, tes réflexions impayables ? Fini, dis, Béru ?

Et brusquement, à travers la buée qui voile mon regard, je distingue l’énorme masse ruisselante qui s’ébroue. Et une voix d’ivrogne brame aux échos de la cave ce chant altier :

« Cardons, cardons, car nous sommes matelassiers. »

Oui, c’est Béru. Il balance son hymne : les Matelassiers, avec un clapotis, des gargouillis, des bulles, des borborygmes, des soupirs, des gloussements.

« Car nous sommes matelassiers, mes frères ! Oui, nous sommes matelassiers. »

J’ignore le nom du compositeur de ce chef-d’œuvre impérissable du folklore français. Mais qu’il soit béni à jamais pour l’immense joie que je lui dois !

Enveloppé dans une couverture, confortablement allongé sur le canapé du bureau de Mac Ornish, le Gros claque des dents.

Il a des nausées et, spasmodiquement, souille le plancher.

Il a dû avaler au moins deux litres de scotch, le pauvre lapin !

— Qu’est-ce qui t’est arrivé ? demandé-je.

Il a un long frémissement de bas en haut.

Son regard injecté de sang me considère.

— Ah ! T’es revenu, Commideux de mes saires ! gargouille-t-il. Pas trop… heug… tôt. Écoute, je… heug… vais te dire. On peut pas exhumer de l’avenir, mais… heug… jamais je reboirai du whisky ! Ah ! tonnerre de Dieu, la saloperie qu’y a là !.. Heug…