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Justement me voici à la hauteur du 212. Je stoppe ma tire et je m’avance vers la grille. Olivieri, tout comme le nabot Léon de l’édition, pioge dans un hôtel particulier qui offre présentement la particularité d’être éteint de bas en haut. Je place mon index qui en a touché d’autres sur le bouton de la sonnette et j’appuie. J’attends un instant et, comme je presse une deuxième fois le bouton, je vois s’éclairer la fenêtre du gardien. Une persienne de fer se déplie partiellement et un type pas content demande :

— Qu’est-ce que c’est ?

— Police, le renseigné-je.

Il hésite. Notre époque est bourrée de malfrats qui se prétendent de la poule et qui vous font le coup du lapin.

— Un instant !

Le bonhomme disparaît de sa fenêtre comme un coucou venait de chanter midi. Un temps assez long s’écoule. Puis je vois se pointer une silhouette massive le long de la grille.

Un homme d’une soixantaine d’années, baraqué façon lutteur, me dévisage sans joie à travers les barreaux. Il a mis un falzar sans passer les bretelles qui lui battent les meules et il a bourré le pan gigantesque de sa chemise de noye dans le futal, ce qui lui constitue un énorme bourrelet, autour du baquet.

— Vous avez votre plaque ?

— Voici !

Il examine, admet et colle dans la poche de son grimpant une arquebuse d’artilleur.

— C’est à quel sujet ?

— Il faut que je voie M. Olivieri.

— Maintenant ?

— Ça urge.

Je parle net. Dans ces cas-là, il ne faut pas prendre le ton de Jean Tissier.

— Bon.

Il ouvre.

— Je vais vous faire entrer chez moi. Faut que je prévienne son valet de chambre.

Nous pénétrons dans une espèce de poste de garde-salle à manger dans lequel flottent des relents de chou bouilli. Venant d’une pièce voisine, une voix de mémé s’inquiète :

— C’est vraiment un flic, Hector ?

— Ta gueule ! l’informe le gardien.

Il va à un appareil téléphonique, réfléchit et branche une fiche. Un petit voyant lumineux s’éclaire. Au bout de trente-trois secondes, il se produit un déclic.

— Albert ? demande le gardien.

L’autre doit bâiller que oui.

— Préviens Monsieur qu’un policier veut le voir tout de suite.

Je ne sais pas ce que bonnit le larbin, toujours est-il que le gardien l’écoute en émettant un petit ricanement mauvais.

— Ah ! j’sais pas, moi, conclut-il en raccrochant.

Il me regarde et demande :

— Rien de grave ?

— C’est à voir, expliqué-je.

Je perçois un trottinement derrière la porte, celle-ci s’entrebâille légèrement et j’aperçois un œil sommé d’une mèche de cheveux blancs. Madame l’épouse du gardien veut savoir à qui je ressemble. Le sachant, elle regagne sa couche matrimoniale.

Un peu inquiet dans sa Ford intérieure, le San-A, mes chéris. Cet Olivieri doit être encore un de ces grossiums bourrés de relations qui ne va pas apprécier ma visite nocturne. D’ici que ça chauffe pour mes plumes…

Un larbin surgit. Un vrai : gilet rayé et tout. Son œil est encore un peu comateux, mais à part ça, il est impec.

Il me toise du haut de sa grandeur.

— C’est vous qui voulez voir Monsieur ?

— C’est moi.

— Il est deux heures du matin…

Je regarde ma montre.

— Deux heures et quart, complété-je. Ayez la bonté de le prévenir de ma visite.

Mon assurance (je suis à l’Urbaine et la Seine) le déroute un chouïa.

— Très bien, si vous voulez me suivre…

Je fais à nouveau la connaissance d’un immense hall. Les murs de celui-ci sont tapissés de peau de suède. Il y a des peaux d’ours blancs par terre, des statues de marbre, des plantes rares, et un tableau de Picasso qui m’a l’air authentique. Croyez-moi, M. Olivieri n’attend pas d’avoir touché les allocations familiales pour aller acheter un kilo de sucre.

Le valeton me désigne une banquette recouverte de velours bleu nuit.

— Asseyez-vous, je vais aller réveiller Monsieur.

Et il s’engage dans le monumental escadrin. Je patiente un brin de moment, préparant des arguments. Si j’en crois la prudence du domestique, Olivieri doit être un mauvais coucheur qu’il ne fait pas bon réveiller.

La seule manière de m’en tirer vis-à-vis de l’industriel, c’est de lui brandir la bannière étoilée du scandale. On a les humbles avec du fric, les bourgeois avec des honneurs, les riches avec des menaces de déshonneur.

Le valet réapparaît très vite, l’air surpris.

— Monsieur n’est pas dans sa chambre, dit-il.

— Il n’est pas rentré ?

— Il n’était pas sorti.

— Lorsque vous avez cessé votre service, où était-il ?

— Ma femme (qui est femme de chambre) et moi sommes allés au cinéma : c’était notre jour.

— Lorsque vous êtes partis au cinéma, votre maître se trouvait où ?

— Dans son bureau.

— Et quand vous êtes revenus ?

— Tout était éteint, je l’ai cru couché…

— Il est peut-être sorti ?

— Le gardien nous l’aurait dit.

— Il s’est peut-être endormi dans son bureau ?

L’argument paraît valable à mon vis-à-vis. Il esquisse néanmoins une moue dubitative avant de se diriger vers une porte à double battant située au fond du hall.

Il frappe discrètement, ouvre, donne la lumière. Son immobilité et son mutisme me renseignent.

— Mort ? je demande en m’approchant.

Olivieri est couché sur le tapis. Il se tient sur le flanc, un bras recroquevillé sous lui, un autre allongé à l’équerre. Il y a un pistolet à crosse de nacre dans sa main droite. Je m’approche et, délicatement, je prends le revolver avec mon mouchoir. Je le sens : il n’a pas tiré depuis très longtemps. Je fais basculer le magasin et je constate que celui-ci est garni de pralines, prêt à offrir, quoi !

Je dépose l’arme sur le tapis et je me penche sur le cadavre. M. Olivieri est canné depuis au moins trois plombes et il est froid comme un Corneski. Il a une tache bleuâtre à la tempe et des marques de strangulation très nettes au cou. À priori, moi je vois le crime de la façon suivante : deux types sont venus discuter avec lui dans la soirée. Ils se sont faits menaçants et Olivieri leur a ordonné de déguerpir en les menaçant de son pétard. L’un des types avait une matraque et l’a estourbi de côté. L’autre alors a serré le goulot de l’industriel.

Albert, le larbin, commence à reprendre ses esprits.

— Ça alors, bavoche-t-il.

— C’est son revolver, n’est-ce pas ? je questionne en désignant la seringue élégante à crosse de nacre.

Du joujou de salon. Ça fait joli comme presse-papier mais quand on veut perforer la peau de ses contemporains, on a intérêt à prendre un vilebrequin.

— Oui, c’est son revolver. Il se trouvait dans le tiroir du bas de son bureau.

Je contemple le mort. C’était un solide quinquagénaire aux tempes grises. Il porte une veste d’intérieur en satin rouge à revers noirs, ça fait un brin dompteur, mais c’est joli cependant,

— M. Olivieri était marié ?

— Non, divorcé depuis dix ans.

— Il vivait seul ?

— Sa fille vient passer huit jours de temps en temps à la maison.

— Des maîtresses ?

— Je pense, mais pas ici.

— Allez chercher le gardien et sa femme.

Albert s’empresse. Pendant que Je me trouve seul, je procède à des investigations classiques. Je m’y livre sans espoir. Quelque chose me dit que je ne trouverai rien. On sent illico que ce bureau est anonyme, beau et froid. Le sous-main est vierge de tout papier. Dans les tiroirs, il n’y a que des objets impersonnels. Olivieri a sûrement ses bureaux ailleurs et celui-ci ne lui servait qu’à vérifier le livre de compte de ses domestiques ou à lire les cours de la bourse.