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— C’est encore un rébus ?

— Non, Quillet, cette fois c’est une accusation.

— Vous m’accusez, moi ?

— Vous !

— Insensé !

— De votre part, oui. Vous avez commis une erreur qui va vous coûter plus cher qu’aux gens nourrissant un préjugé vis-à-vis d’Astra. Tout à l’heure vous m’avez dit que sur les photos le jardin était cultivé, vous avez même précisé qu’il y avait des choux ou des poireaux !

— J’ai pu me tromper.

— Vous vous êtes trompé, en effet !

Je jette la photo sur la table.

— Dont acte !

— Et après ?

— C’est « et avant » qu’il faut dire. Vous m’avez affirmé l’autre jour que vous n’étiez jamais allé à la maison de Magny.

— Je le réaffirme.

— Alors, comment savez-vous qu’il pousse des poireaux dans le jardin ! Car, en effet, il en pousse !!!

Il a une réaction inattendue. Il éclate de rire.

— Oh ! m… ! Quel idiot j’ai été !

— Pas idiot, étourdi… Et du même coup, vous remplacez mon embarras d’enquêteur par un embarras d’homme.

— Que voulez-vous dire ?

— Que le scandale est inévitable pour votre journal. Notez que la gueule de Simon Persavéça, lorsque je vais lui faire mon petit rapport, vaudra le dérangement de France-Actualité.

— Ce sera quoi, votre rapport ?

— Ceci : « Monsieur le directeur, l’affaire est éclaircie. Voici comment les faits se sont déroulés. Votre collaborateur, l’estimable Quillet, organisateur de votre concours, avait des ennuis matrimoniaux. Sa femme faisait des fugues fréquentes. Un jour, dans des circonstances qu’il nous fera peut-être la grâce de préciser, il en a eu marre et l’a tuée. Son crime accompli, il a eu les jetons. Sa carrière était finie, sa vie brisée… À moins qu’il ne fasse disparaître le corps. Alors, comme c’est un petit mec porté sur la matière grise, il lui est venu une idée. Aller enterrer le cadavre dans cette propriété de Magny qu’il savait vide provisoirement et isolée.

« Il avait des sacs de chaux plein son appartement neuf. Il a embarqué la morte et une bonne quantité de chaux dans sa voiture par une nuit sans lune… »

Je m’interromps.

— Là, je poétise, fais-je.

— J’avais remarqué, dit Quillet.

Et le gars San-Antonio de poursuivre :

— « … par une nuit sans lune, monsieur le directeur, il est allé l’enterrer dans le jardinet de la maison constituant le gros lot. Il pensait que pendant la durée du concours (un mois, je crois m’en souvenir) la chaux vive détruirait en grande partie le cadavre, en tout cas le rendrait méconnaissable. Quand on le découvrirait, on ne pourrait l’identifier et en tout cas on ne suspecterait jamais l’humble Quillet. De plus, ce brave garçon songeait que le journal ferait l’impossible pour étouffer l’affaire…

« Et puis les choses se sont compliquées. Non seulement on a trouvé les restes de Mme Quillet, mais de plus ceux d’un trafiquant. Car c’est là l’ironie du sort : il y avait déjà un cadavre dans la propriété !

« Informé le premier de cette double découverte, Quillet a compris qu’il devait faire endosser les deux meurtres par l’auteur du premier. Il a enquêté, a appris que la maison avait eu pour locataire un truand. C’était signé. Il a téléphoné un soir au sieur Ange Ravioli en lui disant qu’il était un ami de Magny. Ça voulait en dire long pour le malfrat que je venais à l’instant d’alerter. Pour faire croire à un règlement de comptes entre gens du mitan et, peut-être aussi — qui sait ? — pour en tirer profit, Quillet a ordonné à Ravioli de se munir de fric… Rendez-vous a été pris. Fatal pour le patron du Raminagrobis. Une olive dans le chignon ! Bim ! Et l’affaire est classée. Quillet sait que le brillant commissaire San-Antonio, ici présent, parviendra à établir la culpabilité de Ravioli concernant le meurtre d’un des personnages trouvés à Magny. Ravioli étant canné, on le créditera également de l’autre, car on ne prête qu’aux riches. »

Quillet allume une cigarette.

— Pour quelle raison Ravioli a-t-il liquidé l’autre ?

— Trafic d’or. Il a voulu tout garder pour lui, je pense. Il avait une tripotée de tuiles à carmer pour sa boîte de nuit.

Long silence. Nous nous regardons calmement.

— Qu’est-ce qu’on peut faire ? demande-t-il enfin.

Je secoue ma tête bourdonnante.

— Rien, Quillet. Je suis un flic. On me renverra peut-être dans mes foyers, mais pour moi la vérité avant tout, c’est mon côté vieille France. Je me fous de votre patron, de votre journal et de…

— Attendez, je vois un moyen, dit-il.

— Je savais que vous seriez de bon conseil.

— On fait moitié-moitié.

— C’est-à-dire ?

— Je reconnais le meurtre de Ravioli. J’inventerai un prétexte : chantage par exemple. J’ai perdu la tête. L’assassinat d’un truand, je m’en tirerai avec dix piges ! Et on oublie la mort de ma femme ?

— Impossible, j’ai une mémoire d’éléphant.

Il soupire, écrase sa cigarette dans une assiette sale.

— Je vois une deuxième solution.

— Bravo. Laquelle ?

Il recule jusqu’à la fenêtre ouverte, monte sur la barre d’appui avant que j’aie eu le temps de faire un geste.

— Comme ça, ça irait, commissaire ?

Je passe dix des secondes les plus terribles de ma vie. En un éclair j’envisage la suite. Tout rentre dans l’ordre. Quillet assassin de Ravioli, lequel avait tué sa femme et un ex-associé.

— Ça irait, dis-je d’une voix blanche.

— Merci.

Et il n’est plus là. J’appuie très fort mes mains sur mes oreilles. Pourtant, je perçois (ou je devine) ce bruit sourd, hideux, terrible, que fait le corps en éclatant sur les pavés de Neuilly.

CONCLUSION

J’ai eu tort de traiter mon angine par le mépris. Pour se venger, elle me fait tartir quatre jours pleins avec des fièvres vertigineuses ; des cauchemars à grand spectacle et tout le bigntz ! Le matin du quatrième jour, coup de tube. M’man revient, troublée.

— Antoine, dit-elle, ce sont Mmes Pinaud et Bérurier qui téléphonent. Depuis quatre jours elles sont sans nouvelles de leurs maris et elles demandent…

Ma rate fait explosion. Ah ! les deux navets ! Tout à mon enquête et à ma maladie, je les avais oubliés. Ils doivent commencer de moisir dans la carrée où ils se tiennent aux aguets.

— Pourquoi ris-tu, Antoine ?

— Je t’expliquerai. Va dire à ces deux truffes qu’elles ne se réjouissent pas trop tôt. Ce n’est pas encore cette fois-ci qu’elles palperont leur pension de veuves de flics !

FIN