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L’idée du vieux chnoque affligé d’un tel ornement est si plaisante qu’il est le premier à en rire…

Sur ce, apparition des dames.

— Nous allons faire une petite promenade digestive ! informe Mme Pinaud…

La baleine n’a pas tellement l’air enthousiasmée, mais Félicie, qui lui donne le bras, l’entraîne à petits pas dans le chemin bordé de merles.

Pinaud regarde la maison.

— Va falloir lui trouver un nom, dit-il. T’as pas une idée, San-A., toi qui écris des livres ?

— À ta place, j’appellerais ça « Au Repos éternel ».

Il soupire.

— On ne peut pas causer sérieusement avec toi. J’avais pensé à « Sam’ Suffit », c’est drôle, non ?

— Trop original, tranche Béru. Je préférerais « Beau Séjour ».

— C’est joli, mais ça fait hôtel !

Le Gros s’arrête de piocher.

— Pourquoi ça ne ferait pas hôtel, dit-il, c’est pas les pensionnaires qui te manquent !

Et de désigner une main qui émerge du nouveau trou.

CHAPITRE IV

Dans lequel je fais du transport en commun

Il y a une minute de silence, à peine troublée par le pépiement des petits oiseaux. Eux, ils ont l’immensité du ciel pour s’ébattre et du moment que les chevaux de la région ne sont pas constipés, ils se foutent des macchabées de Pinaud comme de leur premier duvet.

Nos six yeux (attendez que je refasse le compte… oui, c’est ça) nos six yeux sont rivés sur cette main squelettique qui jaillit de terre comme pour faire le pied de nez à M. Le Corbusier.

En fait de spectacle, c’est assez extraordinaire. Le plus curieux encore, c’est cet anneau d’or qui brille à l’un des doigts.

— C’est une main gauche, murmuré-je.

Mes collègues me regardent lourdement. Pinaud a des larmes plein ses yeux bigleux. Sa pauvre bicoque ! Vous parlez d’un mausolée !

— Je boirais bien quelque chose de fort, dit Béru. Sans quoi je crois que j’aurai des ennuis avec la blanquette.

Je file un coup de périscope en direction du chemin emprunté par les femmes. Le trio s’éloigne entre les buissons.

Les braves dames ne se doutent guère de nos trouvailles. Elles mènent leurs petites parlotes, peinardement. Tricot, exposition de blanc, sauce madère, asthme chronique, leur répertoire est si vaste !

— Qu’est-ce qu’on branle ? demande Pinaud, effondré comme un château de sable après le passage d’une horde d’éléphants.

— Bérurier a raison : tu vas aller chercher du Fly-Tox-à-chagrin, pendant ce temps on va finir de déballer ce monsieur.

— Comment que tu peux savoir que c’est un monsieur ? demande Béru.

— À la dimension de son alliance, gars. T’as déjà vu une bergère avec un rond de serviette à l’annulaire, tézigue ?

Pinaud se manie pour aller récupérer la boutanche de Negrita. Ces émotions-là se soignent au jus de canne à sucre (réserve Deibler and Family). Le Gros, pris d’une fureur subite, active le rendement. On dirait qu’il est aux pièces et qu’il a besoin de se faire un peu de fraîche pour loquer la femme de sa vie.

En moins de temps qu’il n’en faut à un type affligé de la danse de Saint-Guy pour éplucher un œuf dur, il a mis au jour les restes de l’honorable personnage que Pinaud a l’honneur d’héberger involontairement. Ce sont ceux d’un homme de grande taille. Des lambeaux d’étoffe, vestiges d’un costar qui fut peut-être très fashionable, entourent les baguettes du monsieur.

Pinaud qui radine avec sa boutanche de sirop pour guillotiné continue de larmoyer avec ses yeux de plâtre.

— C’est la fin de mon bonheur, pleurniche-t-il… Quand ma femme va savoir…

— Écoute, pépère, le sermonné-je, y a pas de raison qu’elle le susse ! On va camoufler ce pèlerin comme on a camouflé sa voisine d’à côté et vous allez rentrer à Paname avec nous, on se serrera. Dis que tu ne te sens pas bien… Moi je me charge de tout !

— Tu crois qu’il y en a d’autres ? balbutie le vioque.

— Pourquoi pas ?

— Mais qu’est-ce que ça signifie, tous ces gens clamsés ?

Bérurier, que le rhum rend joyce, plaisante :

— Y a p’t’être eu une épidémie d’oreillons dans le secteur…

Comme les silhouettes des trois dames se profilent au sommet du coteau, on se manie l’oigne pour dissimuler la dépouille du « nouveau ». Je vais chercher une bâche dans le coffre de ma Brabant et je l’étale sur le fagot d’os. Ensuite on recouvre la bâche de terre pour la dissimuler aux regards investigateurs de Mme Pinuche.

— Et le sapin ? demande le Gros, mortifié dans sa Ford intérieure.

Pinaud n’y tient plus. Il explose comme un pétard au 14 Juillet.

— Ta merderie de sapin, tu peux en faire des cercueils pour ce beau monde. Si tu m’avais amené un pot d’hortensias comme tout le monde, jamais on n’aurait découvert ces ossements et je serais resté peinard !

Béru pâlit, ce qui est, vous le pensez bien, une image, car la seule manière de le faire pâlir c’est de lui plonger la frite dans un sac de farine.

— Puisque c’est ainsi, dit-il, je le remporte !

— C’est ça, clame Pinaud, tu pourras le mettre sur le rebord de ta fenêtre !

— J’en ferai cadeau à des gens plus compréhensifs !

La voix de l’oraison se manifeste par ma bouche sensuelle :

— Finissez de vous incendier, les gars… On va laisser l’arbre de côté avec les racines dans le sol et, par la suite, Pinuche pourra se le planter si ça lui botte.

Les dames radinent. Pinaud, soucieux d’évacuer sa bergère en vitesse, chique au gnace malade. Il se plaint de douleurs intercostales et propose son pouls à tout le monde afin de montrer qu’il a une fièvre de bourrin. La mère Pinuche rouscaille que « ça ne se fait pas quand on a du monde ». Félicie, à qui je décoche mon œillade 38 ter de la catégorie A, dit qu’on ne choisit pas ; que c’est un refroidissement et que ceci et cela. J’interviens :

— Nous allons tous rentrer, madame Pinaud. Si votre bonhomme doit être malade, vaut mieux qu’il le soit à Paris, car ici les toubibs doivent êtres rares !

— Et ma vaisselle ! qu’elle proteste, la tarderie.

Félicie est là pour un coup.

— Je vais vous aider, nous en aurons pour un quart d’heure.

La Vache-qui-rit du Gros ne propose pas ses services. Cette trotte au grand air l’a vannée. Elle souffle comme toute une verrerie de Murano. Elle se laisse tomber sur un pliant. Ce pauvre siège qui n’était pas conçu pour supporter des tonnages pareils laisse péter sa sangle de retenue et voilà ma Berthe Béru qui se répand, les jambons en l’air, les dessous remontés jusqu’au menton.

Comme il a toujours été dit que « l’union fait la force », nous nous y mettons tous et parvenons à la relever. Elle glapit qu’elle va avoir des bleus plein le rez-de-chaussée et qu’elle ne sera plus présentable. Félicie lui dit qu’en mettant de l’huile d’olive sur les meurtrissures il n’y paraîtra plus.