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Pas le bol, quoi ! Ray, cette fois, est déchaîné. M’est avis que ce type a dû jouer inter droit au Racing. Il continue de botter à tout va. Au tour de Riri ! Le pauvre chéri a le nose qui explose, l’arcade gauche qui se disloque et les dernières ratiches qui s’effeuillent.

Pour lui aussi on joue « Bonsoir m’sieurs-dames ». Toujours sur sa lancée, Ray (avec lui c’est pas du Sugar) vient me tirer un penalty en pleine poire. J’ai l’impression de manger mes ratiches sans sel (et sans étrier). Je lâche la fille car tout se brouille une fois de plus. Mon pauvre crâne ! En a-t-il déjà encaissé des gnons !

Pourtant je ne perds pas entièrement conscience. À travers une brume incertaine, je vois s’affairer nos hôtes.

La môme Éva se remet de ses émotions. Quincy également. Ces braves gens discutent à l’écart, mais je n’arrive pas à entendre ce qu’ils disent. À la fin, ils se radinent avec un seau d’eau qu’on me flanque en pleine bouille. J’ai l’impression d’embrasser une lame de fond. Je suffoque.

— Êtes-vous en état de m’écouter ? demande Quincy.

— Oui, mon chéri, je lui gazouille. Mais j’ai l’impression que vous venez de détruire ma permanente.

— Vous ne voulez toujours pas nous dire où est Lormont ?

— Comme je me proposais de vous poser la même question, il est évident que je ne puis y répondre. Vous pouvez nous déguiser en hamburger steak, ce serait du kif. À moins que vous vouliez que j’invente. Question imagination je suis imbattable. Tenez : Lormont, en ce moment, s’est déguisé en punaise de sacristie et il a installé ses pénates à l’église de la Trinité. Ou bien non, il a gagné la Suisse et il travaille comme trou dans une usine de gruyère… Vous en voulez encore ?

Quincy rit torve (tiens, ça pourrait être un nom de patelin) et murmure :

— Vous parlerez, je vous le jure bien !

Il fait signe à Ray (pugnant) qui sort et revient peu après, porteur de plusieurs toiles de bâche usagées. Le trio se livre alors à une délicate opération qui consiste à nous rouler dans ces toiles et à nous y ficeler. J’essaie de leur opposer un brin de résistance — simple baroud d’honneur — mais une nouvelle infusion de semelles me fait tenir coi.

Un moment après, je sens qu’on me coltine, sans ménagement. On me jette sur une surface dure, située à une certaine hauteur. Deux autres chocs suivent : sans doute sont-ce les amis Béru et Riri qui viennent me rejoindre. Et puis la surface dure dont au sujet de laquelle je vous ai causé trépide et je pige que nous sommes sur le plateau d’une camionnette.

La balade dure un certain temps. Ficelé de la sorte dans mon suaire imperméabilisé (un suaire C.C.C.) je perds la notion du temps et celle des distances. Non loin de moi, le Gros, qui certainement suffoque, fait des « gnouff gnouff » avec son groin.

La balade continue. Elle me fait penser à ces mecs qu’on emmène au petit jour dans un fort pour les flinguer.

Nous devons rouler deux bonnes plombes au moins. L’allure est rapide, ce qui m’indique que nous avons quitté Paris.

Enfin le véhicule ralentit et décrit un large virage. Puis il stoppe. On nous descend du camion sans ménagement, c’est-à-dire en nous tirant par les pinceaux et en nous laissant choir sur le sol. Heureusement pour nos dossards, les épaisseurs de toile amortissent le heurt (pour ce qui et de vous donner l’heurt, ces gars-là pulvérisent Lip). On nous déballe et je mate alentour avec curiosité, anxiété, acuité et précipitation. Je constate simultanément plusieurs choses : il fait nuit, nous sommes sur une pelouse et le silence entier de la nature éteinte est si total que nous devons nous trouver à des lieues et des lieues des villes et des nationales qui les relient. (Il y a des moments où sans le faire exprès je m’exprime drôlement bien, non ? Un citron ne s’exprimerait pas mieux, même s’il avait ses deux bacs.)

Nous avons toujours droit au sinistre trio. Quincy se penche sur nous.

— Un peu de patience, mes amis, ça va suivre. Excusez le temps mort, mais au préalable un petit travail est nécessaire.

Et il nous plante icigo. C’est miss Éva qui nous garde, un revolver gros comme ça dans ses jolies mains plutôt faites pour triturer des objets moins contondants. Elle ne dit rien mais nous regarde d’un drôle d’air. Je vous parie n’importe quoi contre un scoubidou à ailettes qu’elle doit être névrosée sur les bords, cette dadame. Elle a le flotteur survolté ; nos ennuis l’excitent.

Je perçois, troublant le silence nocturne, des coups sourds. On dirait des coups de marteau sur un ciseau à froid. Ça dure un certain bout de moment, et puis ça cesse et les deux hommes reviennent, les mains blanches de ciment.

— Vous faites de la sculpture, mon bon Quincy ? je questionne.

Il se marre comme une baleine en train de lire un San-Antonio !

— Non. La besogne était moins artistique. Nous venons de desceller la pierre d’un caveau.

Belloise murmure, effondré :

— Qu’est-ce qu’ils ont encore inventé ?

— Une chose très simple, fait Quincy. Nous sommes ici dans une vaste propriété appartenant à un vieux maniaque défunté depuis pas mal d’années et qui a voulu se faire inhumer dans ses terres. Nous sommes très loin de tout. Personne n’entre jamais dans le domaine. Vous jugez ?

— Et alors ? interrogé-je.

— Alors nous allons donner de la compagnie à son cadavre. Vous allez être descendus tous les trois dans la tombe.

— Chouettes vacances ! Ensuite ?

— Ensuite vous réfléchirez.

— J’adore. Et, lorsque nous aurons bien réfléchi ?

— Vous nous direz où se trouve Lormont et alors nous adresserons le lendemain un message à la police pour signaler à vos collègues où vous êtes et ils viendront vous tirer de là tandis que nous, nous serons à l’étranger ! Bien à l’abri de toutes poursuites.

— Et si nous ne parlons pas ?

— Mon Dieu, vous mourrez d’inanition et vous serez enterrés.

Un silence plus pesant que la plaisanterie d’un gendarme s’abat sur notre groupe.

— Peut-être voudriez-vous parler tout de suite ! fait Ray (aumur Sébastopol). Il fait frais dans ces caveaux et une pneumonie est vite contractée !

La voix de Béru, sa chère voix de lion enrhumé, s’élève alors :

— Mais oui, San-A. Dis-y tout de suite où qu’est le Lorgnon !

Je pige l’intention du Mastar. Gagner du temps en donnant aux gars une adresse bidon. Comme ils voudront la vérifier avant de nous mettre à mort, nous bénéficierons de plusieurs heures.

— Soit, fais-je, Lormont a été conduit dans un chalet de Morion, au-dessous de Courchevel. Il s’y planque sous la surveillance d’un homme à nous.

Quincy se tourne vers Ray (barbatif). Ils échangent un regard de triomphe.

— Le nom du chalet, je vous prie ?

— La Fleur des Alpes. C’est près d’un remonte-pente !

De la sorte, le temps qu’ils aillent vérifier, ça nous fera un bout de moment de répit.

— Eh bien ! nous allons voir ! tranche Quincy. En attendant vous allez descendre au sépulcre, mes chers amis ! Si vous avez dit vrai nous tiendrons parole ! Si vous avez menti… (il rit) nous tiendrons parole également !

Sur ce, les deux bonshommes nous halent sur l’herbe mouillée par la rosée.

Ils commencent par charrier Belloise. Mon pauvre Riri essaie de se démener, mais Ray (calcitrant) lui tire son shoot favori dans les côtelettes et, le souffle coupé, le malfrat se tait. Pendant qu’ils s’éloignent, Béru se met à mugir « au secours » de sa voix conçue pour vendre du poisson à la criée. Miss Éva s’approche de lui et lui cloque un coup de crosse de son outil sur le front. Silence du Gros. Ce qu’il peut enregistrer comme fêlures, le B.B. ! Sa boîte crânienne doit ressembler à une faïence ancienne. Je l’imagine toute craquelée, pas présentable du tout. Si un jour son squelette finit sa carrière dans une Faculté, les étudiants devront le rafistoler au scotch (d’autant plus que le scotch, ça le connaît, Béru !).