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Comme je me marre, il s’inquiète :

— Quoi t’est-ce qu’il y a, m’sieur le commissaire ?

— Tu ressembles à Néron enfant, lui dis-je. T’aurais une plume dans le prose, la ressemblance serait hallucinante !

Il ronge son frein en gardant les bas morceaux pour plus tard.

— Vous vouliez me causer ?

— Oui, mon lapin. J’ai pris mes dispositions concernant l’attentat.

— Alors ?

— T’as le feu vert.

— Comment ça, le feu vert ? bée Belloise.

— Tu peux trucider Lormont tout est O.K.

On lui mettrait des fourmis rouges dans son calbard qu’il ne serait pas plus surexcité.

— Vous vous foutez de moi, commissaire ?

— Pas du tout !

— C’est complètement insensé !

— Justement : j’adore les histoires de dingue.

Mais exciter trop longtemps la curiosité d’un type comme Riri n’a rien de plaisant. Son cervelet n’a pas le format Magnum, ce serait plutôt la bouteille échantillon. Je me décide à l’affranchir :

— Demain matin, Lormont viendra ici. Il sera fringué d’une manière un peu tapageuse, tu me suis ?

Avec peine. C’est un cul-de-jatte de la matière grise. Avec cécoinces, il faut adopter la vitesse croisière et ne pas oublier de mettre ses clignotants dans les carrefours.

— Oui, mais…

— Une fois dans ma carrée il se dépoilera. Pas parce que j’ai des mœurs contre nature, mais parce qu’il refilera ses fringues à un homme à moi. Lorsque mon gars aura mis les vêtements de Lormont il ira faire un peu de ski et tu le suivras, tu me files toujours le train, baby ?

— Oui, mais…

— Lorsque vous serez un peu à l’écart, lui et toi, tu le flingueras comme un lapin. C’est pas plus dif, Riri.

— Pourquoi t’est-ce que je buterais un de vos archers, m’sieur le commissaire ?

Si je le laisse se poser des problèmes, il va chauffer et péter un joint de culasse, mon Belloise. Déjà que ses culbuteurs font un drôle de bruit !

Je ne sais pas si c’est un effet d’optique, mais de la fumée commence à lui sortir des orifices.

— Tu tireras mon collègue avec le joujou que voici.

Et je sors de ma valoche un pétard qui stopperait le hoquet d’un pic pneumatique.

— Chouette mécanique, apprécie Riri.

— C’est un Beretta, l’arme de l’homme sportif. Deux dragées de ce machin-là dans la poitrine et te voilà plein de courants d’air !

— Enfin, quoi, bon Dieu, vous ne voulez pas que je mette en l’air un poulet pour sauver les os de Lormont ! C’est pas que je soye communisse, m’sieur le commissaire, mais je trouve que c’est pas normal.

— Il est chargé à blanc, gros malin !

Le visage de Belloise devient radieux comme un coucher de soleil sur la Méditerranée.

— Compris ! affirme-t-il avec une grande sobriété d’expression.

— Bravo. Je savais que tu étais un garçon extrêmement intelligent.

Je lui remets le Beretta.

— Voilà l’objet, Riri. Mets-le au frais en attendant demain.

Dans l’après-midi, je réceptionne l’envoyé du Vioque. C’est en le défrimant que je mesure la sagacité du Tondu. Il a l’american’s eye, le Dabe. Laurent, son messager, a exactement la silhouette de Lormont. Même corpulence, même calvitie, même forme de visage. On pourrait croire que les deux hommes sont du même maire, mais pas de la même paire !

J’affranchis Laurent sur le pourquoi du comment du chose et il se gondole comme un Vénitien. Je l’emmène sur la piste blanche où il s’avère excellent dégringoleur. Bref, il est pile l’homme qu’il me fallait. On passe un après-midi ultra-sportif et une nuit épique dans différents établissements tous plus sélects les uns que les autres. Whiskies à gogo !

Laurent est ravi par ce turbin en forme de vacances. Lorsque nous regagnons le Sapin Bleu, à une heure très avancée pour son âge, il me gazouille dans les manches à air que c’est un job idéal que le nôtre, vu qu’il vous permet de vivre des instants de qualité aux frais de la mère Marianne.

Le lendemain, d’assez bonne heure, la jeune vierge de la réception m’annonce qu’un monsieur me demande. C’est Lormont qui me rend ma politesse. Il radine, loqué d’une manière plutôt marrante. Il porte un fendard presque blanc, coupé d’une bande noire verticale. Il a un anorak agrémenté d’un aigle dans le dos. Il a sur la tronche une toque d’astrakan (Béru appelle ça de l’estragon) et ses lunettes sont en virgule.

Sarcastique, il virevolte dans la pièce.

— Ça vous va comme ça, San-Antonio ?

— C’est inespéré, monsieur Lormont, j’espère que vous me donnerez une photo en souvenir.

— Et maintenant que dois-je faire ?

— Vous dévêtir ! Je vous ai préparé une robe de chambre, des pantoufles et de quoi lire. De plus, vous pourrez demander ce que vous voudrez à la réception, la police française sera heureuse de vous offrir les boissons de votre choix !

Il ouvre de grands châsses.

— Expliquez-vous !

Je tambourine contre la cloison et Laurent fait une entrée rapide.

— Voici l’inspecteur Laurent qui va enfiler vos effets et prendre votre place !

— Et alors ?

— Il partira faire du ski. Le tueur à gages le suivra et l’abattra de plusieurs balles dans le dos !

Je lui vaporise mon clin d’yeux numéro 68 ter celui qui a fait perdre la tête à une rosière et ses boutons de jarretelles à la sœur aînée de ladite rosière.

— Balles à blanc, dans la neige, c’est de circonstance. Mon homme culbutera et fera le mort.

— Mais où voulez-vous en venir ?

— À ceci : pendant plusieurs heures vous serez officiellement mort !

Lormont blêmit, rougit, jaunit, verdit, violit, marronnit (comme Saint-Laurent du), orangit, arc-en-ciélit, puis reprend tant bien que mal sa couleur initiale.

— Pensez-vous un instant, mon bon ami, aux conséquences qu’aurait une telle nouvelle ? Le remue-ménage qu’en toute modestie elle causerait dans l’industrie ! L’effervescence qui régnerait dans mes usines ! L’affolement de ma famille ! Le…

Je le stoppe d’un geste péremptoire.

— Attendez : la nouvelle ne dépassera pas Courchevel.

— Mais la presse est représentée ici !

— Il se trouve que je suis un ami de Jean Laurent-Lefébure, le Lazareff de Courchevel ! Si je lui dis d’écraser, il écrasera, c’est un gentleman.

— Et ça vous donnera quoi, que la population de Courchevel me croie mort ?

— La possibilité de démasquer ceux qui en veulent à vos jours, monsieur Lormont !

— Comprends pas !

— Ils sont là, dans l’ombre, qui surveillent les agissements de leur tueur. Sitôt son forfait accompli, ils se manifesteront. C’est à ce moment-là que j’aurai ma chance de leur mettre la main au collet !

Il réfléchit.

— Je vois, mais supposons que la nouvelle transpire tout de même. Supposons que quelqu’un d’ici téléphone à un ami de Paris et que la nouvelle gagne la capitale, malgré toutes vos précautions ?

— En ce cas je ferais démentir immédiatement. Nous dirions que l’homme abattu était un voleur à la tire qui vous avait dérobé votre portefeuille avant de se faire descendre.

— Je n’aime pas beaucoup ce genre de publicité.