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Le petit San-A. chéri de ces dadames en mène de moins en moins large et bientôt il pourra se blottir entre les éléments d’un radiateur de chauffage central. Je regarde d’un œil nostalgique la formidable chaîne de montagnes qui se dresse devant moi, barrière inexpugnable ! François Lormont se trouve-t-il encore au cœur des Alpes, ou bien l’a-t-on emmené vers des régions inconnues par un moyen plus inconnu encore ?

En tout cas, je ne vais pas me mettre à arpenter les routes et les sentiers alpestres. En deux temps et trois mouvements de cerveau ma décision est prise. Les choses ont pris une tournure trop grave pour que je continue d’assumer l’enquête au gré de ma fantaisie. Faut que j’en réfère en haut lieu ! J’aimerais mieux me rendre aux lieux d’aisance, croyez-moi. Je suis dans une situation à côté de laquelle une cuvette de gogue occupe une position privilégiée dans l’échelle des valeurs.

Je donne l’ordre aux gendarmes d’explorer la région et d’opérer des descentes discrètes dans les hôtels afin de retrouver la môme Lydia et, éventuellement, François Lormont. Ensuite de quoi je prends la route de Chambéry, qui se trouve être également celle de Paris.

Je vous prie, non pas d’agréer l’expression de mes sentiments particuliers, mais de croire que je dépoussière le cadran de mon compteur sur toute sa surface ! Le verglas, je m’en tamponne les pneumatiques. Pas besoin de chaînes. Du reste, on vous l’a souventes fois répété : où il y a de la chaîne, y a pas de plaisir !

Les ceuss qui me voient débouler se demandent si je suis un Martien en retard ou si on est mercredi ! En pas une plombe, je déboule dans la banlieue de Chambéry. Et c’est là que la malchance continue de m’accabler. Comme je dépasse le panneau m’annonçant que je me trouve dans la capitale des anciens Ducs of Savoie, il se produit un bruit idiot sous le capot de ma guindé et celle-ci se met à battre la breloque. En jurant comme un congrès de charretiers, je vais regarder. Pas d’histoire, mes lapins : j’ai bel et bien coulé une bielle ! Me voilà beau ? Comme quoi, quand c’est pas votre jour, vous feriez mieux d’aller au dodo non pas avec une sœur (vous la rateriez) mais avec un somnifère.

Comme il y a un garage à vingt-cinq centimètres de là, j’y laisse ma brouette en recommandant au tôlier de faire le nécessaire. Puis je m’offre un taxi-auto qui pousse l’amabilité jusqu’à me conduire à la gare. Un employé m’annonce que le train for Paris va entrer en gare dans douze secondes. C’est une petite consolation.

Effectivement, le teuf-teuf s’annonce en ferraillant. Je me vote un compartiment de first classe avec une vue sur la mer et je m’abats sur une banquette moelleuse, brisé par cette fatigue particulière que provoquent les fortes émotions.

Nous ne sommes que deux dans mon compartiment : un vieux curé habillé en ecclésiastique et moi, fringué en skieur ! M’est avis que je vais avoir bonne mine en déhottant à Pantruche. Tant que je me cantonnerai aux abords de la gare de Lyon, ça ira encore, mais c’est after ! Avec mes bottes et mon anorak, je vais solliciter l’attention des passants.

Le train démarre. Le curé ligote son bréviaire et je me mets à roupiller, ce qui est un passe-temps valable en l’occurrence.

Je rêve illico que je suis sur mes skis. Je dévale à toute pompe une côte raide comme la paroi d’une pissotière et je vais franchir une voie ferrée à l’instant précis où un train radine. Pas moyen d’éviter ça. Je tente désespérément de m’arrêter, mais à la suite de je ne sais quel sortilège, je ne sais plus le faire. Je pousse un cri.

— Amen ! fait le curé en refermant son livre.

Je le regarde, effaré. À ce moment-là, un loufiat de chez Cook arpente le couloir en agitant sa sonnette. Le curé se signe distraitement. C’est un réflexe conditionné : il s’est cru à la messe au moment de l’élévation. Votre gars San-A. pense que l’homme d’aujourd’hui doit, pour être en mesure d’affronter la vie tumultueuse, se sustenter un chouïa et il se lève pour gagner le wagon-restau. Me voilà qui remonte le couloir en brimbalant. Je suis meurtri au plus profond de mon être, pas par les coups de hanche que je donne aux parois du train, mais par la mort de ce pauvre Laurent ! Il était bath, mon plan d’action ! À cause de moi, un jeune gars plein de vie et d’avenir est maintenant allongé, tout raide sur une civière. J’en chialerais…

Je continue de remonter le train de mon allure de somnambule lorsqu’en passant devant un compartiment, j’ai le fouinoussard à breloques virulentes courbes qui saute dans mon éprouvette perfide, mes amis. Figurez-vous, ou ne vous figurez pas, j’en ai rigoureusement rien à branler, que, toute seulabre dans son compartiment, il y a la môme Lydia soi-même. Elle a posé ses souliers et allongé ses jambes sur la banquette d’en face. Elle lit Elle. Je n’en crois pas ma rétine.

Je tire la porte à glissière et j’entre. Elle lève un œil distrait, qui se dédistrait en un instant.

— Je ne vous dérange pas ? susurré-je de ma voix de velours cauteleuse dont il me reste encore un coupon.

Elle referme son journal et le dépose à ses côtés sur la banquette. San-Antonio, lui, procède alors à une petite opération délicate : il abaisse les rideaux masquant les trois vitres donnant sur le couloir. Nous voici en petit comité, elle, moi et Elle.

— Alors, ma choute, je dis en m’asseyant en face d’elle, on en a eu marre de Courchevel tout à coup ?

Elle hausse les épaules. Miss Barrons-nous a déjà récupéré.

— Ça n’est pas de Courchevel que j’ai eu marre, mais de Riri Belloise, me déclare-t-elle. Les brutes c’est gentil un moment, mais on s’en lasse vite !

— D’accord, mais ça n’est pas gentil de larguer son homme au moment précis où il a des ennuis gros comme le mont Blanc.

— Des ennuis, fait-elle, quels ennuis ?

Ce talent de comédienne, ma douleur !

Je ne saurais pas qu’elle sait, je croirais qu’elle ne sait pas !

— Il a brûlé un feu rouge avec une lampe à souder !

— Parlez clairement, je vous prie !

Ma parole, si je la laisse gambader, dans trente secondes elle va me faire le pied de nez !

— Ignoreriez-vous la raison de son séjour à Courchevel, ma belle enfant ?

Elle ne sourcille pas, la petite peste.

— Nous sommes venus faire du ski.

— C’est tout ?

— Ça me paraît être une raison suffisante, non ?

Je ne la laisse pas se pavaner. C’est plus fort que moi. Elle écope d’une mandale qui ferait éternuer ses défenses à un éléphant. Des larmes brouillent sa vue.

— Espèce de saligaud de flic ! gronde-t-elle en se levant.

Une seconde mornifle plus impressionnante que la première se pose sur son frais minois, avec le train d’atterrissage rentré.

— Qui vous a permis ? bredouille Lydia.

— Quelqu’un de bien : moi ! J’aime autant te prévenir loyalement, ma gosse, que je suis décidé à t’administrer d’autres beignes pour me faire la main, et même à te flanquer une fessée pour me faire la rétine.

— Sale brute !

Elle étend le bras et décroche l’un des stores. Le panneau de toile s’enroule d’une seule détente. Je l’abaisse de nouveau et d’une troisième morniflette je couche ma môme sur la banquette.

Elle se met à hurler à pleine voix. Je lui fourre d’un geste prompt mon mouchoir dans le bec.

— Tu me le rendras quand tu seras calmée, lui dis-je, car il est brodé à mes initiales !