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Le lundi, le type est revenu avec un autre. Eh bien, vous me croirez si vous voulez, depuis ce jour-là, je ne lui ai plus jamais parlé !

— Comment ça ? Mais vous l’avez vu quand même, non ?

— Oui. Mais il était jamais seul. Toujours avec un ou deux types. Il venait au bureau avec eux, le matin. Ils restaient là une ou deux heures à donner des coups de téléphone, puis ils partaient dans une voiture noire.

— Quel type de voiture ?

— Je ne sais pas. Une voiture noire. Une grosse. Moi, je comprenais plus rien. Chaque fois que je demandais à Belgrat : « Mais nom de Dieu, qu’est-ce que tu fous ? » il me disait : « Je te dirai plus tard. » Une fois même, le type qui était avec lui m’a regardé comme s’il voulait me couper la gorge. Alors, j’ai eu les jetons. »

Kür passa une main sale sur sa gorge. Il avait l’air mal à l’aise. La brochette était presque complètement calcinée et dégageait une fumée noirâtre. La vue du billet le rassura. Il repartit :

— Moi, je savais même pas de quoi il s’agissait. Un jour où j’étais seul, j’ai reçu un coup de téléphone. On me demandait combien de temps l’entreprise Belgrat allait garder la drague qu’on avait louée.

— Quelle drague ? j’ai dit. L’autre type était vachement surpris. Il m’a dit :

— Ben, la drague que vous avez louée pour renflouer le pétrolier. Dans le Bosphore. Ça va faire deux mois et on va en avoir besoin. Alors, dites à votre patron de nous appeler.

— Le soir, quand M. Belgrat est rentré, je lui ai dit. Il m’a cligné de l’œil en disant :

— C’est pour l’affaire que je traite en ce moment. On renfloue un bateau. Et moi, je suis le conseiller technique de Monsieur.

— Alors, là, je me suis marré ! Belgrat, conseiller technique ! Il savait tout juste écrire, et, en bateaux, j’y connaissais plus que lui. Mais j’ai rien dit parce que, quand y m’a vu rire, Belgrat a eu l’air vachement malheureux. Alors, je me suis étouffé.

— D’autant plus qu’il y allait pour ainsi dire jamais, à ce bateau. Il passait des journées entières à traîner ici, toujours avec son type. Ou alors il était chez lui, toujours avec le gars. Moi, je pensais que c’était une drôle de vie. Pourtant, il avait pas l’air malheureux. Un jour, même, il m’a dit :

— Dans deux ou trois mois, on va s’acheter un entrepôt et deux camions et on pourra aller jusqu’à Ankara chercher des vieilles bagnoles. »

— Seulement, on n’a jamais acheté de camion, parce que Belgrat, lui, il s’en est payé un, de camion. Mais pas comme il voulait…

— C’était quand, l’accident ?

— Oh, il y a un moment. Justement quand tout était fini avec les autres. Il paraît qu’on n’avait pas pu renflouer le bateau, et qu’ils abandonnaient. Ça n’avait pas l’air de les ennuyer, d’ailleurs. Un soir, Belgrat est revenu au chantier, tout seul.

— Kür, il m’a dit, voilà 2.500 livres, comme je t’ai promis. Lundi, tu vas rengager quatre ou cinq types, et on va se remettre à travailler. Et dès que je vais en trouver un, on va acheter un bateau à casser. »

Kür s’arrêta. Il tenta vainement de faire perler une larme dans ses petits yeux plissés.

— Et le lendemain, il était mort.

— Vous saviez où il allait ce soir-là ?

— Non.

— Il avait l’habitude de sortir le soir ?

— Jamais. Il se couchait toujours tôt.

Il y eut un petit moment de silence. Malko réfléchissait. Il en savait assez. Pas la peine de perdre du temps. Il s’éclaircit la gorge et dit :

— Je suis bien content de vous avoir vu. Voilà les 500 livres que je devais à M. Belgrat.

Kür prit les billets et les posa sur la table, à côté de la brochette. Il regardait Malko, méfiant.

— C’est curieux que Belgrat il ne m’ait jamais parlé de vous. Et puis, pourquoi vous m’avez posé toutes ces questions ? Vous êtes de la police ?

Malko secoua la tête.

— Non. Et, au fond, je ne vous ai pas posé tellement de questions. C’est vous qui avez beaucoup parlé…

Et, profitant de la surprise du Turc, Malko tourna les talons, et sortit. L’autre le héla. Il fit le sourd et repassa la petite porte de bois.

La rue était déserte.

Il dut marcher près de cinq cents mètres avant de trouver un taxi. Rentré au Hilton, il alla à sa chambre et commanda une bouteille de vodka et du Tonic. Il y avait trois messages de Leila. Il l’appela. L’appareil faillit lui sauter des mains.

— Qu’est-ce qui t’a pris de mettre deux hommes dans ma chambre ? hurlait la danseuse. Il y en a un dans mon lit et l’autre dans la salle de bains !

Il y eut un bruit de lutte, et la voix de Jones annonça :

— Tout va bien, patron. Mais vous savez ce qu’elle fait, cette garce ?

— Elle a fait la danse du ventre pendant une heure… Alors, si elle continue, moi, je ne réponds plus de rien…

— Voyou, monstre ! hurla Leila.

Malko raccrocha. Au moins, elle était bien gardée. Il se mit à siroter sa vodka en rêvant à ce mystérieux pétrolier qu’on s’était donné tant de mal à ne pas renflouer.

Chapitre XIII

Le consul jouait avec un crayon et paraissait prodigieusement ennuyé. Visiblement, la situation le dépassait.

— J’ai demandé aux Turcs pour Belgrat, dit-il à Malko. Il a bien été écrasé. Un accident, paraît-il. Il n’y a pas eu pratiquement d’enquête. A part ça, rien sur le bonhomme.

— Et l’Arkhangelsk ?

— Rien non plus. Les Russes ont demandé aux Turcs l’autorisation de le renflouer, autorisation qui a été accordée aussitôt. Au bout de trois mois, ils ont annoncé que l’opération était impossible et qu’ils vendraient le pétrolier à la casse. Depuis, rien n’a bougé.

— Mais l’Arkhangelsk a été vendu, oui ou non ?

— Il semble que non. Mais personne ne paraît s’en soucier. Là où il est, il ne gêne personne. Un beau jour un responsable quelconque prendra une initiative et l’affaire se réglera en huit jours.

— Est-ce que les services de renseignements turcs ou les nôtres se sont occupés de l’Arkhangelsk ?

Le consul leva les bras au ciel.

— Pourquoi, mon Dieu ? Il n’y a aucun mystère. Cela arrive tous les jours qu’un pétrolier ait un accident. Tout s’est passé au grand jour, devant cinq cents témoins.

Malko sourit un peu sarcastiquement.

— Et vous trouvez normal aussi que les Russes, qui sont d’habitude des gens sérieux se soient justement adressés à une espèce de chiffonnier en gros qui n’a comme expérience de la marine que celle des bars à matelots ?

Malko continua impitoyablement :

— Vous trouvez également normal que les Russes qui sont près de leurs sous se soient acharnés à renflouer un pétrolier qu’on arriverait à peine à faire vendre au poids à la ferraille ? Et, qu’enfin, l’homme chargé du renflouement, se fasse écraser par un camion, la nuit, sans témoins ?

— Coïncidences…

— Ça en fait beaucoup.

— Mais enfin, quel lien y a-t-il entre la disparition du Memphis et ce foutu pétrolier ?

— C’est justement ce que j’aimerais savoir. Mais je suis sûr qu’il y en a un. Depuis avant-hier, exactement.

— Pourquoi depuis avant-hier ?

— Parce qu’on a essayé de me tuer. C’est donc que je suis sur la bonne piste. Il faut que vous m’aidiez.

— Mon Dieu ! fit le diplomate. Malko eut un geste apaisant.

— Non. Non, ce n’est pas pour assassiner quelqu’un. Cela, je m’en charge moi-même, ajouta-t-il, pince-sans-rire.