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— Vous devriez tenter encore votre chance, dit-il, en écrivant directement au ministère soviétique à Moscou. L’homme qui vous a répondu n’est peut-être qu’un petit fonctionnaire sans autorité qui a voulu faire du zèle.

Le Turc sauta sur l’occasion et assura que cette lettre partirait le jour même. Une chance inespérée de sauver les 2.000 dollars.

Un peu déçu, Malko prit congé. C’aurait été trop beau. Toutes les possibilités se réduisaient a une seule : visiter ce fichu pétrolier sans valeur auquel tout le monde s’intéressait tant. En sortant de l’ascenseur, il aperçut dans le hall de l’immeuble un visage qui lui dit quelque chose. Une belle tête noble d’ailleurs. L’homme attendait le second ascenseur, une serviette à la main.

Malko chassa la tête de son esprit. Il avait d’autres chats à fouetter. D’abord organiser l’expédition sur l’Arkhangelsk. Il reprit un taxi jusqu’au Hilton. Krisantem, toujours affairé à polir la Buick, lui jeta un regard noir, lui reprochant et son manque de confiance et le manque à gagner.

Les deux gorilles jouaient aux cartes dans la chambre voisine de Leila, en bras de chemise et holster. Un Colt 45 était démonté sur le lit. Malko s’assit à côté.

— Messieurs, j’ai besoin de vous.

Jones et Brabeck se redressèrent, consciencieux comme le glaive de la justice.

— Nous allons explorer l’Arkhangelsk demain soir. Je veux en avoir le cœur net. Il me faut un bateau, une échelle de corde, un grappin avec une longue corde, et des lampes électriques, plus, bien entendu, votre aide. Je ne veux pas alerter les Turcs. D’ailleurs, pour le bateau, je vais m’en charger. Occupez-vous du reste.

Malko alla ensuite chez Leila. Elle était encore couchée. Il lui expliqua ce qu’il voulait. Elle le regarda, intriguée.

— Tu fais vraiment de drôles de choses, mon chéri. L’Autrichien mit un doigt sur ses lèvres en souriant.

— Moins tu en sauras, mieux ça vaudra, pour toi.

— Bon, tu auras ton bateau et trois hommes demain. Ce sont des types bien, des pilleurs professionnels. Ils écument tous les bateaux à l’ancre dans le Bosphore. Mais tu peux avoir confiance en eux.

— Sûr ?

— Sûr. L’un d’eux est mon cousin. Il ferait n’importe quoi pour moi.

— Ah bon. Tu…

— Non. Mais il voudrait bien et espère toujours.

Il la quitta sur un chaste baiser et retourna dans sa chambre pour rédiger un long télégramme pour Washington, expliquant où il en était. Après, il s’étendit sur son lit et s’endormit.

La sonnerie du téléphone le réveilla. C’était Ann. Elle s’ennuyait.

— Vous ne m’appelez pas, minauda-t-elle. Qu’est-ce qu’il se passe ? Est-ce que cette… créature est toujours avec vous ?

Malko lui assura que la créature se portait bien et commença à marivauder, pour la plus grande joie du mannequin.

— Et si j’allais vous rejoindre ? hasarda-t-il, très gamin.

— Oh, Malko, soupira Ann. Je ne suis même pas habillée. J’ai juste une combinaison et mes bas. Je me préparais à me coucher.

— Eh bien, justement…

Ann roucoulait et Malko plissait ses yeux d’or de contentement en pensant aux longues jambes de la jeune fille. Et, tout à coup, une idée vint le frapper comme un coup de poing. Le type de l’ascenseur ! C’était le pope qui avait couvert la fuite de l’assassin d’Omar.

— Nom de Dieu, le curé ! rugit-il.

— Quoi ? fît Ann.

— Excusez-moi, je vous rappellerai, bredouilla-t-il.

Il raccrocha et composa aussitôt le numéro du bureau de Goulendran. Pas de réponse.

Malko se rua sur un annuaire. Il était déjà peut-être trop tard. Par chance, Goulendran était dans l’annuaire. Et il n’y en avait qu’un. Malko prit note mentalement de l’adresse et appela la chambre des gorilles. Pas de réponse.

Il les trouva à la cafétéria, arrosant leur hamburger de poudre bactéricide.

— On y va, dit Malko. Et vite.

Ils ne demandèrent pas où. Pivotant d’un seul geste sur leurs tabourets, ils emboîtèrent le pas à Malko.

Krisantem était là. Malko lui donna l’adresse et ils prirent place dans la voiture.

— Vite, fit Malko.

Ce n’était pas très loin. Dans le haut d’Istanbul, une petite villa dans une grande avenue déserte et sombre qui rejoignait la route d’Ankara. Sans la lampe de Jones, ils auraient mis trois heures à trouver le numéro.

La maison était plongée dans l’obscurité. Malko ignorait si Goulendran était marié ou non. Il n’avait pas vu d’alliance à son doigt, mais ça ne voulait rien dire. Dix heures cinq.

— J’y vais seul, dit-il. Vous deux, restez dans le jardin. Si quelqu’un essaie de filer, visez les jambes. D’ailleurs, il n’y a peut-être rien du tout.

Il poussa la barrière de bois qui s’ouvrit facilement. Le gravier de l’allée crissa sous ses semelles. Il ne voyait déjà plus Brabeck et Jones qui étaient sortis de la voiture sur ses talons, avec un regard menaçant pour Krisantem.

La sonnette ne marchait pas. Il n’entendit aucun bruit provenant de l’intérieur. Il frappa. Rien. Il frappa de nouveau. Toujours rien. Il essaya le bouton de la porte qui tourna en grinçant un peu. Une odeur de moisi un peu aigre lui sauta au visage. Goulendran devait être célibataire.

— Monsieur Goulendran ?

Sa voix n’éveilla aucun écho. À tâtons, il trouva un bouton électrique et le tourna. L’entrée s’éclaira. Il n’y avait qu’un portemanteau.

Trois portes donnaient sur l’entrée. L’une était entrouverte. Malko la poussa et entra dans une pièce obscure. Tout de suite, une odeur le prit à la gorge, une odeur qu’il connaissait bien, à la fois fade et écœurante.

Il alluma. Le bouton était près de la porte. C’était un bureau. Au fond de la pièce, à la suite d’un grand tapis oriental, se trouvait un grand bureau en marqueterie, encombré de papiers.

M. Goulendran était assis dans un fauteuil au très haut dossier, la tête affalée sur le bureau, comme endormi. Mais il était torse nu et une grosse tache brune s’étalait autour de sa tête. Il était aussi mort qu’on peut l’être.

Malko retourna à l’entrée et siffla doucement. Jones sortit de l’obscurité, le colt à la main. Malko lui fit signe de le suivre.

Les deux hommes contournèrent le bureau. Malko posa le dos de sa main sur l’épaule de Goulendran. Il n’était pas mort depuis plus d’une heure.

Il était ligoté dans son fauteuil comme sur une chaise électrique, les deux pieds attachés à ceux du fauteuil avec du câble électrique, la taille ficelée par le même moyen. Un bras était encore attaché au fauteuil, l’autre était posé sur le bureau.

Jones essaya de soulever la tête par les cheveux. Elle résista puis vint lentement en arrière : elle était littéralement collée au bureau par le sang. Une énorme coupure la séparait presque du tronc. Le Turc avait été égorgé comme un porc. Le sang avait coulé et imprégné le tapis. Mais, avant de mourir, Goulendran ne s’était pas amusé.

— Regardez, fit Malko, la voix blanche.

Sur le dessus des mains, sur les épaules, la poitrine, il y avait partout des petites taches rondes et noirâtres. Et, dans un cendrier, trois mégots de cigares avaient été écrasés.

— On a voulu lui faire avouer quelque chose, soupira Jones. Pauvre type !

Il ferma les yeux du Turc.

— Allons-y, fit Malko sombrement. Ses yeux d’or n’étaient plus que deux traits. Lui, savait pourquoi on avait torturé Goulendran. Parce qu’il avait mis les pieds sur l’Arkhangelsk. Le bateau qu’ils allaient visiter le lendemain.

Tout cela devait être bien important, leurs adversaires n’hésitant pas à éliminer tous ceux qui touchaient à ce maudit bateau.