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— Mais c’est le hasard qui nous a fait découvrir le principal. Un de nos hommes a été pris d’un malaise. Il s’est immobilisé au fond et est resté coincé dans une anfractuosité. En le dégageant, nous avons trouvé le départ d’un câble en acier ancré dans le rocher, à une dizaine de mètres du sas de l’Arkhangelsk. Il n’y a plus eu qu’à le suivre. Il nous a menés droit au tunnel, côté turc. Je suppose que les Russes ont ancré cette main-courante pour faciliter la tâche des hommes-grenouilles, les eaux du Bosphore sont souvent sales et ils devaient en plus opérer le nuit. »

— Mais pourquoi ces hommes-grenouilles ?

— Même pour un sous-marin de poche, le tunnel est plutôt étroit. La moindre fausse manœuvre et il s’échoue. Alors, les sous-marins qui passent le tunnel doivent être guidés par un ou plusieurs hommes-grenouilles qui leur montrent la route, probablement à l’aide de signaux sonores frappés sur la coque.

Malko se versa un verre de whisky. Tout ça était fantastique. D’innombrables questions lui brûlaient les lèvres.

— Mais ce tunnel, comment l’ont-ils creusé ?

— Probablement avec des foreuses-suceuses, identiques à celles que nous utilisons pour creuser la banquise. La terre et les débris sont évacués par des conduits en toile souple et aspirés par une drague. Avec ça, ils pouvaient facilement creuser cinq ou six mètres par jour. Il n’y a pas de barrière rocheuse à cet endroit…

Les deux gorilles, complètement réveillés, écoutaient de toutes leurs oreilles. Leurs gros pistolets leur semblaient bien futiles dans une histoire pareille.

Le téléphone sonna. Malko décrocha puis passa l’appareil à l’amiral.

— C’est pour vous, Amiral.

La communication ne dura pas longtemps. Cooper écouta deux minutes, fit « quand ? » et raccrocha, le visage soucieux.

— Ça commence. L’Arkhangelsk vient de sauter. Une violente explosion sans incendie, il y a un quart d’heure.

Le navire s’est enfoncé de près de trois mètres. Les officiels turcs sont sur place mais les Russes étaient là les premiers. L’attaché naval soviétique est monté sur l’épave de l’Arkhangelsk et y a collé un pavillon soviétique. Il a fait un foin du diable en clamant qu’on a saboté le pétrolier…

— Saboté !… Ils ont fait vite. Il ne doit plus rien rester de l’équipement un peu spécial de l’Arkhangelsk. Ceux qui nous ont ratés sont revenus pour nettoyer la place.

— Toujours est-il que cela va faire du bruit, l’histoire du tunnel. Dommage qu’on ne puisse pas le faire visiter aux touristes comme les Russes avaient fait avec notre tunnel d’écoute à Berlin, en 1961. Je vais avertir les autorités turques afin que nous puissions officiellement faire sauter ce damné tunnel le plus tôt possible. Il faudrait tenir une conférence de presse…

Cooper avait déjà la main sur le bouton de la porte quand Malko le rappela.

— Amiral, vous oubliez quelque chose d’important… L’officier se retourna d’un bloc, impatient de partir.

— Quoi ?

Malko se frottait doucement la joue gauche avec la paume de la main. Ses yeux dorés étaient presque fermés. Il parla presque à voix basse.

— Le tunnel c’est très bien de l’avoir découvert. Mais il fallait autre chose aux Russes pour passer leurs sous-marins.

— Autre chose ?

— Il y a un poste de contrôle turc permanent à l’entrée du Bosphore. Même dans son tunnel, votre sous-marin fait du bruit. Il a bien fallu que quelqu’un ferme les yeux ou plutôt les oreilles, chaque fois qu’il en passait un.

Cooper était pétrifié.

— Vous voulez dire que parmi les officiers et le personnel triés sur le volet du poste de surveillance il y a un agent russe ?

— Un ou plusieurs. Et ce ne serait pas la première fois. On en a bien découvert à l’OTAN. C’est pour cela que nous avons intérêt à ne pas nous précipiter. Le tunnel ne se sauvera pas. Et on peut le détruire quand on veut. Par contre c’est dangereux de laisser derrière nous un espion bien placé.

Cooper était indécis.

— Il y a bien une cinquantaine de Turcs à passer au microscope, fit-il. Ça va prendre des semaines si on imagine que les services de Sécurité turcs y ont pensé avant nous. Notre homme est certainement bien camouflé… Dans quoi voulez-vous m’embarquer ?

Il y eut un lourd silence. Dans leur coin les deux gorilles supputaient l’ampleur de la tâche. Si on les avait laissés faire, eux, ils l’auraient trouvée, la brebis galeuse, et même quelques-unes en plus, pour le poids.

Malko rompit le silence.

— J’ai une idée qui pourrait nous faire gagner beaucoup de temps. Mais il faudrait que vous m’écoutiez et que vous laissiez les Turcs en dehors du coup.

— Qu’est-ce qu’il faut faire ? demanda Cooper, méfiant.

— Allez voir le colonel de la Sécurité turque. Extorquez-lui la liste complète des personnes possédant à un moment donné la liste d’écoute ainsi que les horaires de présence. Et surtout la liste des absences pour permission, ou autre raison, depuis un mois.

Cooper sursauta :

— Vous me faites faire un fichu travail. Je ne suis pas un espion moi. Allez-y vous-même.

— Je donnerais l’éveil. Pas vous…

— Bon, admit Cooper à regret. Je vais envoyer un de mes aides de camp. Je vous téléphonerai.

À peine la porte avait-elle claqué derrière Cooper que Malko se laissait aller en arrière sur son lit.

— Allez dormir, fit-il aux gorilles. J’ai l’impression qu’on va avoir du travail dans la journée. Que l’un de vous reste dans les parages du cher Krisantem, pour lui éviter les mauvaises tentations.

Ils partirent en traînant les pieds. Malko prit son téléphone et appela la chambre de Leila.

— Tu devrais descendre participer à mon repos, murmura l’Autrichien. J’ai mal partout, il faudrait qu’on me masse.

— Je viens, mais ce n’est pas pour te masser, répliqua du tac au tac Leila. Et si tu es trop fatigué je remonterai.

Et elle raccrocha. Malko fila à la salle de bains, se lava les dents et s’arrosa d’eau de Cologne.

Le dernier coup de cinq heures sonnait lorsqu’on frappa à la porte de Malko.

Méfiant, il cria de son lit :

— Qu’est-ce que c’est ?

— L’amiral Cooper, fit la voix bougonne de Cooper. Heureusement, Leila avait regagné sa chambre. Cooper entra et jeta un porte-documents sur le lit.

— Voilà tout ce que vous m’avez demandé. A vous de jouer, maintenant, monsieur le Sorcier.

— Merci, Amiral.

Malko sourit, attrapa la serviette et commença à lire plusieurs listes tapées à la machine.

— Ça, c’est la liste des gens qui ont la charge du système de surveillance. Uniquement des officiers. Ils se relaient toutes les six heures, nuit et jour. Avec les remplaçants, cela en fait près de 150 ! J’espère que vous avez une bonne idée, autrement nous en avons jusqu’au jugement dernier.

Cooper s’assit dans un fauteuil et alluma un cigare. Malko s’approcha de la fenêtre et regarda un gros cargo noir glisser sur le Bosphore. Puis ses yeux retombèrent sur la feuille qu’il tenait à la main. Sur celle-là, il n’y avait qu’une douzaine de noms, avec une annotation en face de chacun d’eux : la liste des absences depuis un mois. Malko la lut avec attention. Chacun des noms était maintenant ancré dans sa mémoire. Il reposa la feuille et vint s’asseoir en face de Cooper.