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— Voyons, à quelle date a disparu le Memphis ?

— Le 24 juillet à 3 heures de l’après-midi, répondit sans hésiter l’amiral.

— Bien. Mais à ce jour il n’y a aucune absence au poste de surveillance, un remplacement seulement. Par contre, le 23 juillet le lieutenant Beyazit qui aurait dû prendre son service de minuit à six heures du matin, s’est fait remplacer au dernier moment. Sa mère ayant eu une attaque cardiaque dans la soirée, il a passé la nuit à son chevet.

Cooper ouvrit des yeux ronds.

— Et alors ?

— Suivez-moi bien, Amiral, fit Malko. Le Memphis a été attaqué par un sous-marin inconnu, présumé soviétique, qui se trouvait immobilisé au fond de la mer de Marmara. Maintenant nous savons comment il était arrivé là. Mais il y a une chose bizarre : les bâtiments qui empruntaient le tunnel ne devaient pas s’éterniser dans le Bosphore ou dans la mer de Marmara, qui n’est qu’une flaque d’eau, dans laquelle ils peuvent être repérés par n’importe quelle unité de la marine turque.

— Celui-là a pu avoir une avarie, coupa Cooper.

— Peu probable. Souvenez-vous qu’après avoir torpillé le Memphis, l’autre sous-marin a filé comme une flèche.

Si vous voulez bien, abandonnons pour le moment l’hypothèse de l’avarie. Et imaginez que notre sous-marin ne venait pas du tunnel, mais y allait.

— Pourquoi ?

— Pour rentrer chez lui, parbleu, après un petit tour en Méditerranée. Mais imaginez qu’au moment de rentrer on lui ait intimé l’ordre d’attendre, parce qu’au dernier moment sa sécurité n’était plus assurée.

— Tout ça n’est qu’une hypothèse, pour l’instant.

— Oui, mais, écoutez : le 25 juillet de 6 heures à minuit, le lieutenant Beyazit a remplacé un de ses camarades, le lieutenant Ismet qui avait pris sa place durant la nuit où il veillait sa mère malade. Donc, il était normal – si mon hypothèse est exacte – que le sous-marin attende vingt-quatre heures au fond de la mer de Marmara, puisqu’il était certain de pouvoir passer à coup sûr. Et rappelez-vous : quand il a été découvert il a mis le cap sur le Bosphore, ce qui a stupéfié tout le monde puisque, en principe, c’était un cul-de-sac.

Cooper secoua la tête, découragé.

— En admettant que vous ayez raison, il ne reste plus qu’à aller demander poliment au lieutenant Beyazit : Êtes-vous un espion russe ? Nous n’avons pas le plus petit commencement de preuve contre lui. Et toutes vos hypothèses ne tiendront pas s’il est sûr de lui. Sans compter les ennuis que nous aurons avec les Turcs. Il paraît que la Sécurité d’Ankara a examiné le passé de tous les officiers qui travaillent à la station d’écoute au super microscope. C’est comme si vous me disiez que le Président des USA possède une carte de membre du Parti communiste.

— Pourtant, on n’a pas le choix. J’ai une idée qui peut nous aider. Si ça ne marche pas nous n’aurons rien perdu.

Sceptique, l’amiral haussa les épaules.

— Au point où nous en sommes… Allez-y. Malko décrocha le téléphone et demanda : « M. Jones, s’il vous plaît. »

Le gorille répondit immédiatement.

— Allez me chercher Krisantem et amenez-le-moi, ordonna l’Autrichien.

Trois minutes plus tard, Krisantem était là, encadré des deux gorilles. Il n’en menait pas large.

— Je vais voir si j’ai eu raison de ne pas écouter mes amis. Vous savez le nom de celui qui vous emploie.

— Oui. M. Doneshka.

— Bien. Vous allez trouver un certain Beyazit – on vous donnera son adresse – et vous allez lui dire que Doneshka lui demande de lui apporter la liste de ses prochains tours de garde. S’il pose des questions, dites-lui que vous ne savez rien d’autre que le lieu du rendez-vous : place de la Corne-d’Or, à la terrasse du café qui s’y trouve. Ah, dites-lui de ne pas se mettre en uniforme.

Krisantem le regardait, un peu étonné.

— C’est tout ?

— Pour le moment. Et ne faites pas d’imprudences. MM. Jones et Brabeck ne seront jamais loin de vous. O.K. ? Milton, emmenez-le maintenant.

Quand le Turc fut sorti, Malko dit à Jones :

— Lorsque Beyazit sortira de chez lui, suivez-le pour que je puisse l’identifier au rendez-vous. Vous prendrez une table près de la mienne.

Cooper écoutait tout sans mot dire. Quand il fut seul avec Malko, il demanda :

— Qui est ce Doneshka ?

— À ma connaissance c’est le patron du réseau russe à Istanbul. Logiquement il devrait faire la liaison entre Beyazit et le sous-marin. Il y a une chance que Beyazit – si c’est lui – tombe dans le piège. Ce n’est probablement pas un espion professionnel, il doit agir par idéal ou par vengeance.

— Et s’il ne vient pas au rendez-vous ?

— Il est innocent… ou méfiant. De toute façon, on ne peut pas grand-chose. Le mieux est que vous veniez et suiviez l’opération de loin.

Le trottoir devant Malko grouillait de monde. Il avait choisi une table à l’intérieur, près de la place. Ainsi, il surveillait toute la terrasse et la rue. Cooper, sur la place, flânait entre les étalages du marché.

Un quart d’heure s’était déjà écoulé. Malko calcula que Beyazit aurait dû être là depuis dix bonnes minutes. À moins qu’il n’ait pas été chez lui ou que…

La haute silhouette de Brabeck s’encadra derrière la vitre, face à Malko. Comme un touriste épuisé par la chaleur, il se laissa tomber sur sa chaise et s’éventa avec son chapeau. Quelques secondes plus tard un homme aux cheveux bruns coupés très courts, à la silhouette trapue, vêtu d’un complet sombre, s’asseyait à une table voisine de celle de Brabeck.

Malko fut tout de suite persuadé que c’était Beyazit. Il n’eut pas longtemps à attendre pour en être sûr. Laissant son chapeau à côté de son orangeade, Brabeck entra dans le café et se dirigea vers le fond. Malko le suivit et les deux hommes se retrouvèrent dans une toilette crasseuse et nauséabonde.

— C’est l’homme brun, à votre gauche ? demanda Malko.

— Oui.

— Bien, revenez à votre table, dans deux ou trois minutes.

Malko sortit le premier et alla droit à la table de l’officier turc. Celui-ci sursauta lorsque Malko s’assit à côté de lui. Mais l’Autrichien ne lui laissa pas le temps de s’étonner.

— Je viens de la part de Doneshka. Il a été retenu. Vous avez la liste ?

Beyazit le regarda avec méfiance.

— Qui êtes-vous ?

— Ça ne vous regarde pas. La voix de Malko était sévère, autoritaire, il parlait turc avec un léger accent, volontairement, il continua :

— Vous avez la liste oui ou non ? Nous allons avoir besoin de vous dans les jours prochains.

Mais l’autre était encore perplexe.

— Pourquoi Doneshka n’est-il pas venu ?

— Question sécurité. Il faut qu’on vous voie le moins possible ensemble. Alors, vous avez les renseignements ?

Beyazit hésita une seconde puis dit :

— Oui.

— Bien. C’est imprudent de me la donner ici. Suivez-moi jusqu’à ma voiture.

Il se leva. Il avait repéré la Buick de Krisantem. Le Turc était debout à côté « bavardant » avec Jones. Il alla jusqu’à la voiture et s’assit à l’arrière, faisant signe à Jones de ne pas bouger.

Beyazit le rejoignit immédiatement. A peine assis, il tira de sa poche une feuille pliée. Malko la déplia et vit l’horaire complet du Turc pour les quinze jours à venir. Son cœur se réchauffa. Et il décida de frapper un grand coup.

— J’espère que votre mère ne sera pas malade, cette fois, dit-il sévèrement.