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La belle gonzesse qui s’en est aperçu pique une crise de nerfs. Béru suit le fil jusqu’au garage afin de le débrancher. Seulement, il est trop tard, les trois baigneurs sont tellement morts qu’il n’y aurait que dans un épisode de Fantômas qu’ils pourraient ressusciter. Or, moi, c’est du San-Antonio que je produis et je suis une maison sérieuse.

— Franz ! gémit la fille en tendant des bras de femme de terre-neuvas-péri-en-mer, vers le large où son jules ne se contracte déjà plus.

Je la saisis par le bras.

— Dites-moi où est le garçon sinon je vous plonge dans la piscine !

Car elle ne peut se rendre compte que maintenant le courant ne passe pas.

Elle hurle, en se tordant les bras :

— Foutez-moi la paix avec votre garçon ! On ne le connaît pas ! On ignore de qui il s’agit !

Cette fois, j’accuse le coup. Fin psychologue comme je me pique d’être, je réalise qu’elle dit probablement vrai.

Je l’entraîne vers une contrée hospitalière afin de converser plus calmement.

* * *

Un petit salon-fumoir agréable, tendu de rouge défilé, avec des sièges recouverts bleu soldat. J’ai décroché un imper d’une patère austère, dans le hall, et l’en ai enveloppée. La voici en chien de flingue dans un fauteuil. Je lui verse un grand verre de Drambuie, puisé à une grosse boutanche de ce nectar.

Elle avale ça comme une giclée de foutre.

— Nous devons parler, fais-je. Vous êtes bien d’accord ?

Miss opine.

Je la questionne, elle répond.

Je te résume, pas t’emmerder avec une série de questions-réponses qui devient vite fastidieuse.

Elle est la sœur de Bergovici. Son mari, l’un des électrocutés, s’occupait d’un trafic de drogue important avec son beauf. Ils allaient chercher des chargements de came dans un petit port, entre Thonon et Evian, avec le Riva, sous couvert de faire du ski nautique, et les ramenaient à Corsier où la drogue était par la suite repartie chez les principaux revendeurs agissant dans la Confédération. Opérations juteuses pour les deux ménages.

Jusque-là, tout va bien, elle s’affale sans regimber. Mais quand j’amène sur le tapis vert de la discussion, l’assassinat de Marmelard par Denis Fauboursin, le chantage à la photo compromettante dont il était victime, l’enquête de Toinet à Genève et son rapt en pleine communication téléphonique, elle dénègue. Non, non, pas de problèmes avec Paris, elle jure ne rien connaître de l’assassinat fomenté par une dame en blanc roulant dans une Audi bleue. Aucun signe de Toinet.

— Mais bon Dieu ! m’écrié-je, il a rendu visite à la galerie de la Grand-rue. La fille slave qui la gère m’en a parlé sans même que je lui pose la question.

— Je ne vous dis pas le contraire, fait la « rescapée », en tout cas il n’est jamais venu ici !

— Et la femme de la galerie ne vous a pas alertés après la visite du jeunot ?

— Elle n’avait aucune raison de le faire car elle ignore tout du trafic. De plus, mon frère et sa femme sont en voyage au Maroc.

Trois morts et pas de Toinet ! pensé-je amèrement.

Dis, ça ne ressemblerait pas à un cuisant échec, tout ça ? Réponds-moi franchement, je suis un grand, je peux tout entendre.

Surgissage de Béru, en bras de chemise, la bouche pleine. Il demande à la veuve :

— V’z’auriez-t-il une poivrerière à gros grains, dans c’t’ crèche ? J’sus z’en train d’faire finir un restant d’canard à l’orange au p’tit et y n’l’trouve pas assez épicé.

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Après le canard à l’orange, les Bérurier ont consommé une terrine de pâté de campagne, puis ils se sont confectionné une omelette de douze œufs avant de tordre le cou au plateau de fromages et d’achever une moitié de tarte aux pommes. Le père a bu trois bouteilles de côte-du-rhône et le fils une demie de porto native de l’an de grâce 1958, boisson que lui a permis son dabe parce qu’elle est sucrée, donc inoffensive et propre à l’enfance, selon Béru.

Quand ils ont eu achevé leur festin, moi j’avais achevé la mise en scène que je venais d’ourdir avec l’agrément de la frangine à Bergovici. D’un commun accord, nous étions convenus d’un pacte de non-agression. On camouflait la tragédie en accident (pour assurer ma tranquillité) et moi j’oubliais les sept machines à laver bidons remplies de « blanche ».

J’opéra (comique) de la manière suivante. Du temps qu’elle se trouvait en maillot, la veuve repêcha le revolver que la grosse gorgone avait entraîné dans son valdingue. Ensuite, après étude du tableau électrique, je fis disjoncter les hublots lumineux de la piscine. Après quoi je dénicha une lampe dite « baladeuse » que je raccordis au fil meurtrier.

Version officielle : les trois occupants du chalet se baignaient lorsqu’à la suite d’un court-jus quelconque, la lumière s’éteignit. La femme quitta la piscine pour aller appeler la femme de charge et lui réclamer de la lumière (comme le fit ce pauvre Goethe en mourant). La grosse radina avec la baladeuse. Mais elle s’approcha par trop de l’eau, glissa sur la pierre mouillée et tomba dans la piscaille, électrocutant ceux qui s’y trouvaient ainsi qu’elle-même. Du cousu main. Qui prouve amplement qu’un bon policier pourrait devenir un bon criminel.

Je ramasse mes goinfres et m’esbigne pendant que la naïade alerte les autorités.

Pour un coup fourré, c’est un coup de maître ! Trois personnes zinguées ! Par ma faute, en somme, si tu récapites. D’accord, moi je n’aurais jamais plongé le fil dans l’eau et, seul, un fâcheux hasard… Mais quand même, c’est bibi qui a eu l’idée de ce procédé d’intimidation ! Et tout cela sans avoir pu récupérer mon petit Toinet !

Tandis que je reviens sur la ville, j’ai droit naturellement à un concerto gazeux du tandem béruréen, avec accompagnement d’odeurs légères, semblables à celles qui émanent d’une tannerie.

Je trouve un hôtel possédant deux chambres libres dans le quartier de la gare, un peu cosmopolite pour la sage Genève.

En tombant du sommeil de l’injuste, j’entends le fils Bérurier harceler son dabe :

— Dis, p’pa : demain, tu m’l’achèt’ras ma choucroute ?

Une volonté de fer dans un trou du cul de velours, tel est Apollon-Jules.

Dormant faisant, je subis un rêve que je ne te raconterai pas car il m’échappe, mais qui m’a fait bander durement. De ce genre de bandaison qui fait mal et qui dure, et que tu regrettes de ne pouvoir utiliser pour l’agrément d’une dame. Le vrai gourdin de l’époque où l’homme vivait dans des cavernes non climatisées.

Me passer Popaul sous le robinet d’eau froide ? Ce serait de l’automutilation ! Pourtant, avec une rapière de ce calibre, je ne vais pas pouvoir me rendormir.

Je mate l’heure : trois plombes !

Exceptées deux ou trois boîtes de nuit (et encore !) tout est fermaga dans la chaste ville de Calvin. Je ne vais tout de même pas aller draguer dans la rue de Berne voisine pour me faire éponger par une radeuse de nuit !

Je prends le parti de passer cette scabreuse affaire en revue. Comme les pensées horizontales sont les moins enrichissantes, je reste assis dans mon plumzing, adossé à deux oreillers. Une araignée du soir, chargée d’espoir, passe à vingt centimètres de moi sans me saluer. Elle court se payer une toile, la pauvrette.