Au fond, une minuscule construction préfabe, achetée « Au Bon Génie » de Genève (rayon jardinage). Mon last espoir. Vite déçu. Une brouette, une tondeuse, quelques outils aratoires. Des oignons de tulipes mis à sécher. Reconnais loyalement une chose, mon gentil Sana : tu l’as dans le prose, profondément et sans vaseline !
Le cœur comme un Tampax en fin de carrière, je regagne ma voiture. Y prends place, démarre.
Mais un lien puissant me retient. Le sentiment de ne pas faire mon devoir. Alors je stoppe et retourne à la maison.
Justement, le bébé braille. N’a pas un bon sommeil, ce chiare. Les dents, tu crois ? Ou des coliques ?
Je monte le prendre dans mes bras, mais il ne m’a pas à la chouette et se débat pour que je le dépose sur le plancher. Ça le calme. Il amorce des pas chancelants et gagne le couloir du premier en direction de la salle de bains dans laquelle il pénètre, la porte se trouvant infermée.
Il me pompe, le mouflard ! Sa vieille en a pour une bonne plombe à concasser de la graine de roupille, je ne peux pas l’abandonner seulâbre dans cette crèche ! Une suppose qu’il lui arrive un turbin, je serais responsable. Il est à l’âge où les risques sont les plus grands car il peut marcher et ne mesure pas encore les dangers. Alors bonjour les prises électriques, les escaliers, les produits ménagers, les balustres trop écartés !
— Viens dodo, mon petit ange !
Mais ça ne le botte pas. Il est d’attaque pour me faire chier à bloc, ce petit saligaud.
Voilà qu’il passe derrière le lavabo et se radine avec un bâton d’un mètre terminé par un crochet de fer.
Qu’est-ce que ça fout là, ce machin ? Et d’abord, ça sert à quoi ?
Il me rappelle quelque chose de confus. J’ai vu le même quelque part, je crois que c’était chez mémé, dans son ancienne maison, avant qu’elle vienne mourir chez nous.
Oui, ça y est, ça me revient. Je lève les yeux pour mater le plaftard de la salle de bains qu’on a tapissé avec du papier peint dont le motif représente du treillage vert, comme on en met contre les murs extérieurs pour faire grimper des rosiers ou autres plantes escaladeuses.
Un panneau se lit dans le dessin géométrique et un second crochet y est vissé. Alors tu te sers du bâton pour marier les deux crochetons, tu tires et un escadrin pliant, à ressort, descend du plafond, à peine plus confortable qu’une échelle de meunier ; disons que ça ressemble à un escabeau que je développerais.
Intéressé, le petit trouduc ne bieurle plus et contemple San-Antonio dans ses œuvres.
Je ferme au verrou la porte de la salle d’eau pour pas qu’il aille faire le con ailleurs et j’escalade l’escalier. Mon buste sculptural émerge dans un grenier de jeune ménage, c’est-à-dire encore peu encombré. Des cartons, des bagages, du matériel de camping (ils ont dû cesser d’en faire à la naissance du larduche), éclairés par un vélum, sont rangés dans le fond du local mansardé. Rien d’autre.
En bas, Tête-de-nœud fils vient de zinguer le verre à chailles de ses vieux. Pourvu qu’il ne se coupe pas ! Je dévale, ramasse les débris que je jette dans le seau à pédale évacuateur tout en admonestant le petit bougre. Je lui en veux de n’avoir rien trouvé. Un fol espoir me galvanisait, et puis, tu vois…
Au moment où j’empoigne le bâton à crochet pour refermer le trappon, je crois déceler un soupir, voire un gémissement.
Dedieu ! Tu me verrais bondir dans le galetas ! Je crois n’avoir utilisé qu’une seule marche ! Je me rue sur l’amoncellement (aussi bien ordonné que la charité) des cartons et bagages. Les disperse. On a constitué une espèce de niche avec eux. Et dans cette niche, qui donc ? Je ne te demande pas de deviner, t’as déjà pigé. Je te dirais pas qu’il s’agit de Mme Tas-de-chairs ou de Jean-Claude Pasqua, tu ne me croirais pas. Oui, mon ami : c’est bel et bien mon petit Antoine qui gît sur le plancher cru, mal raboté. J’en ai vu, des gens ligotés, mais ligotés aussi serré que lui, à part la momie de Ramsès II, jamais !
On a usé de fil de fer très mince. On a démarré au-dessous des épaules et on l’a saucissonné, les bras dans le prolongement du corps, en descendant comme ça jusqu’à ses chevilles que je vois déjà toutes gonflées. Bâillon au sparadrap, non sans lui avoir enfoncé un mouchoir dans la clape. Voilà qui s’appelle neutraliser quelqu’un !
— Toinet ! mon fiston ! psalmodié-je en le libérant grâce à mon vaillant couteau de l’armée suisse. Mon petit homme ! Mon gentil !
Mais il ne répond rien car il est évanoui. Sa respiration est saccadée, les bras bloqués étroitement contre le thorax compriment ses poumons. De plus il a déféqué sous lui car il pue salement !
Je vais vider un flacon d’eau de Cologne sur un linge de toilette et lui bassine longuement le visage et la poitrine. Je remue ses bras pour le remettre en souplesse, puis ses jambes. Nouvelles frictions, nouveau flot de tendresse. Il finit par ouvrir les châsses. Me reconnaît. Balbutie quelque chose d’inaudible.
— Comment, fiston ?
— Je savais que tu finirais par arriver.
Un moment s’écoule. Je descends chercher un flacon de raide au salon. Whisky. Il en avale une rasade, tousse. Allons bon, c’est mon zèle qui l’étouffe maintenant !
— Comment te sens-tu, Antoine ? Tu veux que j’appelle un docteur ?
— Non, non, c’est pas la peine. J’ai chié et pissé dans mon froc.
— C’est ce que j’ai cru comprendre. Juste au-dessous, il y a une salle de bains, tu vas pouvoir en prendre un chouette, bien chaud.
— Comment m’as-tu trouvé ?
— Laisse, on se racontera tout plus tard. Tu peux te déplacer jusqu’à la trappe, là-bas ?
— Je ne sais pas : je sens plus mes jambes.
— Je vais t’aider, mon lapin.
POCHETTE SURPRISE
Ils se mettent bien, à l’U.B.B. Tu verrais leur salon d’attente, tu te croirais chez un grossium en tableaux. Murs couverts en peau de Suède, meubles d’acajou authentique, fauteuils profonds comme le gouffre de Padirac. Toiles de maîtres au mètre : Dufy, Vlaminck, Utrillo et autres peintres de cette catégorie dont se délectent les fils des bourgeois qui, « à leur époque », pissaient contre leurs œuvres.
Des cigarettes et des cigares à dispose pour de futurs cancéreux des soufflets, des revues très « classe » sur papier couché (reliées et non brochées, je te prie de noter).
Tu sens que cette banque privée ne se prive de rien ; le blé y coule à flots, souterrain et silencieux. Pour trouver le nom des clients, t’as que la solution de chouraver le petit carnet du grand patron, sinon c’est mystère et trou-du-cul-cousu. Le silence étant d’or, il règne en maître absolu ; t’oses même pas tourner les pages de ton Adam de peur de produire un bruit incongru.
A peine cinq minutes que nous sommes arrivés et, déjà, le garçon d’étage en veste noire, pantalon gris, chemise blanche, nœud papillon, vient me chercher.
Il me précède comme si j’étais le président de l’Assemblée nationale entrant en séance. On glisse sur une moquette épaisse comme un club-sandwich.
Porte à moulures dorées que je devine déjà capitonnée de l’intérieur. Il sonne. Un voyant vert s’allume au-dessus du chambranle. Il s’efface avec un détachant instantané. Je pénètre.
The cocu ! Derrière un burlingue couvert de cuir vert incrusté de dorures. Un homme de taille moyenne, tête ronde accentuée (la rondeur) par une calvitie de cornard-du-répertoire. Costar gris croisé. Nez en forme de tubercule foiré, dix petits poils de cul jouant à la moustache ; un regard indécis, plein de méfiance et d’inimitié instinctive. Sur le bureau, parmi les dossiers, une bouteille d’Evian (France voisine) et un verre à pied.