Выбрать главу

– Maintenant, monsieur, que désirez-vous de moi?

Mais celui-ci avait à peine écouté ce qu’elle avait dit; il n’avait entendu que le son de la voix sans prêter d’attention aux paroles; il regardait fixement Fanny, comme on regarde un phénomène, et n’interrompait sa contemplation que pour murmurer de temps en temps:

– Rosette! Rosette!

– Eh bien! vint lui demander tout bas son ami Tristan, ce que vous avez vu ne vaut-il pas la peine du voyage que je vous ai fait faire?

– Mais, maintenant que je suis venu, je ne pourrai plus repartir, dit Ulric en montrant Fanny, qui feignait d’être indifférente à la conversation des deux hommes, bien qu’elle n’en perdît pas un mot.

– Enfin, dit Tristan en tirant Ulric à l’écart, que voulez-vous faire?

Ulric parla longuement, en baissant la voix, à l’oreille de Tristan, et quand il eut achevé, Fanny, qui redoublait d’attention, entendit Tristan qui répondait à son ami:

– Je vous assure qu’elle acceptera.

– Que d’affaires pour une chose si simple! murmura la créature en elle-même; mais elle ne put dissimuler une certaine inquiétude en voyant que le comte de Rouvres se disposait à se retirer. En effet, Ulric ne pouvant pas contenir l’émotion qu’il avait éprouvée en se trouvant en face du fantôme vivant de sa maîtresse morte, avait rapidement salué tous les convives et venait de sortir, reconduit jusqu’au dehors par son ami Tristan.

– Eh bien! ma chère, dirent les autres femmes en voyant la mine dépitée de Fanny, voilà une conquête manquée!

– Je sais bien pourquoi, répondit celle-ci. Je l’ai mis au pied du mur. Il est ruiné.

– Encore une fois, vous êtes dans l’erreur, ma belle, dit Tristan qui venait de rentrer dans le salon.

– Eh bien! alors, je ne vous fais pas compliment, mon cher, répliqua Fanny. Malgré toute la mise en scène et la bonne volonté que j’y ai mise pour ma part, votre plan me paraît complètement manqué. Votre ami ne m’a pas même fait l’honneur de demander à être reçu chez moi.

– Mon ami est un homme bien élevé et un homme de sens! il ne s’amuse pas à faire des demandes inutiles. Vous n’êtes pour lui qu’une curiosité, un objet d’art, un portrait, et rien de plus, ma chère, répondit insolemment Tristan. Il m’a chargé d’être son homme d’affaires, et voilà ce qu’il vous propose par mon entremise.

– Ah! voyons un peu.

– Je vous préviens d’avance qu’on ne vous a jamais fait de proposition semblable.

– Mais parlez donc, dirent les femmes, nous sommes sur le gril de l’impatience.

– Nous y voici. Écoutez, dit Tristan en s’adressant particulièrement à Fanny. Le comte Ulric de Rouvres renouvelle votre mobilier.

– Le mien a six mois. Soit, dit Fanny.

– C’est presque séculaire, ajouta un des hommes.

– Le comte Ulric vous loue, dans une rue qu’il a choisie lui-même, une chambre de 160 francs. – Ne m’interrompez pas. – Dans cette chambre il fait disposer un charmant ménage d’occasion, qu’il tient caché en quelque endroit. Les meubles seront garnis de tous les objets de toilette qui vous seront nécessaires; mais je vous préviens que toute cette garde-robe est d’occasion comme les meubles, et la robe la plus chère ne vaut pas vingt francs.

– Après? dit Fanny.

– Après, continua Tristan, le comte Ulric vous trouvera, dans une maison à lui connue, une occupation qui vous rapportera quarante sous par jour.

– Quelle occupation? demanda Fanny.

– Je n’en sais rien. Au reste, vous ne travaillerez qu’autant que cela pourra vous amuser; seulement vous aurez soin de vous faire sur le bout des doigts des piqûres d’aiguille. Vous irez dans cette maison depuis le matin jusqu’au soir. Mon ami, M. le comte de Rouvres, ira vous chercher pour vous reconduire au sortir de votre besogne et vous ramènera à votre chambre, où vous passerez la soirée avec lui. À dix heures vous serez libre de votre personne; mais le lendemain, dès sept heures, vous serez à la disposition de M. de Rouvres, qui vous conduira à votre travail. Le dimanche, quand le temps sera beau, vous irez avec lui à la campagne manger du lait et cueillir des fraises. En outre, vous appellerez M. de Rouvres Marc, et vous apprendrez, pour les lui chanter, quelques chansons qu’il aime à entendre. Vous lui préparerez aussi vous-même certaine cuisine dont il vous indiquera le menu.

– Est-ce tout? demanda Fanny qui ne savait pas si Tristan se moquait d’elle.

– Ce n’est pas tout, reprit celui-ci. Pendant deux mois de l’hiver vous irez travailler, – ou du moins dans la maison où vous serez censée travailler, – vêtue seulement d’une vieille petite robe d’indienne bleue semée de pois blancs.

– Mais j’aurai froid.

– Certainement, d’autant plus que pendant ces deux mois d’hiver vous ne ferez pas de feu dans votre chambre.

– Ah! dit Fanny, j’ai connu des gens singuliers, mais votre ami les surpasse; le comte de Rouvres me paraît un être ridicule. Pourquoi ne me propose-t-il pas tout de suite de me couper la tête pour la faire encadrer comme étant le portrait de sa maîtresse?

– Il y a pensé, dit tranquillement Tristan.

– Et après? reprit Fanny. Est-ce là tout?

– C’est tout, dit Tristan.

– Voilà ce qu’il exige? Et moi, que puis-je exiger en échange de cette comédie, si je consens à la jouer?

– Le comte de Rouvres vous offre le traitement d’un ministre: cent mille francs par an!

– C’est sérieux? s’écria Fanny.

– Très sérieux. On passera, si vous l’exigez, un acte notarié.

– Mais il est donc décidément bien riche?

– Il a plus d’un million de fortune.

– Et combien de temps durera cette fantaisie?

– Tant que vous le voudrez. Ah! j’oubliais de vous dire qu’en acceptant ces conditions, vous changez de nom, comme mon ami. Il s’appellera Marc Gilbert, et vous vous nommerez Rosette.

– Eh bien! Fanny, demanda à celle-ci une de ses compagnes, qu’en dis-tu?

– Mesdames, répondit Fanny, je ne vous connais plus. Je m’appelle Rosette, et je suis la maîtresse vertueuse de M. Marc Gilbert.

Le lendemain soir, dans l’ancienne chambre de la rue de l’Ouest, où Ulric avait habité pendant un an avec Rosette, Fanny, vêtue de la petite robe bleue à pois blancs, attendait la première visite du comte de Rouvres, qui ne tarda pas à arriver, revêtu de son ancien costume d’ouvrier.

Pendant la première heure, et pour mieux faire comprendre à Fanny l’esprit du personnage dont elle devait jouer le rôle, Ulric raconta à Fanny ses amours avec Rosette.

– Ce que je vous demande avant tout, dit-il, c’est de ne jamais me parler de ma fortune, et, le plus que vous pourrez feindre de l’ignorer vous-même sera le mieux.

– Alors, monsieur, répondit Fanny en tirant de la poche de sa petite robe bleue un papier qu’elle présenta à Ulric, reprenez cette lettre qui vous appartient; car, en la trouvant sous mes yeux, je ne pourrais pas m’empêcher de me rappeler que vous n’êtes pas M. Marc Gilbert, mais bien M. le comte de Rouvres.