Ulric, étonné et ne comprenant pas, prit la lettre et l’ouvrit.
C’était la lettre qu’il avait reçue de son ancien notaire, M. Morin, quand celui-ci, prêt à vendre son étude, lui demandait s’il voulait rentrer dans la possession de sa fortune, dont les chiffres se trouvaient établis dans cette lettre.
– Vous avez trouvé cette lettre dans la poche de cette robe? demanda Ulric en pâlissant.
– Oui, répondit-elle, et voyant qu’elle vous était adressée, j’ai cru devoir vous la remettre.
– Mais, continua Ulric, cette robe appartenait à Rosette, et pour que ma lettre s’y trouvât, il fallait bien qu’elle en eût pris connaissance.
Fanny répondit par un sourire.
– Alors, continua Ulric, Rosette savait qui j’étais, – elle savait que j’étais riche, – et son amour… ah! malheureux! Et il tomba anéanti sur le carreau.
Environ un mois après, comme Fanny, revenue dans son appartement, s’apprêtait à aller au bal masqué, elle vit entrer chez elle Tristan, qui tenait à la main un petit paquet.
– Que m’apportez-vous là, – un cadeau?
– C’est un legs que vous a fait avant de mourir mon ami le comte de Rouvres.
– Voyons, dit Fanny.
Mais elle devint furieuse en apercevant la petite robe bleue.
– Votre ami est un être ridicule, mort ou vivant; il m’a fait banqueroute de cent mille francs.
– Ne vous pressez pas de le calomnier, dit Tristan; et il tira de la poche de la robe un portefeuille qui contenait cent billets de banque.
La maîtresse aux mains rouges
Depuis quelque temps Théodore était beaucoup plus assidu chez sa tante la lingère qu’aux cours de l’école de médecine; on ne le voyait plus au café et il n’allait plus au bal.
Quel était ce mystère?
Théodore était tout simplement amoureux d’une ouvrière entrée depuis peu dans l’atelier de sa tante. Jolie, douce, laborieuse et ne manquant point d’un certain esprit naturel, – telle était Clémence. Elle arrivait de sa province, où elle avait été élevée fort rigoureusement par une parente vieille et dévote.
Et la première fois qu’il vit cette jeune fille, Théodore, qui en amour était un garçon très improvisateur, en était tombé subitement épris. Mais Clémence n’était pas une fille à ranger au nombre des conquêtes faciles, comme il s’en fait tant les soirs de bal, à l’aide de deux ou trois lieux communs madrigalisés et d’une bouteille d’Aï frappée. Aussi Théodore comprit qu’il devait cette fois laisser de côté la devise Veni, vidi, vici, qu’il avait coutume d’arborer dans ses campagnes galantes.
Voici donc notre amoureux forcé d’étudier la géographie du pays de Tendre, qu’il avait jusque-là fort peu parcouru. Néanmoins Théodore ne se désespéra pas… et tous les jours il venait passer de longues heures chez sa tante, et, de ses yeux chargés d’une mitraille d’amour, il assiégeait le cœur de la petite provinciale… qui tâchait de se défendre de son mieux.
Cependant la situation commençait à devenir critique. Clémence avait dix-huit ans, âge où les rêves des jeunes filles ont ordinairement des moustaches, – brunes ou blondes. Clémence jura de se défendre. Mais d’avance elle sentait qu’elle était vaincue. Elle avait beau baisser les yeux devant Théodore, elle le voyait mieux, et le jeune homme de se dire tout bas: Voici qui va bien, à bientôt l’assaut définitif! En effet, le moment était venu où il ne pouvait être tenté qu’avec succès.
Malgré toutes les précautions qu’elle prenait pour le fermer, Clémence oublia un jour la clef sur la porte de son cœur, – et l’amour entra.
Quelque temps plus loin, Clémence oubliait une autre clef sur une porte, – celle de sa chambre, et un matin on en vit sortir Théodore.
Théodore fut pendant trois mois très enthousiasmé de sa maîtresse; mais au bout de ce temps, son amour tomba à quelques degrés au-dessous de l’estime sincère, – point qui, au thermomètre de la passion, équivaut à l’indifférence.
Pourtant, Clémence était toujours la même, soumise, aimante, fidèle et coquette, juste ce qu’il fallait pour plaire à Théodore, qui, de son côté, devenait de plus en plus insensible à ses coquetteries.
Enfin, résolu d’en finir avec cet amour, Théodore fit un soir à sa maîtresse un de ces outrages que toute autre femme n’eût jamais pardonné. Au milieu d’une conversation paradoxale d’art et d’amour comparés, et devant une nombreuse compagnie, Théodore déclara qu’il lui était impossible d’aimer une femme qui n’aurait pas les mains blanches et les ongles opalisés. Cette brutale épigramme adressée aux mains rouges et meurtries de la pauvre Clémence lui entra plus avant et plus douloureusement dans le cœur que ne l’eût fait un coup de poignard; car cette méchanceté aiguë atteignait plus encore son amour que son amour-propre.
Cependant, comme elle avait beaucoup d’orgueil, son parti fut pris sur-le-champ. Elle résolut de quitter l’étudiant avant qu’il lui eût fait comprendre d’une manière plus significative que leur liaison devait avoir une fin.
Le lendemain, pendant que Théodore était au cours, Clémence réunit en un paquet tous les objets qui lui appartenaient et les fit transporter dans un hôtel des environs, où elle avait choisi une chambre. Cependant, comme elle ne se sentait pas le courage de quitter Théodore avant de l’avoir revu, la jeune fille attendit son retour. Peut-être espérait-elle qu’il essayerait de lui faire oublier l’offense de la veille; et, si banale qu’eût été l’excuse, la pauvre enfant était toute prête à l’accueillir par un pardon.
À minuit Théodore fit prévenir qu’il ne rentrerait pas. Il voulait en effet éviter d’avoir avec sa maîtresse une de ces explications qui, sans qu’on le veuille, vous acheminent si souvent à un raccommodement.
Clémence comprit que tout était fini. Elle écrivit à la hâte un mot d’adieu, et sortit de sa chambre en jetant au portrait de Théodore, qui au moins avait l’air de lui sourire, un long regard humide de larmes.
Le matin, en rentrant, Théodore trouva le billet de sa maîtresse.
– Vive la liberté! s’écria-t-il quand il l’eut achevé; et il courut dans un café rejoindre ses amis et leur raconter de quelle façon ferme et brillante il venait de rompre sa chaîne.
Cependant, les premiers jours qui suivirent sa séparation d’avec Clémence, Théodore trouva que sa petite chambre était bien grande, et les premières nuits il lui sembla que son lit était bien large. Mais au bout de deux semaines la lacune était comblée.
Cependant Clémence n’avait pas de nouvel amour et se souvenait encore de Théodore. Elle avait du reste conservé l’espérance que son amant reviendrait à elle; et pour un pas qu’il eût fait, elle était toute disposée à en faire dix. Dans cet espoir d’un rapprochement prochain, la pauvre délaissée s’était surtout attachée à corriger, autant qu’il lui serait possible, le défaut physique que Théodore lui avait si brutalement reproché. Elle tenait à montrer à l’ingrat qu’elle pouvait avoir les mains aussi blanches que n’importe quelle lionne de n’importe quelle aristocratie. Elle commença donc à prendre des soins qu’elle avait négligés jusqu’alors. Elle eut des savons, des poudres, des eaux qui lui coûtaient le plus clair de son gain modique. Enfin elle alla même jusqu’à mettre des gants la nuit, elle qui en mettait à peine le jour.