Chaque matin, en se levant, elle regardait avec inquiétude le progrès de ses remèdes. Hélas! Ils n’opéraient pas vite! Les soins du ménage, qu’elle tenait sur un point de propreté flamande; les travaux de couture surtout, tout cela neutralisait l’action de ses soins coquets; et si ses mains avaient gagné quelque délicatesse comme forme, elles étaient restées, comme devant, – rouges, ainsi que des cerises.
La pauvre Clémence ignorait que la meilleure pâte pour blanchir les mains s’appelle l’oisiveté, et l’eût-elle su d’ailleurs, elle n’eût point pu en faire usage. C’était là un remède qui lui eût coûté trop cher.
Elle resta donc avec ses mains rouges.
Un soir Clémence se rappela que, dans le beau temps de leur amour, elle avait promis à Théodore de lui broder une bourse pour le jour de sa fête, – et ce jour n’était pas éloigné.
– Ah! pensa la jeune fille en recueillant avec bonheur ce souvenir, j’aurai encore le temps; en recevant mon cadeau, il verra que je ne l’ai pas oublié, et il reviendra peut-être. Dès le lendemain elle se mit à l’œuvre.
Il lui restait presque toute une semaine devant elle pour ce travail; c’était plus qu’il ne fallait, si elle avait pu disposer de tout son temps. Mais comme ses journées ne lui appartenaient point, huit jours devaient à peine suffire. Clémence travailla la nuit.
On était dans l’hiver, – il faisait grand froid, – et le budget de la jeune ouvrière ne lui permettait pas de faire grand feu; souvent même n’en faisait-elle point du tout. C’est alors que ses pauvres mains devenaient rouges, grand Dieu! Mais quand au matin elle avait avancé sa bourse de quelques mailles, elle oubliait froid et fatigue, et trouvait dans l’espérance qu’elle avait d’une réconciliation prochaine de nouvelles forces pour aller à son travail du jour. Cependant ses veilles prolongées, dans une chambre humide et mal close, les émotions qui l’avaient agitée depuis quelque temps, altéraient visiblement la santé de la jeune fille, qui n’y apportait aucune attention.
Enfin le petit chef-d’œuvre de patience et de bon goût sortit achevé de ses mains, hélas! toujours aussi rouges que les mains de l’Aurore quand elle ouvre les portes d’un ciel d’hiver. En admirant cette bourse, dans laquelle elle avait mis tant de superstitieuses espérances, Clémence eut un bon moment de joie. Elle jeta un coup d’œil sur les murs tristes de cette chambre où elle vivait dolente et solitaire, et elle ne put s’empêcher de dire:
– Avant peu, je n’y serai plus – ou je n’y serai pas seule! La veille de la Saint-Théodore, Clémence enveloppa soigneusement sa bourse dans une boîte garnie de coton et alla chez une bouquetière prendre un bouquet où elle fit entrer toutes les fleurs qu’elle savait préférées par Théodore; elle fit ajouter aussi toutes celles dont le langage emblématique pouvait éveiller le souvenir. – Hélas! réveille-t-on les morts?
Au coin d’une rue, Clémence confia son cadeau à un commissionnaire.
– Y a-t-il une réponse? demanda celui-ci.
– Non, répondit la jeune fille. – Théodore viendra lui-même, pensait-elle.
Comme elle rentrait chez elle, elle rencontra en chemin un jeune homme qu’elle avait vu quelquefois chez son amant.
– Tiens, vous voilà, Clémence, lui dit l’étudiant; que devenez-vous donc?
– Vous savez bien ce qui est arrivé, répondit-elle.
– Ah oui, c’est vrai! vous êtes fâchée avec Théodore.
– Fâchée! dit Clémence, oh! fâchée!
– Ah! c’est égal… il vous regrette, allez.
– Il me regrette? fit la jeune fille, en rougissant de plaisir: il vous l’a dit?
– Non, pas précisément, mais je le devine. – Nous allons ce soir au bal de l’Opéra, ajouta l’étudiant. Théodore y sera. Viendrez-vous?
– Oh! dit Clémence. Je ne crois pas… Adieu.
– Adieu, dit l’étudiant, qui continua son chemin en sifflant.
– Il me regrette! murmura Clémence quand elle fut rentrée, j’en étais bien sûre, moi! – Quand il verra que je me souviens encore de lui, il reviendra; – c’est l’amour-propre qui l’aura empêché de revenir plus tôt… il ne voulait point faire le premier pas… tous les hommes sont orgueilleux…
Et Clémence se mit à chanter d’une voix souvent interrompue par une toux douloureuse la jolie chanson:
«Rosine à moi revient fidèle.»
Seulement, sans s’inquiéter de la mutilation qu’elle faisait subir au vers, elle y substitua le nom de Théodore.
Vers le milieu de la journée, – heure à laquelle elle savait l’étudiant libre, – Clémence fit une jolie toilette. Elle soigna surtout ses mains, qu’elle avait du moins su préserver des engelures.
– Ah! disait-elle en les regardant, elles ne sont pas trop rouges aujourd’hui. Et elle attendit.
Or, pendant qu’elle attendait, la nouvelle maîtresse de Théodore, qui en ce moment était seule chez l’étudiant, recevait l’envoi de Clémence. Mademoiselle Coralie, qui était une personne rusée, devina de suite que ces cadeaux venaient d’une femme, et en voyant le C qui était brodé sur la bourse avec un T, elle pensa que cette femme devait être Clémence, – qu’elle avait du reste connue.
– Elle veut revenir. C’est bon, dit Coralie. Je sais ce que j’ai à faire.
Et elle se mit à machiner tout bas une de ces vengeances doublées de fourberie, – comme savent en trouver les femmes qui ont une rivale en face de leur amour ou de leur vanité.
Une heure après Théodore entra. En l’entendant monter, Coralie s’était cachée derrière les rideaux de l’alcôve, après avoir eu soin de laisser en évidence le bouquet et la bourse, pour qu’ils tombassent d’abord sous les yeux de Théodore, – ce qui arriva.
– Tiens, fit le jeune homme étonné, qu’est-ce que c’est que ça?
– Quoi, tu ne le devines pas? s’écria Coralie en venant lui sauter au cou; quel jour sommes-nous aujourd’hui? Théodore songea à sa fête.
– Comment, c’est toi?… tu t’es souvenue, dit-il en regardant sa maîtresse, qui ne baissa pas les yeux.
– Et qui donc veux-tu que ce soit? fit-elle.
– Allons, se dit Théodore en lui-même, je ne pouvais pas manquer d’avoir une bourse, cette pauvre Clémence m’en avait promis une. Mais, demanda-t-il à Coralie, quand donc as-tu fait cela?
– Eh bien donc, et ma surprise? répondit Coralie. J’ai fait la bourse pendant la nuit – quand tu dormais. J’ai eu joliment froid va… Regarde donc… il y a un C et un T… nos deux noms…
– Pauvre chérie… dit Théodore… Elle est charmante, ta bourse… Je veux que tu l’étrennes ce soir au bal… Tiens, voilà pour la garnir… Et comme il venait de recevoir sa pension, Théodore donna à Coralie une belle pièce d’or…
– Ah! pensa celle-ci en prenant les vingt francs, j’ai une fière idée… En effet, le cerveau de cette fille, qui était une fine mécanique à perfidie, venait d’inventer quelque chose de bien noir sans doute, car les yeux de Coralie brillèrent d’un éclat extraordinaire… Oh! la bonne idée, fit-elle encore tout bas. – La vipère se réjouissait de son abondance de venin.