Выбрать главу

Cependant Clémence attendait toujours… à minuit elle attendait encore… À une heure du matin, n’y pouvant plus tenir, elle se décida à aller au bal de l’Opéra, – où on lui avait dit qu’elle trouverait Théodore. Elle voulait le voir… il fallait qu’elle le vît…

Elle prit un peu d’argent – le reste de ses économies – et sortit pour aller louer un domino. Comme elle passait devant la loge du portier, celui-ci l’appela.

– Mademoiselle, j’ai quelque chose à vous remettre. – Clémence était déjà dans la rue.

À deux heures elle entrait au bal de l’Opéra, le visage soigneusement caché par un loup de velours. Comme elle traversait la salle, elle aperçut d’abord à quelques pas d’elle deux masques qui s’apprêtaient à se mêler à un quadrille… c’étaient Théodore et Coralie, et Clémence avait reconnu son amant. Elle poussa un cri sourd et s’appuya contre une banquette pour ne point tomber. Mais elle fit tant d’efforts qu’elle parvint à comprimer la souffrance atroce qui venait de se mettre à crier au fond de son cœur, et seule elle en entendit le bruit…

Théodore avait donné la bourse et le bouquet qu’elle lui avait envoyés à sa maîtresse nouvelle… En effet, la bourse pendait à la ceinture de Coralie, et le bouquet fleurissait sa main gantée de blanc.

Clémence resta cinq minutes à regarder Coralie et Théodore danser devant elle. – À chaque figure du quadrille ils s’embrassaient. – Au moment de s’élancer pour le galop, Coralie laissa tomber le bouquet à terre. Elle voulut se baisser pour le ramasser, mais Théodore l’enleva dans ses bras.

– Il était tout fané, lui dit-il, je t’en achèterai un plus beau… Et ils s’envolèrent dans le tourbillon. Clémence vit son bouquet foulé sous les mille pieds du gigantesque galop.

Elle sortit du bal avec précipitation – la tête perdue, le cœur brisé, ne sachant pas d’où elle sortait, ignorant où elle allait… Au bout de deux heures de marche par une neige abondante et glacée, le hasard ramena Clémence dans sa rue et devant sa porte.

– Tiens! vous voilà, mademoiselle, lui dit le portier; j’ai quelque chose pour vous depuis hier. Je voulais vous le remettre quand vous êtes partie pour le bal, mais vous ne m’avez pas répondu… C’est un commissionnaire qui m’a apporté cela de la part de M. Théodore.

– Théodore! dit Clémence; donnez vite, et elle arracha une petite boîte des mains du portier.

À peine arrivée dans sa chambre, elle ouvrit la boîte et y trouva un papier dans lequel était enveloppée une pièce d’or toute neuve, qui s’en alla rouler à terre avec un bruit sonore. Sur le papier ces mots avaient été écrits au crayon: – J’ai reçu votre bourse, voici pour vos peines.

C’était la belle idée de mademoiselle Coralie.

Clémence tomba à terre en poussant un gémissement. Une voisine l’entendit et vint lui porter secours. Elle eut toutes les peines du monde à retenir la jeune fille, qui, prise du délire, voulait se jeter par la fenêtre.

Le soir un médecin fut appelé. En voyant Clémence il secoua la tête:

– Ceci est grave, dit-il, mais il est encore temps. Le lendemain Clémence se réveillait dans un hôpital. Pendant huit jours, on eut des espérances. Mais le matin du neuvième, en faisant sa visite, le médecin se pencha à l’oreille de la sœur de charité, qui s’approcha tristement du lit de Clémence.

– Je sais ce que vous voulez me dire, ma sœur… murmura la malade. Et elle demanda les sacrements.

Le soir, comme la religieuse s’apprêtait à quitter la salle, Clémence la fit appeler.

– Tenez, ma sœur, lui dit-elle en lui mettant dans la main une pièce d’or qui était cachée sous son oreiller, vous mettrez ceci dans le tronc des pauvres malades. C’est toute ma fortune. Adieu!

– Couvrez-vous, mon enfant, lui dit la sœur, en voyant qu’elle gardait ses bras hors du lit. Vous allez avoir froid.

– Oh! qu’est-ce que cela fait maintenant? dit Clémence. Et elle se prit à sourire en regardant ses mains que la maladie avait rendues pâles et transparentes. – Si Théodore me voyait! murmura-t-elle. Puis elle s’endormit et fit son dernier rêve.

Vers le milieu de la nuit elle se réveilla pour mourir. L’agonie fut brève. On avait, comme d’habitude, envoyé chercher l’interne de garde pour y assister. Quand l’infirmier vint le demander, il achevait une partie avec un de ses camarades.

– Qu’est-ce qu’il y a? demanda-t-il.

– C’est la jeune fille du numéro 15 qui se meurt.

– C’est bon, j’y vais… Théodore, prends donc ma partie. Dix minutes après, l’interne remontait.

– Eh bien, lui dit Théodore, qui était venu passer cette nuit avec ses amis les carabins, et le numéro 15?

– La petite est morte, dit l’interne en reprenant son jeu: le roi!… c’est dommage, elle était bien jolie; – valet… dix-huit ans; – passe trèfle…; des yeux noirs et des mains blanches… oh! mais blanches… Tiens, à propos, elle s’appelait Clémence, comme ton ancienne maîtresse, je crois, Théodore.

– Ah! reprit celui-ci, Clémence! celle qui avait les mains rouges. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue. – Atout, atout et atout. Mon petit, ça me fait la vole et le point.

Le bonhomme Jadis

À l’époque du terme d’avril, un jeune homme appelé Octave vint prendre possession d’une chambre qu’il avait quelques jours auparavant arrêtée dans une maison de la rue de la Tour d’Auvergne. Il avait l’air si honnête, que le portier n’avait point voulu se déranger pour aller aux renseignements, comme c’est l’usage, et lui avait loué de confiance.

Le logement d’Octave était situé au quatrième et dernier étage. C’était une petite chambre si basse de plafond, qu’un homme d’une taille un peu élevée n’aurait pas pu y garder son chapeau. Elle était éclairée d’un côté par une petite fenêtre donnant sur la cour, et d’où l’on apercevait les hauteurs de Montmartre. Un autre jour était pratiqué au fond, c’était un châssis mobile ouvrant sur les jardins d’un pensionnat de jeunes demoiselles. De là on apercevait une partie du panorama de Paris.

Octave passa la journée à mettre ses affaires en ordre. Ce n’était pourtant pas une longue besogne, car il n’avait bien juste que le nécessaire, et à la vue de son mobilier de modeste apparence, le portier de la maison avait fait une grimace, et s’était presque repenti de lui avoir loué sans aller aux informations.

Son installation terminée, Octave se mit machinalement à sa fenêtre pour juger ce que serait la vue. En levant les yeux, il aperçut à la croisée qui faisait face à la sienne un petit vieillard, occupé à couper les branches mortes de quelques arbustes plantés dans des caisses et formant un jardin suspendu. Le vieux voisin, qui venait d’apercevoir Octave, s’interrompit dans sa besogne; puis, après l’avoir examiné quelques instants, il souleva le bonnet de laine qui couvrait ses cheveux déjà blancs, et faisant au jeune homme un geste amical, il lui dit en souriant:

– Monsieur, j’ai l’honneur de vous saluer. Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue dans cette maison.

Octave, un peu étonné, salua le vieillard et répondit à sa politesse. Puis, comme le voisin s’était remis à son jardinage, Octave ferma sa fenêtre et descendit pour aller dîner.