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– Je ne peux pas te recevoir, dit-il à Rodolphe.

– Pourquoi? demanda celui-ci.

– Tiens! dit Marcel en désignant une tête féminine qui venait d'apparaître derrière un rideau: voici ma réponse.

– Elle n'est pas belle, répondit Rodolphe auquel on venait de refermer la porte sur le nez. Ah çà, se dit-il quand il fut dans la rue, que faire? Si j'allais chez Colline? Nous passerions le temps à dire du mal de Marcel.

En traversant la rue de l'ouest, ordinairement obscure et peu fréquentée, Rodolphe distingua une ombre qui se promenait mélancoliquement en mâchant des rimes entre ses dents.

– Hé! Hé! dit Rodolphe, quel est ce sonnet qui fait le pied de grue? Tiens, Colline!

– Tiens, Rodolphe! Où vas-tu?

– Chez toi.

– Tu ne m'y trouveras pas.

– Qu'est-ce que tu fais là?

– J'attends.

– Et qu'est-ce que tu attends?

– Ah! dit Colline avec une emphase railleuse, que peut-on attendre quand on a vingt ans, qu'il y a des étoiles au ciel et des chansons dans l'air?

– Parle en prose.

– J'attends une femme.

– Bonsoir, fit Rodolphe qui continua son chemin tout en monologuant. Ouais! disait-il, est-ce donc aujourd'hui la Saint-Cupidon, et ne pourrais-je faire un pas sans me heurter à des amoureux? Cela est immoral et scandaleux. Que fait donc la police?

Comme le Luxembourg était encore ouvert, Rodolphe y entra pour abréger son chemin. Au milieu des allées désertes, il voyait souvent fuir devant lui, comme effrayés par le bruit de ses pas, des couples mystérieusement enlacés et cherchant, comme dit un poëte: la double volupté du silence et de l'ombre.

– Voilà, dit Rodolphe, une soirée qui a été copiée dans un roman. Et cependant, pénétré malgré lui d'un charme langoureux, il s'assit sur un banc et regarda sentimentalement la lune.

Au bout de quelque temps, il était entièrement sous le joug d'une fièvre hallucinée. Il lui sembla que les dieux et les héros de marbre qui peuplent le jardin quittaient leurs piédestaux pour s'en aller faire la cour aux déesses et héroïnes leurs voisines; et il entendit distinctement le gros Hercule faire un madrigal à la Velléda, dont la tunique lui parut singulièrement raccourcie.

Du banc où il était assis, il aperçut le cygne du bassin qui se dirigeait vers une nymphe d'alentour.

– Bon! Pensa Rodolphe, qui acceptait toute cette mythologie, voilà Jupiter qui va au rendez-vous de Léda. Pourvu que le gardien ne les surprenne pas!

Puis il se prit le front dans les mains et s'enfonça plus avant les aubépines du sentiment.

Mais, à ce beau moment de son rêve, Rodolphe fut subitement réveillé par un gardien qui s'approcha de lui et lui frappa sur l'épaule.

– Il faut sortir, monsieur, dit-il.

– C'est heureux, pensa Rodolphe. Si je restais encore ici cinq minutes, j'aurais dans le cœur plus de vergiss-meinnicht qu'il n'y en a sur les bords du Rhin ou dans les romans d'Alphonse Karr.

Et, prenant sa course, il sortit en toute hâte du Luxembourg, fredonnant à voix basse une romance sentimentale, qui était pour lui la marseillaise de l'amour.

Une demi-heure après, ne sais comment, il était au Prado, attablé devant du punch et causant avec un grand garçon célèbre par son nez, qui, par un singulier privilége, est aquilin de profil et camard de face; un maître nez qui ne manque pas d'esprit, et a eu assez d'aventures galantes pour pouvoir en pareil cas donner un bon avis et être utile à son ami.

– Donc, disait Alexandre Schaunard, l'homme au nez… vous êtes amoureux?

– Oui, mon cher… ça m'a pris tout à l'heure, subitement, comme un grand mal de dents qu'on aurait au cœur.

– Passez-moi le tabac, dit Alexandre.

– Figurez-vous, continua Rodolphe, que depuis deux heures je ne rencontre que des amoureux, des hommes et des femmes deux par deux. J'ai eu l'idée d'entrer dans le Luxembourg, où j'ai vu toutes sortes de fantasmagories; ça m'a remué le cœur extraordinairement; il m'y pousse des élégies; je bêle et je roucoule; je me métamorphose moitié agneau, moitié pigeon. Regardez donc un peu, je dois avoir de la laine et des plumes.

– Qu'est-ce que vous avez donc bu? dit Alexandre impatienté, vous me faites poser, vous.

– Je vous assure que je suis de sang-froid, dit Rodolphe. C'est-à-dire non. Mais je vous annoncerai que j'ai besoin d'embrasser quelque chose. Voyez-vous, Alexandre, l'homme ne doit pas vivre seuclass="underline" en un mot, il faut que vous m'aidiez à trouver une femme… nous allons faire le tour du bal, et la première que je vous montrerai, vous irez lui dire que je l'aime.

– Pourquoi n'allez-vous pas le lui dire vous-même? répondit Alexandre avec sa superbe basse nasale.

– Eh! Mon cher, dit Rodolphe, je vous assure que j'ai tout à fait oublié comment on s'y prend pour dire ces choses-là. De tous mes romans d'amour, ce sont mes amis qui ont écrit la préface, et quelques-uns même le dénoûment. Je n'ai jamais su commencer.

– Il suffit de savoir finir, dit Alexandre; mais je vous comprends. J'ai vu une jeune fille qui aime le hautbois, vous pourrez peut-être lui convenir.

– Ah! reprit Rodolphe, je voudrais bien qu'elle eût des gants blancs et des yeux bleus.

– Diable! Des yeux bleus, je ne dis pas… mais les gants… vous savez qu'on ne peut pas avoir tout à la fois… cependant, allons dans le quartier de l'aristocratie.

– Tenez, dit Rodolphe en entrant dans le salon où se tiennent les élégantes du lieu, en voici une qui paraît bien douce… et il indiquait une jeune fille assez élégamment mise qui se tenait dans un coin.

– C'est bon! répondit Alexandre, restez un peu en arrière; je vais lui lancer pour vous le brûlot de la passion. Quand il faudra venir… je vous appellerai.

Pendant dix minutes, Alexandre entretint la jeune fille qui, de temps en temps, partait en joyeux éclats de rire et finit par lancer à Rodolphe un sourire qui voulait assez dire: venez, votre avocat a gagné la cause.

– Allez donc, dit Alexandre, la victoire est à nous, la petite n'est sans doute pas cruelle; mais ayez l'air naïf pour commencer.

– Vous n'avez pas besoin de me recommander cela.

– Alors, passez-moi un peu de tabac, dit Alexandre, et allez vous asseoir près d'elle.

– Mon Dieu! dit la jeune fille, quand Rodolphe eut pris place à ses côtés, comme votre ami est drôle, il parle comme un cor de chasse.

– C'est qu'il est musicien, répondit Rodolphe.

Deux heures après, Rodolphe et sa compagne étaient arrêtés devant une maison de la rue Saint-Denis.

– C'est ici que je demeure, dit la jeune fille.

– Eh bien, chère Louise, quand vous reverrai-je, et où?

– Chez vous, demain soir, à huit heures.

– Bien vrai?

– Voilà ma promesse, répondit Louise en tendant ses joues fraîches à Rodolphe qui mordit à même dans ces beaux fruits mûrs de jeunesse et de santé. Rodolphe rentra chez lui ivre fou.

– Ah! dit-il en parcourant sa chambre à grands pas, ça ne peut pas se passer comme ça; il faut que je fasse des vers.

Le lendemain matin, son portier trouva dans la chambre une trentaine de feuilles de papier en tête desquelles s'étalait avec majesté cet alexandrin solitaire:

Ô l'amour! Ô l'amour! Prince de la jeunesse!

Ce jour-là, le lendemain, contre ses habitudes, Rodolphe s'était réveillé de fort bonne heure, et, bien qu'ayant peu dormi, il se leva sur-le-champ.

– Ah! s'écria-t-il, c'est donc aujourd'hui le grand jour… mais douze heures d'attente… avec quoi combler ces douze éternités?…

Et comme son regard était tombé sur son bureau, il lui sembla voir frétiller sa plume qui avait l'air de lui dire: travaille?

– Ah! bien oui, travaille, foin de la prose!… Je ne veux pas rester ici, ça pue l'encre.

Il fut s'installer dans un café où il était sûr de ne point rencontrer d'amis.