– Ils verraient que je suis amoureux, pensa-t-il, et me plumeraient d'avance mon idéal.
Après un repas très-succinct, il courut au chemin de fer et monta dans un wagon.
Au bout d'une demi-heure, il était dans les bois de Ville-D'Avray.
Rodolphe se promena toute la journée, lâché à travers la nature rajeunie, et ne revint à Paris qu'au tomber de la nuit.
Après avoir fait mettre en ordre le temple qui allait recevoir son idole, Rodolphe fit une toilette de circonstance, et regretta beaucoup de ne pouvoir s'habiller en blanc.
De sept à huit heures, il fut en proie à la fièvre aiguë de l'attente. Supplice lent qui lui rappela ses jours anciens, et les anciennes amours qui les avaient charmés. Puis, suivant son habitude, il rêva déjà une grande passion, un amour en dix volumes, un véritable poëme lyrique avec clairs de lune, soleils couchants, rendez-vous sous les saules, jalousies, soupirs, et le reste. Et il en était ainsi chaque fois que le hasard amenait une femme à sa porte, et pas une ne l'avait quitté sans emporter au front une auréole et au cou un collier de larmes.
– Elles aimeraient mieux un chapeau ou des bottines, lui disaient ses amis.
Mais Rodolphe s'obstinait, et jusqu'ici les nombreuses écoles qu'il avait commises n'avaient pu le guérir. Il attendait toujours une femme qui voulût bien poser en idole, un ange en robe de velours à qui il pourrait tout à son aise adresser des sonnets écrits sur feuilles de saule.
Enfin, Rodolphe entendit sonner «l'heure sainte;» et comme le dernier coup résonnait sur le timbre de métal, il crut voir l'Amour et la Psyché qui surmontaient sa pendule enlacer leurs corps d'albâtre.
Au même moment on frappa deux coups timides à la porte. Rodolphe alla ouvrir; c'était Louise.
– Je suis de parole, dit-elle, vous voyez!
Rodolphe ferma les rideaux et alluma une bougie neuve.
Pendant ce temps, la petite s'était débarrassée de son châle et de son chapeau, qu'elle alla poser sur le lit. L'éblouissante blancheur des draps la fit sourire, et presque rougir.
Louise était plutôt gracieuse que jolie; sa fraîche figure offrait un piquant mélange de naïveté et de malice. C'était quelque chose comme un motif de Greuze arrangé par Gavarni. Toute la jeunesse attrayante de la jeune fille était adroitement mise en relief par une toilette qui, bien que très-simple, attestait chez elle cette science innée de coquetterie que toutes les femmes possèdent, depuis leur premier lange jusqu'à leur robe de noce. Louise paraissait en outre avoir particulièrement étudié la théorie des attitudes, et prenait devant Rodolphe, qui l'examinait en artiste, une foule de poses séduisantes dont le maniérisme avait souvent plus de grâce que le natureclass="underline" ses pieds, finement chaussés, étaient d'une exiguïté satisfaisante… même pour un romantique épris des miniatures andalouses ou chinoises. Quant à ses mains, leur délicatesse attestait l'oisiveté. En effet, depuis six mois, elles n'avaient plus à redouter les morsures de l'aiguille. Pour tout dire, Louise était un de ces oiseaux volages et passagers qui, par fantaisie et souvent par besoin, font pour un jour, ou plutôt une nuit, leur nid dans les mansardes du quartier latin et y demeurent volontiers quelques jours, si on sait les retenir par un caprice, ou par des rubans.
Après avoir causé une heure avec Louise, Rodolphe lui montra comme exemple le groupe de l'amour et psyché.
– Est-ce pas Paul et Virginie? dit-elle.
– Oui, répondit Rodolphe, qui ne voulut pas d'abord la contrarier par une contradiction.
– Ils sont bien imités, répondit Louise.
– Hélas! pensa Rodolphe en la regardant, la pauvre enfant n'a guère de littérature. Je suis sûr qu'elle se borne à l'orthographe du cœur, celle qui ne met point d's au pluriel. Il faudra que je lui achète un Lhomond.
Cependant, comme Louise se plaignait d'être gênée dans sa chaussure, il l'aida obligeamment à délacer ses bottines.
Tout à coup la lumière s'éteignit.
– Tiens, s'écria Rodolphe, qui donc a soufflé la bougie?
Un joyeux éclat de rire lui répondit.
Quelques jours après, Rodolphe rencontra dans la rue un de ses amis.
– Que fais-tu donc? Lui demanda celui-ci. On ne te voit plus.
– Je fais de la poésie intime, répondit Rodolphe.
Le malheureux disait vrai. Il avait voulu demander à Louise plus que la pauvre enfant ne pouvait lui donner. Musette, elle n'avait point les sons d'une lyre. Elle parlait, pour ainsi dire, le patois de l'amour, et Rodolphe voulait absolument en parler le beau langage. Aussi ne se comprenaient-ils guère.
Huit jours après, au même bal où elle avait trouvé Rodolphe… Louise rencontra un jeune homme blond, qui la fit danser plusieurs fois, et à la fin de la soirée il la reconduisit chez lui.
C'était un étudiant de seconde année, il parlait très-bien la prose du plaisir, avait de jolis yeux et le gousset sonore.
Louise lui demanda du papier et de l'encre, et écrivit à Rodolphe une lettre ainsi conçue:
«Ne conte plus sur moi du tout, je t'embrâse pour la dernière foi. Adieu.
«Louise.»
Comme Rodolphe lisait ce billet le soir en rentrant chez lui, sa lumière mourut tout à coup.
– Tiens, dit Rodolphe en manière de réflexion, c'est la bougie que j'ai allumée le soir où Louise est venue: elle devait finir avec notre liaison. Si j'avais su, je l'aurais choisie plus longue, ajouta-t-il avec un accent moitié dépit, moitié regret, et il déposa le billet de sa maîtresse dans un tiroir qu'il appelait quelquefois les catacombes de ses amours.
Un jour, étant chez Marcel, Rodolphe ramassa à terre, pour allumer sa pipe, un morceau de papier sur lequel il reconnut l'écriture et l'orthographe de Louise.
– J'ai, dit-il à son ami, un autographe de la même personne; seulement, il y a deux fautes de moins que dans le tien. Est-ce que cela ne prouve pas qu'elle m'aimait mieux que toi?
– Ça prouve que tu es un niais, lui répondit Marceclass="underline" les blanches épaules et les bras blancs n'ont pas besoin de savoir la grammaire.
IV ALI-RODOLPHE, OU LE TURC PAR NÉCESSITÉ
Frappé d'ostracisme par un propriétaire inhospitalier, Rodolphe vivait depuis quelque temps plus errant que les nuages, et perfectionnait de son mieux l'art de se coucher sans souper, ou de souper sans se coucher; son cuisinier l'appelait le hasard, et il logeait fréquemment à l'auberge de la Belle-Étoile.
Il y avait pourtant deux choses qui n'abandonnaient point Rodolphe au milieu de ces pénibles traverses, c'était sa bonne humeur, et le manuscrit du Vengeur, drame qui avait fait des stations dans tous les lieux dramatiques de Paris.
Un jour, Rodolphe, conduit au violon pour cause de chorégraphie trop macabre, se trouva nez à nez avec un oncle à lui, le sieur Monetti, poêlier-fumiste, sergent de la garde nationale, et que Rodolphe n'avait pas vu depuis une éternité.
Touché des malheurs de son neveu, l'oncle Monetti promit d'améliorer sa position, et nous allons voir comme, si le lecteur ne s'effraye pas d'une ascension de six étages.
Donc prenons la rampe et montons. Ouf! Cent vingt-cinq marches. Nous voici arrivés. Un pas de plus nous sommes dans la chambre, un autre nous n'y serions plus, c'est petit, mais c'est haut; au reste, bon air et belle vue.
Le mobilier se compose de plusieurs cheminées à la prussienne, de deux poêles, de fourneaux économiques, quand on n'y fait pas de feu surtout, d'une douzaine de tuyaux en terre rouge ou en tôle, et d'une foule d'appareils de chauffage; citons encore, pour clore l'inventaire, un hamac suspendu à deux clous fichés dans la muraille, une chaise de jardin amputée d'une jambe, un chandelier orné de sa bobêche, et divers autres objets d'art et de fantaisie.
Quant à la seconde pièce, le balcon, deux cyprès nains, mis en pots, la transforment en parc pour la belle saison.