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Pendant toute la nuit de la fête et tout le reste de la journée, Marcel, dont le cœur était un salpêtre qu'un seul regard allumait, s'était épris de Mademoiselle Musette, et lui avait fait une cour colorée, comme il disait à Rodolphe. Il avait été jusqu'à proposer à la belle fille de lui racheter un mobilier plus beau que l'ancien, avec le produit de la vente de son fameux tableau du Passage de la mer Rouge. aussi l'artiste voyait-il avec peine arriver le moment où il faudrait se séparer de Musette, qui, tout en se laissant baiser les mains, le cou et divers autres accessoires, se bornait à le repousser doucement toutes les fois qu'il voulait pénétrer dans son cœur avec effraction.

En arrivant à Paris, Rodolphe avait laissé son ami avec la jeune fille, qui pria l'artiste de l'accompagner jusqu'à sa porte.

– Me permettrez-vous de venir vous voir? demanda Marcel; je vous ferai votre portrait.

– Mon cher, dit la jolie fille, je ne peux pas vous donner mon adresse, puisque je n'en aurai peut-être plus demain; mais j'irai vous voir, et je vous raccommoderai votre habit qui a un trou si grand qu'on pourrait déménager au travers sans payer.

– Je vous attendrai comme le messie, dit Marcel.

– Pas si longtemps, dit Musette en riant.

– Quelle charmante fille! disait Marcel en s'en allant lentement; c'est la déesse de la gaieté. Je ferai deux trous à mon habit.

Il n'avait pas fait trente pas qu'il se sentit frapper sur l'épaule: c'était Mademoiselle Musette.

– Mon cher Monsieur Marcel, lui dit-elle, êtes-vous chevalier français?

– Je le suis: Rubens et ma dame, voilà ma devise.

– Eh bien, alors, voyez ma peine et y compatissez, noble sire, reprit Musette, qui était un peu teintée de littérature, bien qu'elle se livrât sur la grammaire à d'horribles Saint-Barthélemy; mon propriétaire a emporté la clef de mon appartement, et il est onze heures du soir: comprenez-vous?

– Je comprends, dit Marcel en offrant son bras à Musette. Il la conduisit à son atelier, situé quai aux fleurs.

Musette tombait de sommeil; mais elle eut encore assez de force pour dire à Marcel en lui serrant la main:

– Vous vous rappelerez ce que vous m'avez promis.

– Ô Musette! Charmante fille, dit l'artiste d'une voix un peu émue, vous êtes ici sous un toit hospitalier; dormez en paix, bonne nuit; moi, je m'en vais.

– Pourquoi? dit Musette, les yeux presque fermés; je n'ai point peur, je vous assure; d'abord il y a deux chambres, je me mettrai sur votre canapé.

– Mon canapé est trop dur pour y dormir, ce sont des cailloux cardés. Je vous donne l'hospitalité chez moi, et je vais aller la demander pour moi à un ami qui demeure là sur mon carré; c'est plus prudent, dit-il. Je tiens ordinairement ma parole; mais j'ai vingt-deux ans, et vous dix-huit, ô Musette… et je m'en vais. Bonsoir.

Le lendemain matin, à huit heures, Marcel rentra chez lui avec un pot de fleurs qu'il avait été acheter au marché. Il trouva Musette qui s'était jetée tout habillée sur le lit et dormait encore. Au bruit qu'il fit elle se réveilla et tendit la main à Marcel.

– Brave garçon! Lui dit-elle.

– Brave garçon, répéta Marcel, n'est-il point là un synonyme à ridicule?

– Oh! fit Musette, pourquoi me dites-vous cela? Ce n'est pas aimable; au lieu de me dire des méchancetés, offrez-moi donc ce joli pot de fleurs.

– C'est en effet à votre intention que je l'ai monté, dit Marcel. Prenez-le donc, et, en retour de mon hospitalité, chantez-moi une de vos jolies chansons; l'écho de ma mansarde gardera peut-être quelque chose de votre voix, et je vous entendrai encore quand vous serez partie.

– Ah çà! mais, vous voulez donc me mettre à la porte? dit Musette. Et si je ne veux pas m'en aller, moi? Écoutez, Marcel, je ne monte pas à trente-six échelles pour dire ma façon de penser. Vous me plaisez et je vous plais. Ça n'est pas de l'amour, mais c'en est peut-être de la graine. Eh bien! Je ne m'en vais pas; je reste, et je resterai ici tant que les fleurs que vous venez de me donner ne se faneront pas.

– Ah! s'écria Marcel, mais elles seront flétries dans deux jours! Si j'avais su, j'aurais pris des immortelles.

Depuis quinze jours Musette et Marcel demeuraient ensemble et menaient, bien qu'ils fussent souvent sans argent, la plus charmante vie du monde. Musette sentait pour l'artiste une tendresse qui n'avait rien de commun avec ses passions antérieures, et Marcel commençait à craindre qu'il ne fût amoureux sérieusement de sa maîtresse. Ignorant qu'elle-même redoutait fort d'être éprise de lui, il regardait chaque matin l'état dans lequel se trouvaient les fleurs dont la mort devait amener la rupture de leur liaison, et il avait grand'peine à s'expliquer leur fraîcheur chaque jour nouvelle. Mais il eut bientôt la clef du mystère: une nuit, en se réveillant, il ne trouva plus Musette à côté de lui. Il se leva, courut dans la chambre, et aperçut sa maîtresse qui profitait chaque nuit de son sommeil pour arroser les fleurs et les empêcher de mourir.

VII LES FLOTS DU PACTOLE

C'était le 19 mars… et dût-il atteindre l'âge avancé de M. Raoul-Rochette, qui a vu bâtir Ninive, Rodolphe n'oubliera jamais cette date, car ce fut ce jour-là même, jour de Saint-Joseph, à trois heures de relevée, que notre ami sortait de chez un banquier, où il venait de toucher une somme de cinq cents francs en espèces sonnantes et ayant cours.

Le premier usage que Rodolphe fit de cette tranche du Pérou, qui venait de tomber dans sa poche, fut de ne point payer ses dettes; attendu qu'il s'était juré à lui-même d'aller à l'économie et de ne faire aucun extra. Il avait d'ailleurs à ce sujet des idées extrêmement arrêtées, et disait qu'avant de songer au superflu, il fallait s'occuper du nécessaire; c'est pourquoi il ne paya point ses créanciers, et acheta une pipe turque, qu'il convoitait depuis longtemps.

Muni de cette emplette, il se dirigea vers la demeure de son ami Marcel, qui le logeait depuis quelque temps. En entrant dans l'atelier de l'artiste, les poches de Rodolphe carillonnaient comme un clocher de village le jour d'une grande fête. En entendant ce bruit inaccoutumé, Marcel pensa que c'était un de ses voisins, grand joueur à la baisse, qui passait en revue ses bénéfices d'agio, et il murmura:

– Voilà encore cet intrigant d'à côté qui recommence ses épigrammes. Si cela doit durer, je donnerai congé. Il n'y a pas moyen de travailler avec un pareil vacarme. Cela donne des idées de quitter l'état d'artiste pauvre pour se faire quarante voleurs. Et sans se douter le moins du monde que son ami Rodolphe était métamorphosé en Crésus, Marcel se remit à son tableau du Passage de la mer Rouge, qui était sur le chevalet depuis tantôt trois ans.

Rodolphe, qui n'avait pas encore dit un mot, ruminant tout bas une expérience qu'il allait faire sur son ami, se disait en lui-même:

– Nous allons bien rire tout à l'heure; ah! Que ça va donc être gai, mon Dieu! Et il laissa tomber une pièce de cinq francs à terre.

Marcel leva les yeux et regarda Rodolphe, qui était sérieux comme un article de la Revue des deux Mondes.

L'artiste ramassa la pièce avec un air très-satisfait et lui fit un très-gracieux accueil, car, bien que rapin, il savait vivre et était fort civil avec les étrangers. Sachant, du reste, que Rodolphe était sorti pour aller chercher de l'argent, Marcel, voyant que son ami avait réussi dans ses démarches, se borna à en admirer le résultat, sans lui demander à l'aide de quels moyens il avait été obtenu.

Il se remit donc sans mot dire à son travail, et acheva de noyer un égyptien dans les flots de la mer Rouge. Comme il accomplissait cet homicide, Rodolphe laissa tomber une seconde pièce de cinq francs. Et observant la figure que le peintre allait faire, il se mit à rire dans sa barbe, qui est tricolore, comme chacun sait.