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— Va aussi falloir la faire cracher. Où, comment a-t-elle connu Ramirez ? Les fréquentations, les trucs sataniques, le rapport au sang de Ramirez, tout. Pour le moment, elle est notre seul point d’entrée dans le monde complètement verrouillé de ce taré.

Nicolas jeta un œil à sa montre.

— L’autre va bientôt revenir de Dijon. Il tient à lui presser le jus. Je vais rester à ses côtés.

— Parfait. En ce qui me concerne, je dois faire un détour par la SPA avant que ça ferme. J’ai un chien à aller chercher.

Nicolas écarquilla les yeux.

— Un chien ? Celui qui a foutu en l’air ta chemise ? En ce moment ?

— Pourquoi, il y a un moment pour adopter un chien ?

— Non, mais…

— Ça fait longtemps que j’y pense. Ça fera plaisir aux mômes. Tu vas pouvoir te passer de moi cette nuit ? Avec le gamin qui a de la fièvre… Je me pointerai demain matin, à la première heure.

Nicolas planta une cigarette entre ses lèvres.

— Va falloir rebaptiser Jack. Je pensais à Pébacasi. Ça sonne féminin. Qu’est-ce que t’en penses ?

Franck lui tourna le dos et leva la main.

— Appelle-la comme tu veux. L’essentiel, c’est qu’on l’attrape.

— Franck ?

— Quoi ?

Nicolas serrait la poignée de porte du bureau de Manien.

— Ta réaction, tout à l’heure, je n’ai pas aimé. N’essaie plus jamais de m’empêcher de faire ce que j’ai à faire. Je sais mener un interrogatoire, et il n’y a pas si longtemps que ça, j’étais encore ton chef.

— Et encore avant, c’était moi, ton chef. Et n’oublie pas que t’es que numéro 2 du groupe.

Bellanger haussa les épaules.

— On s’en tape, de ces numéros.

— Peut-être, mais reste à ta place, ne la ramène pas, et un conseil : va ranger le bordel que t’as foutu dans le bureau de Manien si tu ne veux pas qu’il te vire pour de bon.

28

Lucie se tenait prostrée sur le canapé, les genoux sous le menton, lorsque Franck rentra aux alentours de 20 heures. Jules et Adrien, pas encore en pyjama, leur caisse de jouets renversée dans le salon, s’en donnaient à cœur joie devant l’indifférence de leur mère. Ils se figèrent lorsqu’une tornade à poils roux et blancs fonça dans leur direction et les renifla de haut en bas, avant de marquer son territoire au beau milieu du carrelage d’un jet d’urine. Franck se précipita pour nettoyer, devant les yeux hagards de Lucie.

— C’est normal au début. Il n’a que trois mois, il n’a jamais connu de foyer. Il va falloir lui apprendre la propreté. Mais l’employée de la SPA m’a dit que les épagneuls apprenaient vite. Et ils adorent les enfants.

Lucie se décrocha de son canapé, les mains plaquées sur le front.

— Mon Dieu, Franck, mais t’as pété un plomb ?

— Mais qu’est-ce que vous avez tous, avec ce chien ? Je ne pouvais pas le laisser en cage. Il est venu vers moi, c’était comme une évidence entre nous. Regarde.

Il montra les deux taches sur sa chemise. Fous de joie, les jumeaux poussaient de petits cris aigus et poursuivaient l’animal, qui explorait avec fougue tous les recoins de son nouveau foyer. Lucie secouait la tête.

— Non, non. Un chien, tu te rends compte ? On en prend pour dix ans minimum.

— Ce sera mieux que dix ans de taule.

Franck attrapa Lucie par le poignet et l’entraîna vers le canapé. Il s’assit à ses côtés.

— Qu’est-ce que tu veux ? Qu’on attende que le temps passe et qu’on crève sans rien faire ? Ce chien va casser nos habitudes, il le faut. Ça a surpris Nicolas, Robillard, et c’est tant mieux. Il prouve aux autres et à nous-mêmes qu’on continue à vivre en dépit de ce qui se passe autour de nous. Il met un masque sur nos visages. On ne peut pas être coupables et adopter un chien, tu vois ce que je veux dire ? Et puis, j’ai toujours eu des chiens quand j’étais môme. Les enfants vont l’adorer, ça leur fera du bien. Ils ressentent notre tension, ils sont stressés.

Les rires des jumeaux égayèrent la maison. Lucie poussa un soupir dans lequel Sharko put sentir tout le désespoir du monde.

— J’ai beau essayer, je n’y arrive pas. Je ne trouve pas la force d’être au bureau et de faire semblant à longueur de journée, à craindre chaque appel, à soutenir chaque regard, à voir mes collègues foncer droit dans le mur avec de fausses déductions. C’est comme… une trahison permanente. Quand le balisticien est venu et a commencé à parler de deux tirs possibles, j’ai cru que j’allais me liquéfier. C’était pareil quand je suis retournée à la cave avec Nicolas. L’impact était juste au-dessus de sa tête et, moi, je me revoyais au sol avec ce plastique sur mon visage…

Elle marqua un temps, le regard vide, au loin.

— … Si Nicolas l’avait découvert, cet impact, je ne sais pas comment j’aurais réagi. Même la nuit, j’ai peur… Peur qu’ils viennent sonner parce qu’ils ont découvert la vérité. Ils sont trop forts. Ils vont finir par…

Sharko lui attrapa les mains et les serra dans les siennes.

— Non, ils ne nous attraperont pas.

— Si. Tôt ou tard, c’est toujours comme ça que ça se termine, tu le sais. Les flics attrapent les coupables, dans les films et dans la vraie vie. Nicolas est comme un chien fou sur cette enquête, il en fait une affaire personnelle. Comment bâtir une vie, des projets, avec le fil d’un rasoir sous la gorge ?

Il suffisait qu’elle bascule, et tout serait fini. Le moment que Frank attendait depuis si longtemps était venu. Elle était prête à écouter les secrets enfouis dans le coffre de son esprit depuis des années.

— Tu te rappelles, quand je t’ai parlé des squelettes dans le placard ?

Elle acquiesça en silence.

— J’en ai, des squelettes, Lucie. J’en ai tellement qu’on ne peut plus fermer les portes qu’à gros coups de rangers. On peut dire que ça a vraiment commencé avec l’affaire du Syndrome E, même si je traînais déjà une batterie de casseroles… On se connaissait à peine. Toi venue du Nord, toute fragile, et moi, le gars de la Crim qui avait déjà tout vu. J’étais en Égypte quand c’est arrivé la première fois. Atef Abd el-Aal, que le type s’appelait…

Lucie essaya de se souvenir. Leur première affaire commune… Franck, parti au Caire pour les besoins de l’enquête.

— À un moment donné, ça s’est mal passé. Ce type m’avait assommé et attaché sur une chaise, dans une cabane en plein désert. Il était prêt à me tuer, comme Ramirez était prêt à te tuer.

— Tu… Tu n’en as jamais parlé.

— Ce n’était pas le genre de truc à raconter à un premier rencard. Quand… Quand j’ai réussi à me libérer, je l’ai poussé violemment et il s’est empalé sur une barre en fer. Mais il n’était pas mort. J’étais seul, isolé en plein désert, il devait faire quarante-cinq degrés. La chaleur peut rendre dingue, tu sais ? T’as le cerveau en surchauffe, le radiateur qui perce et, là, tu fais des choses que tu n’aurais jamais imaginées en temps ordinaire.

Il regarda ses mains, ses lourdes mains intransigeantes qui un jour avaient ôté la vie. À cet instant précis, il était là-bas, au milieu de cette mer de sable.

— C’était comme si… il me revenait de décider du sort de cette ordure qui avait commis les pires abominations. J’étais le juge et le flic, et personne ne pouvait décider à ma place. Je… Je ne pouvais pas le laisser vivre, pas après ce qu’il avait fait. Et puis, ce n’était pas comme s’il était en pleine forme, ce gars avait de bonnes chances d’y rester. Alors, j’ai précipité le destin. J’ai mis le feu à la cabane et je me suis enfui avec sa voiture. Je ne voulais pas seulement qu’il meure. Je voulais qu’il souffre.