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Sharko parcourut une à une les impressions couleur. Les miroirs cassés, les ampoules en miettes… Il existait là un rapport évident avec la lumière. Il se rappelait le miroir dans la cave de Ramirez, abîmé lui aussi. Un lien avec le satanisme ? Il se focalisa sur les photos du bureau de Willy. Livres empilés, des feuilles dans tous les coins, une décoration surchargée d’affiches de films, de figurines. Il les tendait au fur et à mesure à sa compagne.

— Je ne vois pas d’ordinateur…

— Willy avait un ordinateur portable, d’après le père. Plus pratique quand t’es scénariste. Aux dires du facteur, rien n’indiquait la présence de Willy dans la maison les jours précédant l’effraction. La dernière fois qu’il l’avait vu remontait à plusieurs semaines. Courrier qui s’accumulait, pas de voiture dans le garage, poubelles vides.

Sharko songea au trajet de Ramirez, cette nuit-là. Il avait tracé la route après son meurtre. Suite aux aveux de sa victime, devait-il récupérer un objet, un document, l’ordinateur ?

— Bref, une fois de retour en France, le père a essayé de joindre son fils sur son téléphone, en vain. Il a géré la paperasse, fait changer la porte et il est reparti pour des obligations professionnelles.

— Reparti ? Sans nouvelles de son fils ?

— Willy ne donnait plus signe de vie depuis des mois et ne répondait presque plus aux messages de ses parents ou alors, parfois, avec beaucoup de retard. C’est pour ça que, sur le coup, le père ne s’est pas inquiété. Ç’aurait pu s’arrêter là, mais ce père a rappelé les gendarmes il y a une semaine pour savoir où ils en étaient dans leurs recherches sur Willy Coulomb. Là, gros malentendu : aucune plainte n’ayant été déposée pour disparition inquiétante de personnes, eh bien, les gendarmes…

— … n’avaient pas bougé le petit doigt.

— Bingo. Personne ne recherchait Willy. Et si le père s’est soudain alarmé, c’est parce qu’il venait de recevoir l’appel d’une certaine Juliette Delormaux, qui voulait elle-même savoir si ce père avait eu des nouvelles de Willy. Vous me suivez ?

Sharko se gratta la tempe droite, l’œil sur les gribouillis et les flèches sur le carnet de son collègue. Lucie acquiesça.

— À peu près. Pour résumer, une effraction, un fils qui habite la maison de ses parents mais pas toujours à cause de son boulot, une absence qui n’inquiète personne, tout au moins au début… Et cette Juliette, qui est-elle ?

— Une amie, une petite amie, je ne sais pas. Elle aurait connu Willy il y a longtemps lors d’un stage de formation au métier de réalisateur dans une école de cinéma de la Seine-Saint-Denis. Je n’en sais pas beaucoup plus.

Sharko écrasa son index sur un numéro de téléphone portable.

— C’est le numéro de la fille ?

Levallois confirma. Franck le récupéra puis fixa Lucie.

— Vois avec Manien, qu’il se charge de prévenir les gendarmes de Dijon sur l’identité du corps du château d’eau et alerte le père pour qu’il rentre en France. Et j’aimerais qu’on fasse fouiller son bureau de fond en comble. Tu peux suivre ça ?

— C’est comme si c’était fait.

— Parfait. Jacques, j’aimerais que tu te rencardes sur la boîte SM, le B&D Bar, c’est là que Mayeur et Ramirez se sont rencontrés et que ce… Willy Coulomb a pénétré le milieu des satanistes, je pense. Moi, je m’occupe de la fille.

32

— Franck ? C’est Chénaix. Je t’appelle suite au message que Bellanger m’a laissé cette nuit concernant les sangsues.

Sharko venait de doubler le Stade de France, direction la Cité du cinéma à Saint-Denis. Les studios de Luc Besson. Une heure plus tôt, il avait laissé un message sur le portable de Juliette Delormaux, et elle l’avait rappelé un quart d’heure plus tard. Ils s’étaient donné rendez-vous dans les studios. Sharko avait juste dit vouloir lui parler au sujet de Willy sans lui délivrer davantage d’informations.

— Je roule, mais je t’écoute.

— Tu te rappelles, les croûtes sur les genoux quand on était mômes ? C’est ce qu’on appelle la coagulation. Dès qu’il est au contact de l’air libre, le sang perd sa fluidité à cause des plaquettes qui se collent les unes aux autres, et il durcit en quelques minutes. Système de protection très efficace contre les hémorragies. Sauf si le sang contient un anticoagulant…

Bruit de mastication. Chénaix devait en profiter pour casser la croûte.

— Merci pour le cours. Et ?

— Les sangsues produisent de l’hirudine, l’un des anticoagulants les plus puissants au monde. Elles la sécrètent naturellement lorsqu’elles se fixent sur la peau, sinon elles ne pourraient pas se nourrir. Quelques gouttes de leur salive suffisent à fluidifier des litres de sang.

— C’est donc pour ça que Ramirez les élevait ? Pour l’hirudine ?

— On peut le supposer. Tu les stimules, tu récupères leur salive, et le tour est joué. Certaines entreprises pharmaceutiques ont des élevages, ça s’appelle l’hirudiniculture.

— Et pour les stimuler, il faut les nourrir. D’où les chats, qui servaient de réservoirs à sang.

— Exactement. Et vu le nombre de sangsues et de chats que vous avez retrouvés dans son jardin, il devait récupérer de belles quantités d’hirudine, et pas depuis hier. De quoi liquéfier des dizaines de litres de sang. Ce type ne jouait pas dans l’équipe amateur, si tu vois ce que je veux dire.

Des dizaines de litres… Sharko essaya d’imaginer la scène : Ramirez, dans sa cave, armé de son scalpel et de ses fioles, arrachant les sangsues à leurs malheureuses proies pour prélever avec soin leur salive et la stocker dans des récipients. Et ce depuis des mois, des années. Avait-il commencé à agir à la naissance du clan ? Une autre connexion se fit dans son esprit.

— Sans hirudine, Ramirez n’aurait pas pu prélever le sang de Willy Coulomb, c’est ça ?

— Qui est Willy Coulomb ?

— La victime du château d’eau, on l’a identifiée ce matin.

— C’est ça. Enfin, à peu près. Disons qu’il aurait pu le prélever, mais pas le stocker ni l’ingérer plus tard. Sans anticoagulant, le sang se serait très vite collé au récipient comme du ciment. J’ai lu le rapport médico-légal de Coulomb, donc, et le schéma de l’ensemble me semble évident : tu vides d’un côté, et tu remplis directement des poches contenant un peu d’hirudine de l’autre. Ça te permet de stocker le sang sans qu’il se dégrade.

Sharko ralentit et se gara sur le bas-côté. Il avait en tête ce que lui avait raconté Lucie au sujet du syndrome de Renfield et la soif de sang de Ramirez, mais il voulait l’avis du légiste.

— Tu sais pourquoi il avait ce besoin d’ingérer du sang ?

— Un rapport avec ses convictions satanistes ? Parce qu’il aimait ça ? Certains sont accros à son goût et s’en boivent un verre de temps en temps comme toi tu bois un verre de rouge. En fait, il y a tout un tas de raisons qui expliquent l’ingestion de sang. Ça va du fétichisme pur au vampirisme, en passant par des pathologies d’ordre psychiatrique…

Sharko se rappelait les destins sordides d’une catégorie bien précise de tueurs en série qui buvaient le sang chaud de leurs victimes. Richard Chase, Peter Kürten, de véritables vampires. Après son propre sang et celui des animaux, Ramirez avait-il éprouvé le besoin de boire du sang humain ? Un malade sanguinaire ? Comme disait le légiste, un vampire des temps modernes ?

— Je n’ai pas encore fini, Franck. J’ai observé attentivement les photos du corps de Coulomb, il y a autre chose qui m’a frappé : la manière dont Ramirez a procédé pour prélever le sang de sa victime. Il n’a rien laissé au hasard.