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— … L’un de mes confrères est féru d’art contemporain, poursuivit le psychiatre. C’est lui qui a introduit les tableaux de Mev dans le circuit, voilà sept ou huit ans. Ça a plutôt bien fonctionné, il y a des amateurs qui achètent les œuvres, d’autant plus que le sang de Mev, lorsqu’elle avait encore ses règles, n’était pas commun. Elle est du groupe sanguin Bombay. Un groupe très rare.

Sharko n’en avait jamais entendu parler, et vu la réaction de Nicolas, lui non plus.

— Mev est heureuse que ses tableaux sortent d’ici. Elle se fiche de l’argent. Plus ses tableaux se répandront dans la population, plus ils pourront gagner du territoire sur les coulées, vous comprenez ?

Logique de schizophrène. Les flics acquiescèrent. Nicolas lui montra une photo de Willy Coulomb.

— Lui aussi était un amateur de ses œuvres ?

— Il est venu, en effet, mais « amateur » n’est pas le terme exact. Il voulait comprendre le sens des tableaux : pourquoi ces individus étaient-ils dénués de peur ? Il était comme vous, très curieux, et posait tout un tas de questions sur les origines de Mev, le fait qu’elle peigne des scènes de jungle avec son sang menstruel. Je lui ai plus ou moins révélé la même chose qu’à vous.

— Quand était-ce ?

— Fin juillet. La dernière semaine, le 30 ou le 31, je ne sais plus.

— Et savez-vous comment il est arrivé jusqu’ici ? Comment il a appris l’existence de Mev, de ses tableaux ?

— Non. Par la presse ? Mev a eu au fil des années beaucoup d’articles, dont certains aux titres parfois un peu racoleurs.

Sharko réfléchit. Grâce à la presse, Coulomb avait sans doute fait le lien entre le prénom de cette femme et le « Mev  » gravé sur sa plante de pied lors de la séance de tatouage. Ou alors, il avait été mis au courant par Ramirez ? Que savait-il réellement en débarquant ici ?

— … Il a insisté pour lui parler, je lui ai dit qu’elle n’échangerait pas un mot avec lui, mais je ne me suis pas opposé à la rencontre. Il était très habile, il la flattait, la félicitait. Mev appréciait vraiment, même si elle ne desserrait pas les lèvres. Il lui a même proposé de lui acheter des tableaux. Puis il a posé une question qui a tout fait dégénérer. Mev lui aurait transpercé la main avec un crayon s’il n’avait pas eu le réflexe de la retirer. Les infirmiers ont dû intervenir, elle a sombré en pleine crise psychotique. Vous avez vu son gabarit ? Elle a failli envoyer deux hommes à l’hôpital.

— Quelle était cette question ? demanda Franck.

— « Quel est le secret du sang ? »

Le secret du sang… Nicolas et Franck se trouvaient confrontés, semblait-il, à un gros nœud de leur affaire. Sharko gardait les yeux rivés sur les tableaux. Il se rappelait les propos de la bio-artiste, quand elle parlait d’Ovide, des métamorphoses, du sang vecteur d’immortalité. Était-ce de ce genre de secret qu’il s’agissait ?

— Vous avez une idée de la réponse ?

— Pas la moindre.

— Et vous pensez que Mev la connaît ?

— Le sang la terrorise depuis des années. Est-ce la simple évocation du mot entre des lèvres étrangères qui a provoqué la crise ? En l’état actuel des choses, il n’y a pas moyen de le savoir. Je suis désolé.

«  Quel est le secret du sang ?  » Pour Sharko, le sang était à l’origine du traumatisme de Mev. Quel drame l’avait frappée dans sa petite enfance ? Avait-elle été abandonnée au milieu de la forêt ? Recueillie par une tribu anthropophage ? Comment avait-elle survécu ? Seul Roland Duruel devait le savoir, or il était mort. Franck tendit au psychiatre une photo de la croix tatouée.

— Est-ce que vous avez déjà vu cette croix ? Cette citation ?

Il considéra le cliché avec attention et secoua la tête.

— « Pray Mev  »… Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Nous l’ignorons. C’est pourquoi nous aimerions que vous montriez cette photo à Mev. Ces treize corps, vous en avez certainement entendu parler à la radio ?

— Bien sûr. C’est affreux.

— Eh bien, l’assassin avait cette croix sous le pied. Et Willy Coulomb aussi quand il est venu ici. Une croix sataniste car inversée. On pense qu’il y a peut-être une histoire de secte vénérant le diable, ou quelque chose d’approchant. On a l’impression que, indirectement, Mev est concernée.

— Une secte ? Je ne comprends pas, et je ne vois pas en quoi elle pourrait être concernée. Ça fait plus de dix ans que Mev n’a pas quitté cet établissement. Jamais une visite, rien. Avant, elle vivait dans une ferme paumée, sans contact extérieur. Comment son… son identité peut-elle se retrouver sous le pied d’un assassin ? Comment pourrait-elle avoir un rapport quelconque avec… avec des adorateurs de Satan ou je ne sais quoi ? Ce « Mev », ce n’est pas elle. Vous faites fausse route.

— Non. Willy Coulomb s’est lui aussi fait assassiner, sans doute parce qu’il s’approchait trop près de la vérité. Son assassin a récupéré les tableaux de Mev pour effacer toutes les traces du passage de Coulomb dans vos murs. Il y a un rapport très fort avec le sang dans notre enquête, mais on n’arrive pas à comprendre lequel. Et, selon toute vraisemblance, Coulomb cherchait lui aussi ce lien. On doit savoir si ce tatouage a une signification pour elle, c’est très important.

Après réflexion, Cataluna céda.

— Très bien.

Ils retournèrent vers la salle de thérapie par l’art.

— Restez là. Ça pourrait la braquer si vous vous approchez.

Le psychiatre prévint un infirmier d’être vigilant, s’avança et s’installa en face de Mev Duruel, qui leva un sourcil avant de commencer une nouvelle grille de sudoku. Sharko vit le médecin murmurer du bout des lèvres, ce qui suscita l’attention de sa patiente. Puis il fit glisser la photo vers elle. Elle la scruta en détail. Le flic comprit que ce tatouage, cette citation ne lui disaient absolument rien. Elle repoussa le cliché vers le psychiatre et se replongea dans sa grille.

Michel Cataluna revint vers les flics et rendit la photo à Sharko.

— Je suis désolé.

— Je suppose que si on veut accéder à son dossier médical…

— … ce sera long et fastidieux, même si j’y mets la meilleure volonté du monde.

Sharko lui donna une carte de visite, lui signifiant que ses collègues ou lui auraient d’autres questions à lui poser. Les deux hommes le remercièrent et reprirent la route, sur leur faim : cette piste n’avait fait qu’épaissir le mystère. Nicolas démarrait à peine que le portable professionnel de Sharko sonna. Les services informatiques…

— Lieutenant Sharko ? Hector Jeanlain, de la Cyber. On a réussi à cracker le mot de passe permettant l’accès au serveur distant dont vous nous avez fourni l’adresse.

Le compte de sauvegarde de Willy Coulomb… Sharko avait presque oublié.

— Je vous écoute.

— Le dernier accès au serveur a eu lieu le 1er septembre, à 8 h 32. Malheureusement, tout a été effacé. Plus aucun fichier, rien.

Nicolas avait entendu. Il tapa sur son volant d’un geste nerveux. Il était évident que Ramirez avait réussi à soutirer des aveux à Coulomb sous la torture, et qu’il avait effacé toutes ses recherches et ses notes dans la foulée.

— Bon, répliqua Sharko. Et on ne peut plus rien faire, j’imagine ?