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— Je vous en prie… Vous avez interrogé les familles, vous avez peut-être encore votre documentation de tout ça ? Je sais que c’est loin, mais ces personnes atteintes sont forcément allées dans un centre particulier qui les a contaminées. J’ai besoin du nom de ce centre.

Malmaison marqua une longue hésitation. Sharko le sentait titillé par l’envie de savoir s’il ne s’agissait pas juste d’une histoire de petits-gris. L’ancien journaliste finit par acquiescer.

— Très bien. Toutes mes archives sont là-haut. Des articles de journaux d’époque sur les accidents, des témoignages écrits et signés de proches des victimes, les enregistrements audio de mes interviews. Je vais m’y replonger, passer quelques coups de fil et essayer de joindre Alexander Wallace. Laissez-moi la journée. Mais, après si longtemps, je ne vous garantis rien.

Sharko le remercia chaleureusement, le type était tout compte fait d’une sympathie appréciable et d’une aide précieuse. Il lui donna ses coordonnées et sortit.

Une fois dehors, la question posée par Willy Coulomb à Mev Duruel battait dans ses tempes : « Quel est le secret du sang ? » Il acquit alors une certitude : le sang reliait Carole Mourtier, l’accidenté à la main coupée et le plongeur du bassin aux requins. Un appel de Lucie le sortit alors de ses pensées.

— Je suis encore à la maison, viens vite, j’ai découvert quelque chose. Je crois que j’ai compris pourquoi on leur vole le sang.

69

Il avait retrouvé Lucie assise devant son ordinateur. Janus aboyait joyeusement et voulait jouer. Sharko lui lança une balle de tennis pour se débarrasser de lui, mais mauvaise idée : le chien revenait toujours, la balle dans la gueule. Il fit mine de la projeter vers le couloir et la cacha dans sa poche. L’animal finit par abandonner et retrouva son calme.

Quand Franck fut concentré, et avant d’entrer dans le vif du sujet, Lucie lui demanda des détails sur sa rencontre avec Malmaison. Il lui expliqua ses découvertes. Le grand pays vampyre, les déclassés qui vendaient leur sang pour survivre, la possibilité d’un microbe qu’ils auraient tous attrapé dans un centre de collecte en particulier. Lucie emmagasina ces informations, puis désigna l’écran où l’on voyait un homme au regard transperçant et au visage pâle, habillé avec élégance, smoking, cape noire.

— Après ton voyage au Mexique, c’est un voyage dans le temps que je te propose.

— C’est pour me montrer Dracula que tu m’as fait revenir ici ?

— Qu’est-ce que tu connais des vampires ? Ceux de fiction, je veux dire.

— La même chose que tout le monde. Mais on n’est pas dans la fiction et…

— Pour la plupart des passionnés de vampires, le mythe serait arrivé des Balkans en Europe occidentale il y a plus de trois cents ans, avec, à l’origine, Vlad Tepes, appelé l’Empaleur ou Drăculea, « le fils du diable » en roumain. Un sympathique prince de Roumanie sanguinaire qui ferait passer Ted Bundy pour un enfant de chœur. Je te donne un petit exemple de sa cruauté : un jour, pour punir des émissaires turcs de ne pas s’être découverts en sa présence, il a ordonné que leur turban soit cloué sur leur crâne.

Elle afficha une gravure allemande de 1499, qui montrait le prince Vlad Tepes en train de festoyer sur une table placée au milieu de trente mille cadavres empalés, à perte de vue.

— Ça, c’est ce qu’il faisait à ses ennemis après les avoir vaincus. Une vraie fascination pour la cruauté et le sang, dont il aimait se nourrir. Un moyen d’absorber ses victimes, en quelque sorte, et d’imposer la peur et le respect. On raconte que c’est lui qui aurait inspiré Bram Stoker pour créer son personnage de vampire romantique, le comte Dracula.

Elle revint sur la photo précédente.

— Dracula… Un bel homme issu de l’aristocratie, dégageant une vraie classe, et inspirant par la suite de nombreux cinéastes et romanciers. L’image du vampire élégant s’est glissée dans la culture populaire, mais derrière l’élégance, il ne faut pas oublier l’innommable. Le vampire est un non-mort, un monstre rejeté de Dieu qui ne trouvera jamais le repos, condamné à vivre seul, à ne jamais sortir le jour et à boire le sang de ses victimes. Un vrai paria, en réalité, animé par une grande haine envers la race humaine tout entière.

Elle cliqua sur un autre onglet et dévoila une nouvelle page où l’on voyait un miroir, un crucifix, une gousse d’ail… Franck poussa un soupir.

— Attends un peu avant de souffler. La mythologie raconte que le vampire ne peut voir son reflet dans le miroir. Tu te rappelles, les miroirs cassés ? Celui dans la cave de Ramirez ? Chez Mayeur ? Dans la maison de Willy Coulomb ?

— Lucie… C’est juste le délire d’un malade qui se prend pour un vampire, mais il n’en est pas un.

— C’est là que tu te trompes, enfin, en partie. Je pense que notre diable glouton, le monstre que décrit Victoire, brise tous les miroirs qu’il croise parce qu’il ne supporte pas de se regarder dans une glace. Il rejette son apparence physique. Lui-même, peut-être, se considère comme un monstre, se sent comme un rejeté de Dieu, alors, à son tour, il le rejette, d’où le symbole de son clan : la croix chrétienne inversée. Le repli vers Satan. Quant aux ampoules brisées, je pense que ce n’est pas du pipeau. Notre homme est peut-être ultrasensible à la lumière, à un niveau pathologique qui met sa santé en danger. Une maladie, Franck, une maladie, c’est ça, la raison.

Autre onglet. Cette fois, la page Internet exposait une galerie de vampires de fiction monstrueux, aux visages déformés, effroyables, tous livides. Les bouches s’ouvraient immenses, de certaines jaillissaient des dentures semblables à celles des requins. Lucie cliqua sur l’une d’elles et agrandit l’une des célèbres photos en noir et blanc de Nosferatu, le vampire du film muet allemand de 1922. Le monstre de Friedrich Wilhelm Murnau était penché au-dessus d’un corps endormi et s’apprêtait à le mordre.

— Nosferatu est celui qui ressemble le plus à la description faite par Victoire Payet, elle a d’ailleurs pensé à lui en décrivant notre monstre, sans le citer. Le crâne déformé, les grandes oreilles, les yeux cernés de noir, et cette abominable denture. On est plus proche d’un type qui ne serait jamais allé chez le dentiste de sa vie que de la mâchoire parfaite de Dracula… Alors, pourquoi cette catégorie de monstres existe-t-elle, en opposition à l’élégant Dracula ?

— Le mythe aurait une autre origine ?

— Exactement.

Lucie afficha une dernière page. La photo couleur poussa Franck à plisser la bouche. Face à lui, un Nosferatu moderne, habillé d’un jean neige et d’un pull en laine. Des mains velues, des phalanges décharnées, des lèvres retroussées et sèches, des dents immenses qui semblaient avoir poussé dans le mauvais sens. L’impression qu’un masque d’horreur recouvrait un vrai visage. Le type avait été photographié dans une chambre d’hôpital.

— Celui-là ne vient pas du cinéma et est bien réel. Il s’appelait Hubert Taillefer, décédé en 2005. Atteint d’une maladie appelée la porphyrie érythropoïétique congénitale, ou maladie de Günther. Il s’agit d’une pathologie grave d’origine génétique. À ce que j’ai compris, cette maladie crée des quantités trop importantes d’une molécule, la… porphyrine, qui est impliquée dans la constitution de l’hémoglobine.

— Le sang…

— Le sang, oui, on y est. Il y a plusieurs formes de la maladie, des degrés de gravité différents, elle est peu documentée car trop rare. D’après ce que j’ai relevé, elle se déclenche souvent durant l’enfance, mais ce n’est pas systématique ; j’ai l’exemple ici d’un homme qui l’a contractée à 55 ans. Dans tous les cas, elle peut entraîner une sensibilité extrême à la lumière, voire une allergie qui provoque des brûlures sur les parties exposées à des sources lumineuses. Ça contraint les personnes atteintes à sortir la nuit.