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Il finit par avaler la boule qui lui bloquait la gorge et tourna la page. Il y avait un autre article de Josh Brannigar, daté du début de 1967. Jack n’en lut que la manchette :

UN HÔTEL DE TRISTE RENOMMÉE VENDU À LA SUITE DE L’ASSASSINAT D’UN GANGSTER

Les pages suivantes étaient vierges.

Ils ont emporté ses couilles avec eux.

Puis il feuilleta les pages à rebours jusqu’au début, cherchant un nom, une adresse, un numéro de chambre même — car il était pratiquement certain que cet album avait été tenu par un client de l’hôtel. Mais il ne trouva rien.

Il s’apprêtait à revoir toutes les coupures, de plus près cette fois, quand une voix l’appela dans l’escalier :

— Jack ? Chéri ?

Wendy.

Il tressaillit d’un air presque coupable, comme s’il avait bu en cachette et qu’elle allait pouvoir détecter l’odeur de l’alcool sur lui. C’était ridicule. Il se frotta les lèvres de sa main et lui cria :

— Ouais, princesse. Je cherche les rats.

Elle allait venir : il l’entendit descendre l’escalier et traverser la chaufferie. Prestement, sans réfléchir à ce qu’il faisait, il fourra l’album sous une liasse de factures et de reçus. À peine s’était-il redressé qu’elle franchissait le passage voûté.

— Qu’est-ce que tu fabriques ici ? Il est presque trois heures.

Il sourit.

— C’est si tard que ça ? Je me suis mis à fureter dans tous ces vieux papiers. J’espérais découvrir la cachette où ils enterraient leurs cadavres.

Il trouva que ces mots sonnaient faux.

Elle s’approcha davantage, les yeux braqués sur lui, et il fit involontairement un pas en arrière. Il savait ce qu’elle faisait ; elle essayait de flairer sur lui l’odeur de l’alcool. Elle ne se rendait probablement pas compte qu’elle le soupçonnait, mais lui le sentait bien. Et ça le mettait hors de lui.

— Ta bouche saigne, dit-elle sur un ton curieusement indifférent.

— Hein ?

Il porta sa main à ses lèvres et, y sentant la brûlure d’une petite plaie, la retira aussitôt. La vue de la tache de sang sur son index ne fit qu’accroître son sentiment de culpabilité.

— Tu as recommencé à te frotter la bouche, dit-elle.

Il baissa les yeux et haussa les épaules.

— Ouais, on dirait.

— Ça a dû être un enfer pour toi, n’est-ce pas ?

— Non, pas vraiment.

— Est-ce que tu souffres moins à présent ?

Il leva les yeux sur elle et se força à faire un premier pas dans sa direction. Ses pieds se mirent à avancer : le plus dur était fait. Arrivé à côté de Wendy, il glissa son bras autour de sa taille. Repoussant une mèche de ses cheveux blonds, il lui embrassa le cou.

— Oui, dit-il. Où est Danny ?

— Oh ! il traîne quelque part dans les parages. Le temps est en train de se couvrir. Tu as faim ?

Avec une lubricité feinte, il glissa sa main le long de ses fesses moulées dans le jean étroit.

— Faim de ça, oui.

— Attention, mon vieux. Ne te lance pas dans une affaire que tu ne pourras pas terminer.

— En affaires je suis plutôt prudent, princesse. Mais celle-là, c’est du solide, dit-il, continuant de lui masser les fesses. J’ai bien envie de placer mon capital là-dedans.

Au moment de s’engager dans le passage voûté, il jeta un dernier coup d’œil au carton dans lequel il avait caché l’album.

(Mais à qui appartenait-il ?)

Sans lumière, le carton n’était plus qu’une ombre. Il se sentit pourtant soulagé d’avoir éloigné Wendy. Son désir se fit plus vrai, moins joué, tandis qu’ils s’avançaient vers l’escalier.

— On verra, dit-elle. Après qu’on t’aura fait un sandwich… aïe ! (Elle se dégagea de son étreinte, riant aux éclats.) Tu me chatouilles !

— Ce n’est rien, princesse, à côté des papouilles que Jack Torrance va te faire.

— Bas les pattes, satyre. Que dirais-tu d’un sandwich au jambon et au fromage… pour commencer ?

Ils montèrent l’escalier ensemble, et Jack ne regarda plus en arrière. Mais il se rappela les paroles de Watson :

« Tout grand hôtel a son fantôme. Pourquoi ? Que voulez-vous, les gens vont et viennent… »

Puis Wendy referma derrière eux la porte du sous-sol qui retourna à ses ténèbres.

19.

DEVANT LA PORTE DE LA CHAMBRE 217

Danny se rappelait les paroles d’un autre employé de l’hôtel :

« Elle prétendait avoir vu quelque chose dans une des chambres…, il s’y était passé quelque chose de… moche. C’était la chambre 217 et je veux que tu me promettes de ne jamais y mettre le nez… Tu fais comme si elle n’existait pas… »

C’était une porte tout à fait ordinaire, identique aux autres portes des deux premiers étages. Elle se trouvait au milieu du petit couloir qui partait à angle droit du couloir principal du deuxième étage. Les chiffres sur la porte ressemblaient à ceux de leur appartement à Boulder. Il y avait un 2, un 1 et un 7. La belle affaire. En dessous du numéro, la porte était percée d’un minuscule trou vitré. Danny savait par expérience que c’était un judas. De l’intérieur on avait une vue très évasée du couloir, mais de l’extérieur, on avait beau cligner des yeux, on ne voyait rien. C’était de la triche.

(Mais que diable fais-tu là ?)

Après leur promenade derrière l’hôtel, sa mère et lui étaient rentrés déjeuner. Elle lui avait préparé son repas préféré, un sandwich au fromage et au saucisson et une soupe aux haricots Campbell’s. Ils avaient déjeuné dans la cuisine de Dick, tout en bavardant et en écoutant à la radio une musique grêle et grésillante qui leur parvenait de l’émetteur d’Estes Park. De l’avis de Danny, la cuisine était l’endroit le plus agréable de l’hôtel. Ses parents devaient sans doute partager cette opinion puisqu’ils avaient fini par opter pour elle après avoir essayé, au début, de prendre leurs repas dans la salle à manger.

Maman avait laissé la moitié de son sandwich et n’avait pas touché à sa soupe. Elle avait dit que Papa ne devait pas être bien loin puisque la Volkswagen et la camionnette se trouvaient toutes deux dans le parking. Elle avait ajouté qu’elle se sentait fatiguée et que, s’il croyait pouvoir s’amuser tout seul sans faire de bêtises, elle irait volontiers s’étendre pendant une heure ou deux. La bouche pleine de fromage et de saucisson, Danny avait répondu qu’il pensait pouvoir trouver à s’occuper.

— Pourquoi est-ce que tu ne vas pas t’amuser au terrain de jeux ? lui demanda-t-elle. Je pensais que tu t’y plairais beaucoup, que tu y passerais des heures à jouer avec tes camions dans le bac à sable.

Il avala, mais la nourriture, devenue une boule dure et sèche, passa difficilement.

— Ça viendra peut-être, répondit-il en se tournant vers la radio dont il se mit à tripoter les boutons.

— Et tous ces beaux animaux de buis taillé, dit-elle en enlevant son assiette vide, il va falloir que ton père les tonde bientôt.

— Ouais, dit-il.

(J’ai vu de vilaines choses… une fois c’était ces maudits buis taillés…)

— Si tu vois ton père, dis-lui que je suis montée m’étendre.

— D’accord, ’man.