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— Oh ! mon Dieu ! gémit Jack.

Wendy avait blêmi, ses lèvres étaient devenues presque grises.

— Cet hôtel, dit Jack, a été la propriété pendant un certain temps des gens de la Mafia de Las Vegas.

— Des gangsters ? demanda Danny.

— Oui, des gangsters. (Il regarda Wendy.) En 1966, un des caïds du milieu, un certain Vito Gienelli, a été assassiné ici avec ses deux gardes du corps. Un journal a publié une photo de la scène qui correspond tout à fait à la description de Danny.

— Mr Hallorann m’a dit qu’une fois il avait vu des choses bizarres dans le parc aux buis. Une autre fois, c’était dans la chambre 217. C’est une des femmes de ménage qui s’en est aperçue la première et elle a été renvoyée parce qu’elle en avait parlé. Mr Hallorann est monté dans cette chambre et il a vu quelque chose, lui aussi, mais il n’en pas parlé parce qu’il ne voulait pas perdre sa place. Mais il m’en a parlé à moi et il m’a dit de ne jamais y aller. Mais je l’ai fait quand même. Il m’avait dit qu’il n’y avait rien à craindre ici, que les visions que j’avais n’étaient pas plus dangereuses que les images dans un livre, et je l’ai cru.

Danny avait prononcé cette dernière phrase d’une voix à peine audible, en se tâtant les boursouflures sur son cou.

— Il avait vu quelque chose dans le parc aux buis ? demanda Jack d’une voix faussement naturelle.

— Je ne sais pas. Il a mentionné les animaux en buis taillé, c’est tout.

Jack sursauta, et Wendy l’interrogea du regard.

— Tu y a vu quelque chose, toi aussi, Jack ?

— Non, répondit-il. Rien.

Danny le regarda à son tour.

— Rien, répéta-t-il, plus calmement.

Et c’était parfaitement vrai. Il avait été victime d’une hallucination, un point c’est tout.

— Danny, il faut nous parler de la femme, dit Wendy doucement.

Alors un torrent de paroles se mit à jaillir pêle-mêle de la bouche de Danny. Dans sa hâte à en finir, il devenait presque incohérent. Au fur et à mesure que le récit avançait, il se serrait de plus en plus contre la poitrine de sa mère.

— Je suis entré dans la chambre, commença-t-il. J’avais pris le passe-partout et je suis entré. C’était plus fort que moi. Il fallait que je sache. Et elle…, la femme…, elle était dans la baignoire. Morte et tout enflée. Elle était n… n… elle ne portait rien. (Il regarda sa mère d’un air malheureux.) Alors elle s’est dressée et elle a voulu me prendre. Je sentais bien que c’est ça qu’elle voulait. Elle ne pensait pas vraiment, pas comme Papa et toi vous pensez. Elle avait des pensées noires, des pensées qui voulaient faire mal comme les guêpes dans ma chambre !

Il avala sa salive et il y eut un court silence pendant qu’ils se remettaient du choc provoqué par la comparaison avec les guêpes.

— Alors je me suis sauvé, dit Danny, j’ai couru à la porte, mais elle était fermée. Je l’avais pourtant laissée ouverte. Je n’ai pas pensé à la rouvrir, j’avais trop peur. Alors je me suis appuyé contre la porte, j’ai fermé les yeux et j’ai pensé à ce qu’avait dit Mr Hallorann, que ces visions ne pouvaient pas me faire de mal, qu’elles étaient comme des images dans un livre. Je me suis dit que si je répétais sans cesse « Vous n’êtes pas là, vous n’êtes pas là… », elle finirait par s’en aller. Mais ça n’a pas marché.

Sa voix se fit aiguë, hystérique :

— Elle m’a attrapé, elle m’a forcé à la regarder… Je pouvais voir ses yeux…, ils étaient tout petits…, puis elle a commencé à m’étrangler… Je pouvais la sentir… Elle sentait la mort…

— Chut, ça suffit maintenant, dit Wendy, effrayée. Arrête, Danny. Ça suffit comme ça. C’est…

Elle s’apprêtait à le câliner de nouveau. Les câlineries de Wendy Torrance, pensa Jack, remède miracle dont elle garde jalousement l’exclusivité.

— Laisse-le finir, dit Jack sèchement.

— Il n’y a plus rien à raconter, dit Danny. Je me suis évanoui, peut-être parce qu’elle m’étranglait, peut-être parce que j’avais peur. Quand j’ai repris connaissance, je rêvais que vous vous disputiez tous les deux à cause de moi et que Papa voulait recommencer à Faire le Vilain. Puis tout à coup j’ai compris que ce n’était pas un rêve et que j’étais éveillé… et j’ai fait pipi dans ma culotte. Comme un bébé, j’ai fait pipi dans ma culotte.

Il renversa sa tête en arrière contre le pull de Wendy, puis, complètement épuisé, il s’abandonna aux larmes.

Jack se leva.

— Occupe-toi de lui.

— Où vas-tu ?

Son regard était terrorisé.

— Je vais monter dans cette chambre. Que croyais-tu que j’allais faire ? Boire une tasse de café ?

— Non ! Je t’en prie, Jack, n’y va pas !

— Wendy, s’il y a quelqu’un d’autre dans cet hôtel, il faut le savoir.

— Je t’interdis de nous laisser seuls ! hurla-t-elle avec une telle force qu’elle en postillonna.

— Wendy, c’est une imitation remarquable de ta mère que tu fais là, répliqua Jack.

Elle éclata en sanglots. Elle aurait voulu se cacher le visage dans les mains, mais la présence de Danny sur ses genoux l’en empêcha.

— Je suis désolé, dit Jack. Mais je dois le faire. Après tout, je suis le gardien. Je ne fais que mon travail.

Ses pleurs redoublèrent et il la laissa. S’essuyant la bouche de son mouchoir, il referma derrière lui la porte de la cuisine.

— Ne t’inquiète pas, Maman, dit Danny. Il ne risque rien. Il n’a pas le Don, lui. Rien ici ne peut l’atteindre.

— C’est faux, murmura-t-elle à travers ses larmes. Je ne te crois pas.

30.

NOUVELLE VISITE À LA CHAMBRE 217

Jack prit l’ascenseur pour monter au deuxième. C’était la première fois depuis leur arrivée qu’il s’en servait et il se sentit vaguement mal à l’aise. Il abaissa la manette en cuivre et l’ascenseur se mit à grimper en soufflant et en secouant furieusement la grille. Quand il vit apparaître sur le mur de la cage le numéro 2, il rabattit la manette dans sa position initiale et la cabine tomba à l’arrêt dans un grincement strident. Il tira de sa poche la boîte d’Excedrin, en fit tomber trois comprimés, puis ouvrit la porte de la cabine. Non, l’Overlook ne lui faisait pas peur. Au contraire, l’hôtel lui était sympathique et il avait l’impression que la réciproque était vraie aussi.

Une fois dans le couloir principal, il jeta les comprimés d’Excedrin dans sa bouche et les mâchonna l’un après l’autre. Enfilant le petit couloir transversal, il aperçut la porte entrebâillée de la chambre 217, avec le passe-partout dans la serrure.

L’air mécontent, il fronça les sourcils. Son irritation s’était changée en colère. Cet incident était bien regrettable, c’était entendu, mais il n’aurait pas eu lieu si au départ, Danny n’avait pas désobéi. On lui avait bien dit que certaines parties de l’hôtel lui étaient interdites : la remise, le sous-sol et toutes les chambres. Dès que Danny serait remis de sa frayeur, il le lui redirait, en se montrant sévère, mais raisonnable. Il y avait des tas de pères qui ne se seraient pas contentés de remontrances et qui lui auraient administré une bonne fessée ; d’ailleurs, c’était peut-être de cela que Danny avait besoin. Si l’enfant avait eu tellement peur, à qui la faute ? Au fond, c’était bien fait pour lui.

Il se dirigea vers la porte, retira le passe-partout qu’il mit dans sa poche et pénétra à l’intérieur. Le plafonnier était allumé. Il jeta un coup d’œil vers le lit, constata qu’il n’était pas défait, puis alla directement à la porte de la salle de bains. Il avait eu une idée curieuse, et plus il y pensait, plus elle lui semblait vraisemblable. Bien que Watson n’eût mentionné aucun nom ni aucun numéro de chambre, Jack était persuadé que c’était celle-ci que l’épouse de l’avocat avait partagée avec le jeune gigolo et que c’était dans cette baignoire qu’on l’avait trouvée morte, bourrée de barbituriques et d’alcool.